Mon très cher mouton, Je t'écris une lettre que tu liras, peut-être, si je t'en laisse le temps. Je ne sais pas si tu le sais, mais tu vas être zigouillé. Exécuté. Sacrifié. Je sais que tu n'as rien fait, mais, mon vieux, je ne peux absolument rien pour toi. Et même si je le pouvais, je n'en ai pas le droit. La religion me l'interdit, comme d'ailleurs, elle m'interdit un tas d'autres choses beaucoup plus sympas que toi. Mais, passons, parce que ça, c'est un terrain glissant. Tu sais, si ça ne tenait qu'à moi, je n'aurais pas touché à un seul poil de ta superbe toison. Au fond, moi, je t'aime bien, car je te trouve d'une grande tendresse. En plus, tu es quelqu'un qui a beaucoup de goût. Mais, depuis quelque temps, je ne sais pas pourquoi, mon cardio m'a fortement défendu de m'approcher de toi. J'ai comme l'impression que tu n'as pas trop la côte avec lui. Comme tous les cardios, il prend les choses trop à cœur, mais, franchement, en ce qui te concerne, je pense qu'il en fait un peu trop. Pour me consoler, il me propose de me rabattre sur le blanc de poulet et sur le poisson, de préférence blanc. Tu vois: il est, en plus, raciste. Bon, maintenant, oublions mon cardio, et revenons à nos moutons. Pardon! Ça m'a échappé. Je voulais dire, revenons à toi. Voilà, tu vas être sacrifié, mais, il paraît, si ça peut te consoler, que c'est pour la bonne cause. En tout cas, c'est ce qu'on nous a toujours raconté. On appelle ça : «Le Sacrifice d'Abraham». Ça serait un peu trop long à te raconter, mais, en gros, il est question d'un rêve, d'un homme qui allait égorger son fils, d'un ange qui passait, et du petit garçon qui a été sauvé. Tu vois, c'est simple à raconter, mais, justement, c'est ça qui a mis, éternellement, ta vie en péril. En effet, depuis ce jour-là, on a décidé, là-haut, très haut, que, dorénavant, c'est toi qui seras sacrifié. À notre place. Et comme nous, on n'est pas reconnaissant pour un clou, pour fêter ça, on te coupe la gorge. Tous en même temps. Comme un seul homme. Des hommes, nous? Tu parles! Si on était vraiment des hommes, on se serait vengés plutôt sur un autre animal, qui fait beaucoup parler de lui ces derniers jours: le cochon. Bien sûr, à côté de lui, tu ne fais pas le poids, mais lui, au moins, si on l'égorge, il sait pourquoi. D'abord, lui, c'est connu, il est maudit, mais, en plus, aujourd'hui, tout le monde l'a pris en grippe. Ah! J'allais oublier: comme pour nous les hommes, il y a aussi de grandes disparités entre les moutons. Je ne parle pas des différences de races – roumi, bergui, sardi... Non, je voudrais t'apprendre que certains de tes frères, plus chanceux ou plus pistonnés, eux, ne vont pas connaître le même sort que toi: ils seront sauvés. Graciés. Comme l'oie d'Obama. Et tu sais pourquoi? Parce qu'au moment où nous, comme des moutons de Panurge, on va tous, en même temps, te faire ta fête, certains de nos frères à nous, qui n'ont rien à braire ni de toi, ni d'Abraham et de son sacrifice, vont aller se la couler douce à Marrakech, à Marbella ou à Paris. Oui, toi, tu n'as pas de chance! Mais, tu sais, entre nous, mouton ou pas, on passera tous un jour à la trappe. Dans l'attente, je te prie de croire, mon cher mouton et néanmoins cher confrère, à mes regrets les plus sincères.Au fait, bonne fête.