Contactée par Les ECO, la journaliste d'origine marocaine Souad Mkhennet, à qui sera décerné le prestigieux Prix Daniel Pearl, le 10 novembre prochain à l'occasion du 78e dîner annuel de la « Chicago Journalists Association » (CJA), a fait savoir qu'une traduction en arabe verra le jour fin octobre et qu'une version française est en chantier. Son livre, « I Was Told to Come Alone : My Journey Behind the Lines of Jihad » qu'on pourrait traduire de la sorte : « On m'a dit de venir seule : Mon voyage derrière les lignes du Djihad », a fait bien écho aux Etats-Unis et un peu partout en Occident. Il s'agit d'un mélange passionnant et parfois choquant de reportages et de mémoires des centres de réseaux djihadistes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Mekhennet y rapporte la quintessence de ce qu'elle avait vécu et ressenti lors de ses périples au milieu de groupes du prétendu « Etat islamique » et y interroge des hypothèses liées à ce sujet. « En tant que journaliste couvrant le militantisme islamique à travers l'Europe et le Moyen-Orient pour le New York Times, les grands médias allemands et maintenant le Washington Post, j'avais vu le groupe ISIS (Daesh) prendre forme dans le monde créé par les attentats du 11 septembre, les guerres et le soulèvement connu sous le nom de «Printemps arabe». Je parlais à certains de ses futurs membres depuis des années ». S'il est une raison majeure pour laquelle on décerne le «Daniel Pearl», elle réside bel et bien dans le courage et l'intégrité dans le journalisme. « J'ai dit à mes contacts avec ISIS que je poserais toutes les questions que je voulais et que je ne voudrais pas effacer les citations ou leur montrer l'article avant sa publication ». Et de continuer dans son livre : « On m'a dit de venir seule. Je ne devais pas porter d'identification et je devrais laisser mon téléphone portable, enregistreur audio, montre et sac à main à mon hôtel à Antakya, en Turquie. Tout ce que je pouvais apporter était un cahier et un stylo ». Il y a une autre scène qui reflète la profondeur du travail de Souad Mkhennet, elle réside dans la complexité d'enquêter sur un fléau tel que le terrorisme. Alors qu'elle fait un reportage sur les agresseurs du 11 septembre 2001 à Hambourg, l'un de ses employeurs freelance s'enquiert secrètement auprès d'elle des services de sécurité allemands, désirant savoir si elle a des liens avec des organisations terroristes en raison de ses antécédents familiaux. Quand Mekhennet propose à un autre rédacteur en chef d'interviewer les parents d'une adolescente allemande convertie à l'Islam qui a déménagé en Afghanistan, l'éditeur lui dit de ne pas partir en disant que les parents la regarderont et penseront qu'elle est un espion taliban ; elle décroche l'interview. D'ailleurs, s'il est un message des plus forts dans le livre « I Was Told to Come Alone : My Journey Behind the Lines of Jihad », c'est bien cette phrase sortie lors d'une discussion qu'elle avait entamé avec un militant de Daesh, lors d'un trajet en voiture sur une route isolée près de la frontière entre la Turquie et la Syrie : « Vous avez peut-être raison de faire face à la discrimination et le monde est injuste. Ce n'est pas le Djihad que vous combattez. Le Djihad aurait été si vous aviez séjourné en Europe et fait votre carrière. Cela aurait été beaucoup plus difficile. Vous avez pris le moyen le plus facile ». Mekhennet déclare dans une interview accordée à « The New Yorker », qu'elle est une personne qui a échappé de justesse à la radicalisation. C'est alors qu'elle s'est mise à chercher ce qui motive les plus fervents des croyants à mener le Djihad à leur manière, et comment ils sont devenus si impénitents. Rappelons que Souad Mekhennet est née en Allemagne d'un père marocain et d'une mère turque et surtout qu'elle est la première femme musulmane à remporter le Prix Daniel Pearl !