Carlos Lopes, professeur à l'Université de Cape Town et ex-secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations-Unies pour l'Afrique (CEA) L'ex-secrétaire exécutif de la Commission économiques des Nations-Unies pour l'Afrique (CEA) appelle le Maroc et les pays d'Afrique anglophones à faire preuve de pragmatisme dans leurs relations et à prioriser leurs intérêts économiques. Le professeur Carlos Lopes, qui se consacre désormais à l'enseignement, se dit disposé à faire bénéficier les institutions marocaines de son expérience. Les Inspirations ECO : Le Maroc s'intéresse désormais à l'Afrique anglophone. Qu'est-ce que le royaume peut y gagner ? Carlos Lopes: Le Maroc aura à y faire des affaires et saisir les opportunités économiques qui s'y présentent. Nous ne pouvons pas d'un seul coup proclamer le besoin d'une industrialisation accélérée du continent sans comprendre que cet objectif sera réalisé grâce à l'élargissement du marché intra-africain. Le Maroc est en train d'élargir son espace de commerce et d'échanges sur le continent. Il est intéressant de noter que la stratégie africaine a commencé avec les services, notamment la bancassurance. Le tissu tissé par la connaissance bancaire a profité aux autres secteurs. C'est une stratégie que je trouve très intelligente. Elle ne peut donc se limiter à un espace linguistique. Comment le Maroc doit-il alors gérer l'aspect politique, sachant que ces pays soutiennent majoritairement le Polisario ? Vous savez, la Russie et l'Arabie saoudite se sont mises d'accord pour réduire la production pétrolière parce qu'elles y trouvent des intérêts communs, alors que ces deux Etats sont très opposés sur la situation en Syrie et en Irak. Idem pour le Maroc et ces pays d'Afrique anglophone. Les pays doivent être pragmatiques quand il s'agit d'intérêts économiques. Vous avez participé à la réflexion initiée par le président Paul Kagame pour réformer l'Union africaine. Qu'avez-vous proposé ? Les propositions ne sont pas encore rendues publiques. Le président du Rwanda, Paul Kagame, est le responsable de ce mandat. Il a pris rendez-vous avec ses pairs pour janvier. C'est là que sera faite la première présentation de ce qui pourrait être un plan de réforme. Je ne veux pas trop m'avancer sur ce dossier car mon rôle, ainsi que de tous les membres du Comité d'appui, était de donner l'appui nécessaire pour que le président Kagame puisse faire son travail. Je ne peux pas en dire plus. Que faut-il à l'Afrique pour prendre son envol dans les relations internationales ? Il va d'abord falloir que l'on règle un certain nombre de difficultés internes. Nous devons prendre au sérieux notre institution continentale (l'Union africaine, ndlr). Il faut assurer son financement, car avec le niveau de financement précaire venant de l'extérieur, nous ne pouvons pas vraiment dire que nous avons un contrôle sur le programme de cette institution. Le deuxième aspect est que l'Afrique doit régler ses difficultés d'image. Une bonne partie des perceptions sur l'Afrique sont fausses. Elles ont été construites à travers le temps, avec un pessimisme par rapport au continent. Mais nous Africains, devons aussi faire notre part du travail. Cela signifie que l'Afrique doit mieux saisir les opportunités et démontrer qu'elle avance aussi sur le terrain de la gouvernance. Après votre départ de la CEA, pensez-vous pouvoir vraiment apporter davantage à l'Afrique avec vos nouvelles activités académiques? Je pense avoir donné ma part à l'Afrique en tant que responsable d'une institution continentale. Mais on peut aussi être un intervenant actif avec beaucoup d'autres casquettes. J'estime que le monde académique est important. Il faut le renforcer. Mon combat consiste à changer le discours sur l'Afrique et il doit aussi se faire à l'université. Les institutions académiques africaines sont trop statiques sur la forme et la manière d'enseigner le continent. Mes nouvelles activités me permettent d'avoir plus de liberté pour aider les leaders politiques et économiques africains pour un changement profond qui est aujourd'hui nécessaire. Je mets donc la main à la patte avec les dirigeants africains en les conseillant en profondeur sur ce qui pourrait être le cheminement de la transformation structurelle dans tel ou tel pays, telle ou telle institution. Avez-vous été approché par les institutions ou le gouvernement marocain dans ce sens ? Non, pas encore. Êtes-vous disposé à collaborer avec eux? Je suis disposé à aider tous les acteurs qui veulent parvenir à la transformation structurelle de l'Afrique. Qu'ils soient marocains ou autres, je reste disposé à travailler avec eux.