Evolution en trompe l'œil que celle enregistrée par le secteur du ciment en octobre 2009. Mis en avant comme argument attestant de la bonne santé financière de la filière, les 41% de croissance ne sont, en fait, que la résultante de facteurs exogènes à caractère purement exceptionnel (anticipation des chantiers pour esquiver l'effet Aid El Adha, rattrapage par rapport à l'année dernière où le ramadan était tombé en plein mois de septembre avec une dizaine de jours d'arrêt en octobre pour fête d'El fitr et, enfin, rush sur les autorisations bloquées depuis juin et relancées quelques mois après les élections communales). Pas de quoi faire sauter de joie les quatre entreprises du secteur. Pas non plus de quoi faire espérer d'excellentes perspectives aux opérateurs dont les nouvelles usines sont en phase de lancement. Car, en réalité, le marché du ciment n'est pas au top de sa forme avec 12% de baisse en septembre 2009 par rapport à la même période de l'année dernière. Ce qui ressemblait en 2008 et au début 2009 à une poule aux œufs d'or s'est transformé en un investissement à haut risque. La ruée vers l'augmentation des capacités par les quatre cimentiers en exercice fait que le secteur sera à même de produire courant 2011 quelque 18 millions de tonnes. Le marché en absorbe aujourd'hui 14 millions. Le gap entre les deux postes sera alors de 4 millions de tonnes. Mais, c'est à terme qu'il se creusera davantage. Avec l'arrivée des nouveaux, cette capacité sera portée à plus de 20 millions de tonnes. «Je ne suis pas sûr que le Maroc sera au rendez-vous pour absorber toute cette production. Le risque que les usines tournent à moins de 50% de leur capacité est réel. Ce qui posera de grands soucis de rentabilité aux concernés», souffle une source de l'Association professionnelle des cimentiers (APC). Et de poursuivre, «le danger est d'autant plus grand que les charges d'une cimenterie sont incompressibles et que ce n'est qu'à hauteur d'un pourcentage de plus de 85% que l'on peut parler de haut de cycle». Des éléments qui avaient d'ailleurs fini par effrayer Sâad Kettani. Il s'est retiré il y a quelques mois du projet qu'il avait engagé en association avec l'espagnol Lubasa. Ce dernier serait toujours en quête d'un nouveau partenaire pour amorcer les travaux. Ynna reporte son projet Du côté d'Ynna Asment, l'heure est aussi à la prudence. Finie la période euphorique où le groupe annonçait tête baissée que son usine sera opérationnelle en 2010, faisant pied de nez aux messages de l'Association professionnelle des cimentiers mettant en garde les nouveaux contre la menace imminente de surcapacité. Il arrivait même à Miloud Châabi d'ironiser en annonçant, grand sourire aux lèvres : «tant mieux si cela pourra engendrer une baisse des prix et profiter aux consommateurs finaux». Aujourd'hui, la décision est prise : la cimenterie ne sera pas opérationnelle en 2011. C'est vers le premier semestre 2012 que l'usine commencera à tourner. «Compte tenu de la conjoncture internationale, nous avons refait l'appel d'offres pour le choix des fournisseurs européens. Cela nous permettra de réduire substantiellement le coût d'investissement de notre projet », confie Saïd Elarja, DG d'Ynna Asment. De quel ordre sera l'investissement? Elarja ne s'étalera pas dessus. «Nous n'avons pas reçu la situation définitive pour pouvoir nous prononcer», se contente-t-il de répondre. Encore est-il que le constat est palpable. Ynna Asment se veut plus raisonnable que par le passé. Même la capacité de production pourra être revue à la baisse. Fixée initialement à 3 millions de tonnes, ce sont ces mêmes négociations avec les nouveaux fournisseurs en charge de l'ingénierie, de l'équipement et du transfert du savoir-faire, qui détermineront les options à retenir in fine. «La capacité sera probablement maintenue, comme prévue, à 2 millions de tonnes», lance Elarja qui précise, contrairement à ce qui a été annoncé en 2008, qu'il a toujours été question d'une telle capacité. Les travaux de construction de l'usine, sise dans la région de Settat, ne démarreront finalement qu'en début 2010, deux années après le délai initialement annoncé par Haj Miloud. Châabi Lil Iskane, filiale immobilière du groupe Ynna, Super Cérame, Dimatit ou encore la SNEP, devront donc attendre encore quelque temps avant de prétendre à l'effet de synergie avec la nouvelle cimenterie. Sefrioui maintient son calendrier Mais il n'y a pas que des « réalistes » parmi les futurs cimentiers. Sefrioui qui a préféré lancer ses deux usines ( Ben Hmed et Beni Mellal) à titre privé, donc en dehors du giron du mastodonte Addoha, n'apportera finalement pas de changements à son business plan initial. « Aucune modification n'a été apportée à notre investissement, ni au niveau de la capacité de production, ni au niveau du délai de réalisation, à ce jour parfaitement respecté », précise Rachid Iben Khayat, D.G de Ciment de l'Atlas. La capacité de production de chacune des deux usines est de 3 600 tonnes de clinker par jour correspondant à une capacité annuelle de 1,6 million de tonnes de ciment pour chaque unité. «Je vous invite à visiter les deux sites pour apprécier vous-même l'état d'avancement des deux unités, dont celle de Ben Ahmed qui entrera en exploitation dès avril 2010 ». Le ton est donné. Pour Anas Sefrioui, le secteur de l'immobilier ne souffre d'aucune crise dans le segment de la résidence principale, qu'il s'agisse des logements économiques, de moyen ou de haut standing. De même qu'en matière des grands chantiers d'infrastructure lancés ou à lancer qui le « conforte dans mon opinion que la consommation du ciment continuera à enregistrer un trend haussier au cours des prochaines années ». Drôle de position quand le reste de la corporation craint que les années fastes soient bel et bien derrière.