Manque de transparence, transactions rarement communiquées par les galeries, absence d'un arsenal juridique solide, épanouissement du marché du faux... Ce sont les éléments qui caractérisent le jeune marché de l'art marocain. Malgré ces pratiques, ce marché «se porte beaucoup mieux qu'il y a quelques années. Il est en pleine croissance et cela va s'accroître dans les années à venir», estime le critique d'art, Aziz Daki. Cet avis est partagé par le jeune galeriste Simo Chaoui (Galerie 38) : «Il est vrai que c'est un marché naissant, mais il est en train de prendre de l'ampleur». Les chiffres de plus en plus impressionnants réalisés lors des ventes aux enchères organisées régulièrement par les galeries marocaines en sont d'ailleurs la preuve. Lors d'une vente aux enchères tenue le 19 décembre 2009 par la Compagnie marocaine des œuvres et objets d'art (CMOOA) (dont le directeur général n'est autre que Hicham Daoudi), par exemple, des records ont été pulvérisés, démontrant que l'art au Maroc vit un véritable tournant. Une œuvre de l'artiste orientaliste, Pierre Emilien Rousseau, baptisée «Le sultan du Maroc et son escorte» a été vendue à 4,4 MDH, soit le meilleur résultat en vente aux enchères publiques obtenu au Maroc et le second mondial pour cet artiste. Deux œuvres de Hassan El Glaoui «Fantasia devant les remparts de Marrakech » et «La sortie du sultan» ont décroché respectivement- lors de la même vente aux enchères-les prix de 1,38 MDH et 1,02 MDH. Des tableaux des défunts El Gharbaoui, Cherkaoui, Saladi, Chaâbia, Miloud Labied et Mohamed Kacimi ont vu également ces derniers temps leur cote s'affoler. La nouvelle vague des artistes peintres marocains représentée notamment par Mahi Binebine, Amina Benbouchta et Mohamed El Baz n'est pas en reste et suscite aussi l'engouement des spécialistes. Un art élitiste ? Malgré l'importance des chiffres réalisés lors des ventes aux enchères, l'art est toujours considéré comme un luxe réservé à une élite sociale. Une question qui a été d'ailleurs débattue lors d'une table ronde organisée dimanche matin dans le cadre de la 2e édition de Marrakech Art Fair. «Notre objectif est de rendre l'art accessible à tous, grâce notamment à des activités destinées au grand public. Malheureusement, cela n'a pu être concrétisé cette année, faute de moyens financiers», a déclaré Hicham Daoudi, fondateur de la foire d'art contemporain marrakchie, qui a nécessité cette année un budget de 10 MDH. Pour Simo Chaoui, l'art n'est pas forcément lié à un rang social bien déterminé. «Tout est une question de feeling et de fonds intellectuel de la personne», affirme-t-il. L'autre grande caractéristique de notre marché de l'art demeure la souffrance des créneaux de diffusion, notamment les galeries. Ces dernières vivent difficilement des marges de leurs ventes, à cause notamment des pourcentages pratiqués pour les expositions qui vont entre 15 et 40%. Le même principe est valable pour les ventes aux enchères, considérées tout de même comme une aubaine. Contre vents et marées, le marché de l'art au Maroc connaît une ébullition toute particulière, qui pourrait encourager autorités et professionnels à prendre les mesures nécessaires pour développer le secteur. Le succès... du faux «Le marché du faux n'aurait jamais existé, s'il y avait des canaux de promotion des artistes pour qu'ils aient leur chance», tranche Hicham Daoudi. Il faut dire que malgré son jeune âge, le marché de l'art au Maroc est entaché de plusieurs irrégularités notamment la circulation de faux tableaux. Selon les spécialistes, une transaction sur deux est dominée par le faux. «Cette situation concerne plutôt les œuvres des artistes marocains décédés (El Gharbaoui, Saladi, Cherkaoui...) ou encore celles d'artistes orientalistes qui ont vécu au Maroc pendant plusieurs années», explique le critique d'art Brahim Lhissine. Le manque d'experts dans le domaine, les conditions du déroulement des ventes aux enchères qualifiées d'aléatoires, l'absence de moyens pour appliquer les mesures prévues par la loi ou tout simplement le manque de formation des galeristes et des collectionneurs contribuent à l'épanouissement de ce secteur clandestin. «C'est terrible ! C'est une trahison envers les artistes... Une oeuvre d'art ne peut pas être vendue comme n'importe quel produit...Il faut que les galeries commencent à délivrer des certificats pour limiter ces pratiques», lance le critique d'art Aziz Daki. En attendant, la mémoire de bon nombre d'artistes est profanée. «La taille du marché est insignifiante»: Hicham Daoudi, Fondateur de Marrakech Art Fair Les Echos quotidien: Est-ce qu'on peut parler aujourd'hui d'un marché de l'art au Maroc ? Hicham Daoudi : Les structures sont en train de se poser pour un marché de l'art. Je pense qu'on peut commencer à en parler aujourd'hui dans notre pays. Toutefois, il ne nous manque plus que la dernière dalle fondamentale, à savoir les musées publics pour que ce marché existe réellement. Pensez-vous que le privé n'est pas encore bien impliqué dans ce secteur ? Le secteur privé au Maroc a tendance à voir la culture à travers le divertissement public de masse. Il préfère plutôt appuyer les opérations estivales, sponsoriser des concerts gratuits... Je pense que le secteur privé n'arrive pas à délimiter ce qu'il faudrait. Mawazine de Rabat, Casa Music, le festival Gnaoua d'Essaouira ... sont de très belles entreprises sur le plan musical, mais il faudrait qu'il y ait d'autres événements dans le domaine artistique. Faute de sponsors, plusieurs actions qui étaient prévues lors de Marrakech Art Fair ont été reportées. Concrètement, quelle est la taille du marché du l'art au Maroc ? Je ne suis pas le meilleur spécialiste pour répondre à cette question. Il y a deux ans, je m'étais hasardé à dire que la taille de marché est estimée entre 400 et 500 millions de dirhams par an de transactions, ce qui est ridicule pour un pays comme le Maroc. Mais, vu qu'il n'y a pas de moyens de collecte d'informations assez rigoureux et que les galeries ne communiquent pas trop sur leurs ventes, on ne peut pas vraiment avoir une idée précise sur la taille de ce marché. Bref, une chose est sûre, c'est qu'il est insignifiant par rapport à ce qu'il devrait être.