En pleine mutation, le secteur des assurances au Maroc se prépare à l'arrivée de nouveaux segments. En parallèle, les assureurs doivent également répondre au défi de l'innovation... Jad Ariss, CEO of Axa Middle East and Africa, et Philippe Rocard, président-directeur général d'Axa Assurance Maroc, décryptent les spécificités du marché marocain ainsi que la stratégie digitale du groupe. Les Inspirations ECO : Comment se présente votre activité dans la région ? Jad Ariss : Dans la zone Middle East and Africa, Axa est présente dans 14 pays dont 6 au Moyen-Orient et 8 en Afrique. Nous opérons, sur le marché africain, dans la partie Nord du continent, notamment au Maroc où nous avons une implantation très importante. Nous sommes également présents en Algérie et en Egypte. Concernant l'Afrique subsaharienne, nous sommes présents dans 5 pays: 4 d'entre eux sont francophones (Côte d'Ivoire, Sénégal, Cameroun et Gabon), tandis que le cinquième est anglophone (Nigeria). Nous avons une combinaison d'opérations anciennes dans les pays dans lesquels nous sommes établis depuis longtemps. C'est notamment le cas au Maroc ainsi qu'en Afrique subsaharienne francophone. Nous avons aussi 3 autres opérations plus récentes: l'Algérie, avec une unité que nous avons créée de toutes pièces en 2011, mais aussi le Nigeria, via une société dont nous avons fait l'acquisition en 2014. Il y a enfin l'Egypte, où nous avons une opération en assurance dommage et une autre en assurance santé que nous avons menées en 2015. Nous venons d'y faire l'acquisition d'une société en assurance-vie en 2016. Visez-vous d'autres pays ? J.A : Aujourd'hui, non. Nous préférons consolider et renforcer nos opérations dans les 8 pays en Afrique plutôt que de nous lancer dans de nouvelles opérations ou de nouveaux pays. Actuellement, l'ensemble de nos opérations en Afrique représentent un CA de 700 millions de dollars, en progression de plus de 10% par rapport à l'année dernière. Cela reste donc assez dynamique sur le continent africain... J.A : Oui, même si suivant la conjoncture, la croissance a été rendue plus difficile l'année dernière, essentiellement dans 3 pays. Il s'agit de ceux où ont eu lieu les opérations les plus récentes: le Nigeria et l'Algérie, qui sont l'un et l'autre très dépendants du prix du baril du pétrole. L'Egypte est également concernée, mais pour des raisons différentes. Son économie est en situation difficile avec un déficit public important où la livre égyptienne a été sous pression et donc dévaluée. Et comment évaluez-vous la situation de l'assurance au Maroc ? J.A : Au Maroc, nous avons une société qui est établie depuis longtemps. Elle est extrêmement solide et très rentable. Son défi, actuellement, est celui de la croissance sur un marché qui est plus mûr que les autres marchés africains. Vous savez que l'indicateur que l'on regarde le plus est celui qui permet d'apprécier la maturité du secteur de l'assurance dans un pays. Il est équivalent aux primes d'assurances sur le PIB. Au Maroc, ce chiffre est de 3%, là où la plupart des autres pays africains se limitent à 1% voire à moins. On a un secteur de l'assurance qui a encore un potentiel de croissance au Maroc.. Philippe Rocard : L'année dernière, la progression dans le secteur des assurances a été tirée par l'assurance-vie et plus précisément l'épargne. En effet, il y a une montée en puissance sur ce segment que nous accompagnons et à laquelle nous participons. Cela montre l'intérêt pour les Marocains à la fois d'optimiser un certain nombre de placements et de préparer des projets futurs, que ce soit la retraite ou des projets à court ou moyen terme d'achat de biens immobiliers par exemple. C'est un marché qui se développe aujourd'hui. Aussi, sur la partie incendie et dommage de biens, il y a des projets liés à la nouvelle réglementation puisqu'un certain nombre de textes ont été décidés, et nous attendons leurs décrets d'application. Mais normalement, ils devraient être mis en place sur la protection contre les catastrophes naturelles et technologiques. Il y a également un certain nombre d'assurances spécialisées, comme l'assurance construction. Il y a donc des axes potentiels de développement réels au Maroc avec ces nouvelles réglementations. Cette évolution de l'épargne, combinée au contexte actuel de la baisse des taux, ne constitue-t-elle pas un risque de compression de vos marges ? P.R : C'est un sujet général qui ne concerne pas que le Maroc. Les taux d'intérêts mondiaux ont tendance à baisser ces dernières années. Cela n'a pas forcément d'impact sur les marges, mais surtout sur le rendement servi aux clients finaux dans le cadre de leurs placements d'épargne. Le Maroc est dans une situation qui n'est, malgré tout, pas comparable à d'autres pays européens, notamment la Suisse, où les taux sont passés en territoire négatif sur des horizons de moyen terme. Le Maroc a donc gardé des taux qui sont sensiblement positifs, et émet des obligations en volume suffisant pour alimenter les assureurs, permettant de donner du temps au temps. Pour le coup, la perspective est différente sur d'autres continents. Mais il est vrai qu'on surveille ces éléments-là, et on essaie d'optimiser le placement de l'argent qui nous est confié par les assurés pour leur permettre le service des rendements attendus. Comment faites-vous, alors, au niveau de l'arbitrage entre l'action et les obligations ? P.R : Il y a des dizaines d'actuaires qui travaillent sur le sujet. Vous savez, la recette n'est pas instantanée... Ceci dit, nous avons des placements en actions bien sûr. Et là, nous essayons de choisir des actions qui ont à la fois du rendement et des perspectives de solidité, qui permettent d'immobiliser de l'argent pendant des années. Nous plaçons également en obligations (plus en obligations qu'en actions). Cela concerne autant les obligations d'entreprises que les obligations d'Etat. Cela est considéré comme le compartiment principal. Nous avons aussi de l'immobilier qui assure du long terme. Et comme nous sommes présents depuis très longtemps au Maroc (plus de 100 ans), nous avons pu constituer un patrimoine immobilier que nous essayons de faire grandir. Pour le coup, l'arbitrage doit se faire entre ces trois catégories: actions, obligations et immobilier. Il y a bien sûr un arbitrage de sécurité car, si on met une très grande proportion sur les actions - en se disant que le marché boursier va augmenter et qu'on va faire un très bon rendement- il se peut que l'inverse se produise au final. Personne ne peut anticiper le comportement de la Bourse. On ne peut donc pas mettre un très gros volume sur les actions. Comment définissez-vous l'expérience digitale chez Axa ? J.A : Lorsque l'on appréhende l'impact de la révolution digitale sur notre métier, on s'aperçoit qu'il y a trois dimensions du métier qui sont bouleversées: la distribution, le service au client et le cœur de l'activité technique d'assureur. La distribution, parce que de plus en plus de clients démarrent leur acte d'achat d'assurance sur Internet. Mais cela ne veut pas dire qu'ils vont finaliser l'acte d'achat sur Internet, qu'ils vont aller jusqu'au bout (soit jusqu'à la souscription et le paiement en ligne). Mais cela veut dire, en tous cas, qu'ils vont démarrer leur recherche sur Internet. Il est donc très important d'être présents à ce moment-là (au moment où ils tapent le mot-clé achat d'assurance automobile par exemple, il faut qu'Axa apparaisse parmi les premiers items qui ressortent sur le moteur de recherche). La dimension du service, concerne, quant à elle, de plus en plus d'actes simples de gestion comme changer son adresse, renouveler sa police, déclarer un sinistre... Toutes ces opérations peuvent désormais être faites de manière digitale (via un smartphone). Cela oblige les opérateurs à repenser toute l'expérience client qu'ils proposent, dans le sens d'une simplification. Enfin, la troisième dimension du métier impactée par la révolution digitale, c'est le cœur du métier d'assurance, autrement dit la souscription et la tarification de risque. Et ce en raison de la quantité de données disponibles sur les clients qui a augmenté de manière exponentielle. Comment est appliquée la digitalisation sur la région ? J.A : Je ne crois pas qu'il y ait des différences fondamentales sur l'impact du digital entre les pays mûrs et les pays émergents. Tous sont concernés et à travers les mêmes dimensions (distribution, service, technique). Maintenant, suivant les pays, les habitudes clients et les réglementations, le rythme de changement est différent. Mais là où ils se rejoignent, c'est au niveau de la dimension du service car proposer de nouveaux services digitaux se fait de manière assez simple dans tous les pays. C'est dans ce sens que l'application myAXA a été créée. Elle permet aux utilisateurs de suivre et de gérer leurs contrats d'assurance. Nous l'avons déjà lancée dans les pays mûrs, et nous sommes en train de la déployer dans les pays émergents. Au Maroc, elle y fera son entrée d'ici fin 2017. C'est dans la distribution qu'il y a une différence entre les pays mûrs et les autres pays émergents, étant très encadrée par la réglementation. Comptez-vous également miser sur les Insurtechs ? J.A : Axa a déjà mis en place un fonds nommé Axa Strategic Ventures dont la vocation est précisément d'investir dans des Insurtechs (sociétés dont la technologie est capable de modifier fortement le business system de l'assurance). Ce fonds a déjà effectué un certain nombre d'investissements et continuera d'investir dans ce secteur. L'idée derrière Axa Strategic Ventures est d'être aux premières loges de la transformation digitale et l'innovation. Considéré dans un laboratoire, on testera ces applications puis on verra si elles peuvent être développées et déployées à grande échelle dans l'ensemble des filiales du groupe Axa. Au Maroc, plusieurs nouveaux segments (Takaful, assurance agricole) devraient bientôt voir le jour. Quel sera l'approche du groupe ? P.R : Pour Takaful, cela change complètement de ce qui se fait en matière d'assurance classique puisqu'il y a tout un corps de réglementation adapté à ce type de produit. Concernant l'agricole, c'est un projet commun qui est très recherché. Et c'est là que je fais la liaison avec le digital: c'est sur le segment de l'assurance agricole qu'on peut voir son impact. Mais la difficulté consiste à pouvoir accéder à des agriculteurs qui n'ont pas forcément des budgets importants et qui ne vont pas nécessairement penser à l'assurance parce que c'est en dehors de leur cadre habituel. Nous avons fait cette expérience auprès des pays subsahariens. Au Maroc, nous avons commencé à faire des tests -à travers des partenariats- avec des acteurs de la production d'engrais. Nous avons pu proposer, via la fourniture d'engrais et de graines, une assurance complémentaire qui permet d'accompagner l'agriculteur dans le cas où il se passe des événements naturels défavorables à sa récolte. L'agriculteur, en investissant un petit montant sur l'assurance au moment où il va acheter des engrais ou des graines, peut, si jamais les éléments naturels lui sont défavorables, bénéficier d'une somme forfaitaire qui lui est affectée. Là, le digital peut jouer un rôle important, parce que tout ceci passe par des systèmes de calcul (Big Data) qui permettent de suivre un événement naturel sur un périmètre très précis. Même s'il n'y a pas de station météorologique à côté, les données peuvent être fournies par satellite. Des informations qui sont aujourd'hui disponibles et détaillées sur Internet (sur les 30 dernières années par exemple). Cette révolution digitale induira une transformation complète de la souscription auprès des agriculteurs. La technologie Push fait-elle partie de vos dispositifs de paiements ? P.R : Axa a commencé, dans un certain nombre de ses filiales, à avoir une relation sur le service, ou encore à procéder au suivi des sinistres via les smartphones (l'application myAxa). Nous avons été plus loin, parce que nous utilisons le smartphone dans certains pays d'Afrique subsaharienne comme moyen de paiement et comme moyen de remboursement de primes pour le client. Ce dernier peut créditer son smartphone d'un certain montant et l'utiliser comme un compte bancaire. Dans certains pays, les personnes qui ont eu une consommation médicale et qui ont été remboursées auront le choix de se faire payer directement sur leur smartphone et d'utiliser la somme immédiatement. Le téléphone -ou plutôt le smartphone, avec toute la technologie derrière- est en train d'entrer dans la vie de l'assureur de façon très concrète. Comptez-vous vous positionner sur la bancassurance ? P.R : La bancassurance au Maroc est soumise à un certain nombre d'aspects réglementaires qui ont été définis de manière très stricte. Nous avons décidé de respecter cette réglementation.