Les Marocains se sont rendus vendredi dernier aux urnes pour des législatives dont la transparence, le taux de participation et le score des partis étaient les principaux enjeux. Voulues «historiques», ces élections anticipées ont été riches en enseignements pour de nombreux observateurs et analystes. En 2007, 37% seulement des 13 millions d'électeurs marocains s'étaient rendus aux urnes. Un scénario à l'identique, le 25 novembre 2011, aurait été interprété comme un acte de défiance ou un désaveu vis-à-vis des réformes engagées. Certes, la mobilisation du peuple marocain a été plus forte au référendum du premier juillet 2011, attestant ainsi d'une aspiration avérée pour le changement. Cependant, l'atténuation de cette mobilisation lors de ces récentes législatives traduirait un «scepticisme citoyen» à l'égard des partis politiques et à leur capacité d'appliquer, sans concession, la nouvelle Constitution. Bien que nous ne disposons pas d'analyses avancées sur «cet écart», ni sur le profil type des abstentionnistes au Maroc, il est clair qu'il dénote d'une crise de la représentation politique. En effet, l'abstentionnisme peut donner lieu des interprétations contradictoires. Il peut être le reflet d'une passivité, d'une négligence des citoyens, peu intéressés par la vie publique ou en raison d'une insertion sociale limitée (jeunes électeurs sans emploi, populations défavorisées ou déçues des promesses non tenues...). Il peut aussi revêtir un caractère actif et militant lorsqu'il est un acte politique conscient et motivé. Il exprime alors un refus de voter cristallisant un manque de confiance envers les hommes politiques ou envers les règles de fonctionnement du pouvoir. Dans les deux cas, l'abstention soulève une crise de la représentation et peut aboutir à un affaiblissement de la légitimité d'un gouvernement élu avec un fort taux d'abstention. Celui-ci ne représenterait alors qu'une partie de la population ou n'émanerait que d'un vote sanction... décriant la sclérose du politique. Fort probablement, ce taux d'abstention a fait l'affaire du Parti justice et développement qui dispose d'un électorat fidèle et motivé. Très organisé et bénéficiant des effets du printemps arabe, de l'«effet Ennahda», parti islamiste vainqueur des élections le 23 octobre en Tunisie, et de la réussite du modèle turc, ambitionné par de nombreux Marocains, le PJD a fait la différence. En outre, ce parti prône une sémantique de la rupture et du renouveau avec une mise en avant de sa «virginité d'opposant intègre», puisqu'il n'a jamais participé au gouvernement, a contrario des autres partis politiques qui vivent un déclin de crédibilité et un décalage «référentiel et sémantique» par rapport aux attentes des électeurs. Par ailleurs, le manque d'espaces de liberté et de démocratie a cet effet dommageable de congeler les opinions publiques. En période de changement, il libère des tendances étouffées durant plusieurs années d'inhibition. Dans un contexte de crise et de tensions sociales, la «masse électorale mobilisée» penche le plus souvent vers des valeurs refuge ou des valeurs de rupture...Force est de constater à travers ces élections libres, tenues sans influence ni ingérence, le signe fort d'une avancée démocratique incontestable. Toutefois, affermir une démocratie et parvenir à un essor socioéconomique pérenne ne se limitent, aucunement, au décomptage neutre des voix ni aux déclarations de bonnes intentions. Les attentes des Marocains sont énormes et le prochain gouvernement devra s'atteler prioritairement à améliorer la vie quotidienne des gens, à renforcer l'Etat de droit, à élever le niveau des droits de l'Homme, à promouvoir une gouvernance transparente et travailler à instaurer des réformes démocratiques audacieuses et qualitatives dans les domaines de l'emploi, de la santé et de l'éducation. Pour y parvenir, l'implication des nouvelles élites sur une base méritocratique, des femmes, des jeunes, de toutes les forces vives et entreprenantes est nécessaire. Indubitablement, le développement du Maroc est une question collective, qui abhorre l'exclusion et les luttes partisanes de quelque nature soient-elles. C'est une question souveraine qui se détourne de tout intérêt allant à contresens de celui général et supérieur du pays. De surcroît et dans une telle conjoncture, l'opposition est appelée à assumer son rôle d'une opposition mature, constructive, affermissant la marche du Maroc sur la voie du progrès afin que le citoyen marocain renforce d'avantage sa confiance en ses institutions, en l'action démocratique comme cheminement incontournable, au développement et à la transformation sociale.