Les Inspirations ECO a posé cinq questions à l'économiste Mohammed Benmoussa pour décryter, durant la semaine du 8 au 12 mai, la loi de Finances 2017. Il répond aujourd'hui à la deuxième question. La tant attendue réforme de la fiscalité verra-t-elle enfin le jour avec cette LF ? Sur ce sujet aussi, le gouvernement doit regarder les réalités en face et ne pas les nier. Nous avons un système fiscal à la fois injuste, qui ne répartit pas équitablement la charge fiscale entre tous les citoyens marocains, bafouant ainsi les articles 39 & 40 de la Constitution, et contreperformant du fait d'une pression fiscale n'excédant guère le seuil de 20% du PIB en dépit de taux apparents d'imposition élevés et comparables aux taux européens, où les recettes fiscales représentent, en moyenne, 39% de la richesse produite. C'est donc un potentiel de plus de 150 MMDH qui échappent chaque année au budget général de l'Etat. L'origine de ce gigantesque trou financier est à rechercher au niveau des 33 MMDH de dépenses fiscales annuelles, des systèmes de retenue à la source aux taux libératoires qui neutralisent la progressivité de l'impôt, des assiettes fiscales qui échappent aux champs d'application de l'impôt, des failles du système fiscal permettant d'éluder l'impôt en toute légalité, comme en matière de bénéfices des grandes exploitations agricoles, des pratiques d'évasion et de fraude fiscales devenues un sport national d'excellence pour certaines catégories de contribuables marocains. Tous les gouvernements successifs ont pris l'habitude d'introduire annuellement dans les LF des dispositions fiscales répondant soit à des contraintes budgétaires soit à des doléances patronales. Le gouvernement El Othmani ne déroge pas à cette règle. Il me semble que cette méthode est mauvaise par principe, indépendamment de la nature des décisions de politique fiscale proposées. La stabilité fiscale est un principe cardinal d'une bonne politique économique, qui donne des perspectives aux investisseurs et organise les conditions favorables à un climat des affaires empreint de sérénité et de confiance. Le gouvernement doit donc assumer avec courage l'ensemble de ses choix fiscaux pour toute la mandature en les programmant, dès à présent et une fois pour toutes, dans la LF 2017. Il doit ensuite inscrire dans le marbre la stabilité fiscale sur toute la législature. Toutes les LF ultérieures de 2018 à 2021 ont vocation à être des lois fiscales et des budgets de continuité, d'ajustement et d'adaptation aux fluctuations du cycle économique. Quant aux bonnes décisions de politique fiscale susceptibles d'assurer la vraie réforme fiscale, dont l'économie marocaine a cruellement besoin, elles résultent tout naturellement des éléments de diagnostic que j'ai énoncés précédemment : réduire les exclusions du champ d'application et les exonérations, aligner progressivement les taux d'imposition des revenus non salariaux sur ceux des revenus salariaux, supprimer les systèmes de retenue à la source libératoires à taux réduits et revoir le barème de l'IR en relevant le seuil de la première tranche d'imposition, en allégeant les taux des tranches intermédiaires, en augmentant ceux des tranches élevées et en créant un taux marginal de 50% pour les très hauts revenus, systématiser l'examen contradictoire des dépenses non professionnelles des contribuables fortunés, lorsqu'elles sont en incohérence avec le revenu global annuel déclaré (articles 29 et 216 du CGI), procéder à un ciblage plus pertinent des contribuables «à risque», introduire les notions fiscales d'abus de droit (prévu dans le projet de LF 2017) et d'acte anormal de gestion, accélérer la mise en œuvre du système d'imposition graduelle des revenus agricoles et appliquer le seuil d'imposition de 5 MDH de chiffre d'affaires annuel à l'ensemble des exploitations, appartenant au même groupe ou relevant du même centre de décision, introduire dans la fiscalité des entreprises des dispositions de soutien à l'investissement et à la croissance économique (barème progressif de l'IS avec un taux marginal de 25%, provisions réglementées, exonération des plus-values à long terme, exonération des profits réinvestis, amortissements accélérés), procéder à un démantèlement progressif des dépenses fiscales non justifiées, mettre en place un dispositif fiscal incitatif pour les plans d'épargne salariale et les plans d'épargne en actions, élargir le champ d'application de la fiscalité locale en identifiant de nouvelles sources de revenus, moderniser les impôts locaux et rendre leur assiette plus dynamique et plus en phase avec l'évolution du PIB, renforcer les droits des contribuables (simplifier les procédures administratives, fusionner les services de la DGI et de la TGR et créer des guichets fiscaux uniques, nommer des médiateurs fiscaux régionaux, renforcer la charge de la preuve incombant au fisc, publier la jurisprudence de la Commission nationale du recours fiscal...), cartographier la fraude fiscale au niveau géographique et sectoriel, élaborer une monographie fiscale des techniques de fuite devant l'impôt, renforcer les moyens et les effectifs des services du contrôle fiscal et augmenter les objectifs de recouvrement, revaloriser le statut des vérificateurs, mettre en place un plan de lutte ambitieux contre l'économie souterraine, les fausses factures, les ventes sans facture, l'évasion fiscale internationale liée aux prix de transfert et aux sociétés offshore domiciliées dans les paradis fiscaux ou bancaires, encadrer, de façon stricte, les «tax rulings» signés avec les filiales de multinationales... Mohammed Benmoussa Economiste