«La majorité écrasante des entreprises marocaines n'assurent pas de formations au profit de leurs salariés», affirme Karim Zaz, directeur de la Commission formation à la CGEM. Réticence ou manque d'intérêt? La première piste est la plus tenable pour les experts. En effet, la plupart des dirigeants assimilent la formation à un investissement à perte, considérant qu'un collaborateur sera de toute façon amené à quitter l'entreprise un jour. Au-delà de cet aspect, il faut dire que le coût lui-même des formations proposées, qui varie entre 7.000 et 50.000 dirhams nets, par jour et par groupe de collaborateurs, représente un poids pour les trésoreries notamment pour les PME. Certes, il existe ce qu'on appelle «contrats spéciaux de formation» (CSF), mais ceux-ci ne signent pas un grand succès. Depuis leur mise en place, en effet, nombre d'inconvénients ou de blocages sont à chaque fois ressassés par les différents intervenants, chacun d'eux renvoyant la balle à l'autre. «À la création de ce système, nous avons voulu aider en priorité la PME afin de lui donner les moyens d'assurer la formation de son personnel», explique Karim Zaz. «Malheureusement, ce système n'a pas donné le résultat voulu. Actuellement les montants de la taxe de formation collectés sont estimé à 300 millions DH par an. Ils ont été en majorité intégrés dans le développement du réseau de l'OFPPT», indique Zaz. C'est donc le processus de fonctionnement de ces CSF qui pose problème. Pour cela il faut d'abord comprendre que depuis sa création, le système des CSF a connu différentes réformes pour améliorer son rendement. La version de 1996 avait permis l'implication des partenaires sociaux dans la gestion de ce système et la mutualisation de la taxe de la formation professionnelle au profit de la PME. Cependant, cette réforme a montré ses limites, vu l'exclusion d'une grande partie des PME, la non-maîtrise budgétaire et les défaillances du système de contrôle. S'en suivit la réforme de 2002, dont le but était de pérenniser le système et d'assurer plus d'équité et de transparence dans les financements, à travers l'instauration d'un contrôle efficient et de plafonds de remboursement. En accompagnement à cette réforme, «l'OFPPT a entrepris des mesures d'amélioration de la gestion administrative des CSF, par l'instauration d'un système d'information et de nouveaux instruments de gestion (procédures, tableaux de bord journaliers et mensuels)», explique Larbi Bencheikh directeur général de l'OFPPT. Il poursuit : «Cette nouvelle organisation a d'ailleurs été à l'origine de la découverte, en 2004, de détournements de fonds opérés entre 1996 et 2001». En 2006, donc, on (re)réforme. Les principaux objectifs, cette fois, étaient la sécurisation du système et la clarification des attributions des intervenants, le renforcement de la transparence des financements par la mise en place de nomenclatures des domaines et des coûts de formation. «Cette réforme est effectivement venue apporter davantage de rigueur dans le système, à travers un nouveau manuel de procédures», commente Bencheikh. Bémol, cette fois, c'est le volet remboursement qui est invoqué par les opérateurs pour justifier le non-recours à ces programmes. «Le système de remboursement des frais engagés dans les CSF est défaillant. Il est en panne depuis des années déjà. Actuellement, les entreprises déposent leur dossiers de remboursement, mais en vain», lance à ce titre le directeur de la Commission formation au sein du patronat. Du côté de l'OFPPT, si les remboursements sont retardés, c'est parce que l'organisme ne laisse pas de marge de manœuvre lorsque les dossiers souffrent d'une quelconque anomalie (pièces constitutives, respect des délais....). «Cette situation est aggravée par le peu de réactivité enregistrée dans certains cas de la part des entreprises pour les compléter, ce qui se répercute sur le processus de traitement», ajoute le DG de l'OFPPT. Mais selon les entreprises l'OFPPT est également pour quelques chose dans ces retards. Selon Karim Zaz, «ce retard est dû au manque de fonds pour rembourser les entreprises et non pas aux anomalies de pièces constitutives». Il est à noter à ce niveau que cette année, la CGEM a refusé de voter le budget accordé à l'OFPPT. «Aussi, nous militons pour que les contrats spéciaux de formation ne soient plus sous la houlette de l'OFPPT. C'est en effet la seule solution pour mettre ce programme sur la bonne voie». Cet avis est partagé par Hassan Charaf, président du Centre des jeunes dirigeants, selon qui la meilleure solution pour promouvoir la formation professionnelle au Maroc, est de créer une agence nationale, qui se chargera de la gestion des budgets et qui pourra éventuellement être contrôlée par les ministères de tutelle. Cette idée pourrait être appliquée dans les années à venir, au cas où le projet de la GIAC, présenté au Parlement par l'OFPPT et qui a pour but la restructuration de cet organisme, ne serait pas validé......... Le système des CSF Au Maroc, chaque entreprise est assujettie à une taxe de formation, à hauteur de 1,5% du salaire brut mensuel de l'employé. Collectée par la CNSS, la taxe de formation est versée par la suite au Comité central des contrats spéciaux de formation (CCCSF). Ce dernier est placé sous l'autorité du Comité de Gestion, administré par le Comité central des CSF et des Comités régionaux, tripartites dans leur composition. Présidés par le ministère de l'Emploi et de la formation professionnelle, ils incluent le ministère de l'Economie et des finances, la CGEM et les syndicats. Ces comités sont chargés de définir les orientations globales, de proposer les modifications à introduire au manuel des procédures des CSF et d'examiner le bilan annuel physique et financier des CSF. Le contrôle de cette dernière demeure sous l'autorité des ministères de l'Emploi et de la formation professionnelle. La mise en place de cette structure créée en 1996 par les pouvoirs publics, de concert avec les partenaires sociaux (les syndicats) et économiques (CGEM), avait pour mission de servir de dispositif d'incitation financière, pour encourager les entreprises à intégrer la formation en cours d'emploi dans leurs plans de développement. Cette incitation se matérialise par une participation financière qui peut aller jusqu'à 90% du coût des actions de formation réalisées. Elle peut également représenter l'équivalent de 15 fois la taxe de formation professionnelle payée par une petite entreprise. «Notre rôle est purement exécutif»: Larbi Bencheikh, Directeur général de l'OFPPT Les Echos quotidien : Quel rôle l'OFPPT joue-t-il dans les contrats spéciaux de formation ? Khadija Ryadi : Le rôle de l'Office consiste en l'exécution des décisions du Comité central des CSF et des comités régionaux. Des unités de gestion sont mises en place à cette fin au niveau des directions régionales de l'OFPPT pour traiter les dossiers CSF, en application du manuel des procédures, élaboré et défini par une commission tripartie et visé par les ministères des Finances et celui de l'Emploi et de la formation professionnelle. Concrètement, notre rôle est purement exécutif. Plusieurs patrons d'entreprises se plaignent du retard de remboursement de leur budget de formation. Quel est le niveau de la responsabilité de l'OFPPT dans cette polémique ? Quelle est l'origine de ce retard ? Les paiements sont retardés par les rejets de dossiers incomplets pour pièces manquantes ou non conformes. Cette situation est aggravée par le peu de réactivité enregistrée dans certains cas de la part des entreprises pour les compléter, ce qui se répercute sur le processus de traitement. Il faut cependant rappeler que l'OFPPT a initié plusieurs dispositions à même de fluidifier le système et d'en faciliter l'accès aux entreprises. Je citerai la mise en place du Système d'information et d'un portail pour des services en ligne, la création d'une agence dédiée à la zone de Casablanca rattachée au siège, qui traite 70% des dossiers CSF, en plus de mesures de souplesse exceptionnelles autorisant les entreprises à compléter leurs dossiers en dérogation au manuel des procédures (résolution proposée par l'OFPPT et approuvée par le Comité de gestion du 22 juillet 2008). Par ailleurs, pour résorber ces retards de paiement, nous avons lancé de vastes opérations d'apurement des arriérés des exercices allant de 2002 à 2005 et de 2006 à nos jours. La première opération a concerné plus de 2.700 dossiers. Depuis 2006, nous avons dû traiter plus de 9.000 dossiers. Quelles sont les solutions que vous avez proposées aux patrons dans ce sens ? D'abord, concernant le système actuel et pour éviter au maximum les retards, les entreprises sont invitées à déposer les pièces justificatives au fur et à mesure des réalisations, au lieu d'attendre les dates limites, ce qui crée des goulots d'étranglement très difficiles à gérer pour l'entreprise et pour les unités de gestion. Elles sont particulièrement invitées, également, à veiller au respect des dispositions du manuel de procédures, à formuler, le cas échéant, des réclamations par les moyens d'usage et à faire des recours auprès des comités régionaux. Je saisis l'occasion pour rappeler avec insistance que nos services sont à leur disposition pour leur apporter, au préalable, tout le conseil et l'assistance nécessaires. Sur le plan structurel, nous avons plaidé auprès de notre conseil d'administration, dès janvier 2008, pour externaliser les CSF, afin de nous concentrer sur notre mission de base d'opérateur de formation. Nous sommes revenus à la charge, début 2009 avec une proposition visant à confier les CSF aux GIAC (qui sont chargés des activités relatives à la gestion des fonds alloués à la sensibilisation, aux études stratégiques et à l'ingénierie). Cette proposition a été bien accueillie par les instances de gestion et les partenaires sociaux et économiques qui l'ont complétée, enrichie et finalisée : un GIAC fédérateur devait ainsi hériter des attributions des unités de gestion des CSF et coordonner les travaux des GIAC sectoriels. Une commission tripartite a à ce titre été mise en place pour préparer l'opérationnalisation de cette réforme. Un projet de texte de loi pour la création d'une nouvelle entité est toujours en cours. Quelle place est accordée aux PME dans ces propositions? Notre proposition comporte également un projet, qui vise à redynamiser la formation au profit des PME-PMI et des zones d'activités économiques. Il s'agit de réserver annuellement une part de la TFP à la mise en place par l'OFPPT de formations groupées, sans participation financière des entreprises. Cette proposition s'inscrit dans la vocation de l'OFPPT en tant qu'opérateur principal de la Formation professionnelle, et permettrait d'élargir et de faciliter l'accès des PME/PMI à la formation continue, en leur épargnant les rouages procéduraux. D'aucuns conviendraient que cette démarche stimulera le développement des compétences humaines des PME, qui constituent plus de 90% de notre tissu économique. En outre, le taux de pénétration du système des CSF par ces entreprises demeure très faible, en dépit de toutes les réformes engagées. Est-ce que l'OFPPT a déjà proposé aux entreprises de leur assurer des formations? Dans le cadre de la nouvelle réforme que nous avons proposée, l'OFPPT recevrait une proportion de la TFP pour l'organisation de formations planifiées ouvertes aux PME/PMI, selon des programmes annuels ou pluriannuels basés sur des besoins transversaux avérés et validés par le Comité de gestion. Ces plans se baseraient sur un processus d'ingénierie de formation concerté et adapté aux besoins des entreprises. Concrètement, l'idée est que l'OFPPT puisse disposer d'une carte de formation continue, à l'identique de celle de la formation initiale, soit une offre préétablie dans laquelle les PME-PMI puiseraient les formations qui correspondent à leurs besoins, à travers un simple processus d'inscription. Les entreprises bénéficiaires seraient ainsi exemptées de participation financière et des modalités administratives. De facto, l'OFPPT s'en trouvera focalisé sur ses missions en tant qu'opérateur au service du développement des compétences humaines et de la compétitivité de nos entreprises. La démarche ainsi proposée serait appuyée par un dispositif de formation, qui couvrirait tous les secteurs économiques, soit un répertoire de près de 200 filières, un réseau de 312 établissements, un corps de formateurs spécialisés dépassant 6.000 enseignants. Les détournements découverts en 2004 Parmi les facteurs qui ont provoqué l'ire des patrons d'entreprise non remboursés sont les détournements découverts en 2004. En effet, en avril 2004, suite à une opération de vérification menée par l'OFPPT, qui porte sur les dossiers de remboursement au titre de l'exercice 2003, il a été constaté que 14 dossiers avaient un caractère douteux, du fait qu'ils étaient déposés le même jour par la même personne et qu'ils comportaient la même écriture. Sitôt saisie et mise au courant de ces constatations, le direction générale de l'OFPPT a diligenté une commission d'inspection qui a révélé l'inexistence de 29 entreprises et de 34 opérateurs de formation frauduleux. Elle a saisi le Secrétariat d'Etat chargé de la Formation professionnelle pour diligenter une commission de l'IGF. Une plainte a été déposée, en mai 2004, demandantr la restitution des fonds détournés. La poursuite de l'enquête menée par l'OFPPT a révélé l'existence de 95 entreprises douteuses qui ont frauduleusement bénéficié de remboursements d'un montant global de près de 70MDH, pour des «formations réalisées» par des opérateurs fictifs.