Du 12 au 15 mai, Essaouira célébrait la magie de la culture tagnaouite mais plus précisément la richesse que les anciens peuvent partager avec nous ou nous laissent derrière eux. Entre hommages, sagesse, partage et concerts intenses, la 19e édition du Festival Gnaoua et musiques du monde était synonyme de transmission, et a raisonné telle une belle leçon de musique, à tous les niveaux. Le festival a commencé par un hommage et s'est terminé par un hommage comme pour boucler la boucle ou la redessiner, la redessiner par la jeunesse qui ne demande qu'a apprendre, qu'à recevoir. Cette 19e édition était sous le signe du respect des anciens, de leur parcours incroyable et de ce qu'ils ont laissé à la jeune génération. Que ce soit le concert d'ouverture à Mâalem Guinéa et le percussionniste Doudou Ndiaye Rose ou encore l'exposition de Hassan Hajjaj sur les couleurs de la musique gnaoua et l'hommage à Tayeb Sadikki par les plus grands, le Festival gnaoua et musique du monde a offert des moments sincères et profonds, où la jeunesse puisait de la connaissance des anciens et où les anciens se nourrissaient de la fraîcheur de cette jeunesse. Une édition sous le signe de la transmission. Leçons multiples Le plateau de la Radio RFI et l'hôtel Ocean vagabond sont devenus le théâtre de cette rencontre entre les différentes générations. Quand l'annimatrice Laurence Aloir prépare son émission «Musiques du monde», elle va puiser dans le vrai, dans l'essentiel et s'en va à la rencontre de la musique, du monde avec pour hôtes les gnaouas du monde. Quand le plus gnaoui des jazzman, Randy Weston s'assoit à côté de mâalem Hassan Boussou ou Houssam Guinéa, l'alchimie est tout de suite palpable. Des concerts privés, des moments privilégiés, des instants volés sont les maîtres-mots de ces 3 jours du Festival gnaoua et musiques du monde. «Pour moi, la musique des Gnaouas est la plus importante d'Afrique, quand j'écoute de la musique, j'écoute ma musique à moi !», confie le plus africain des pianistes de jazz américain: Randy Weston. De son charisme et du haut de ses 90 ans, il illumine la salle de sa sagesse et son sourire et raconte son amour pour ses racines qu'il tient de son père et sa rencontre avec la musique gnaouie dans les années 70. «J'ai tourné en Afrique pour la première fois en 1967, j'ai fais plus de 40 pays! La première fois que j'ai écouté la musique des Gnaouas, j'ai entendu du blues, du jazz», confie le maestro, pionnier de la fusion jazz-gnaoua. Et face à ce mastodonte de la musique, mâalem Hassan Boussou qui est un grand, on se sent tout petit : «Quand j'ai vu son nom sur la programmation, ça m'a renvoyé aux années 70. À l'époque où lui et mâalem Abdellah Boulkhair El Gourd venaient à la maison chez mon père pour jouer de la musique». De tels souvenirs, Houssam Guinéa en a également ! «Je me souviens que mon père parlait de Randy Weston souvent en me disant qu'il était un musicien incroyable et qu'il était l'un des premiers à proposer la fusion. On a même une photo accrochée à la maison avec feu mâalem Guinéa mon père et Randy Weston. Ils avaient l'air heureux», confie le fils Guinéa, qui s'est vu passer le flambeau lors du dernier concert de Mahmoud l'année dernière. Une lourde responsabilité selon lui : «Ce n'est pas facile tous les jours, d'être à la hauteur du grand Mahmoud Guinéa, mais il m'a fait confiance et a vu en moi son héritier. Je ne le décevrai pas». Un échange d'une belle douceur et avec beaucoup de respect entre les trois générations autour de la table. Un échange qui s'est terminé sur une révélation de maître Randy Weston qui confie que sa couleur gnaouie est le noir...Des couleurs que le photographe Hassan Hajjaj a su sublimer. True colors de la mémoire tagnaouite Comme dirait la célèbre chanson de Cyndy Lauper : «And I see your true colors shining through», l'exposition «Colors of Gnaouas» de Hassan Hajjaj a mis en valeur 10 mâalems, 10 anciens. Plus que l'approche artistique digne du Andy Warhol marocain, l'exposition est un travail sur la mémoire, un travail sur ce que nous laissent les anciens. Une initiative rendue possible grâce à Marouane LBahja. «Je connais la culture gnaouie depuis l'enfance, j'ai grandi à Larache devant une famille qui faisait des veillées gnaouies souvent», raconte le photographe basé à Londres aujourd'hui. Il a un lien et un amour pour la culture mais on ne sent pas la légitimité de faire un travail sur les gnaouas, jsuqu'à sa rencontre avec Marouane LBahja qui est maître de la culture tagnaouite et ses traditions. «Je n'ai pas fait d'études, tout ce que je sais faire, c'est la musique gnaouie», confie presque naïvement Marouane LBahja, qui a donné de la profondeur à ce projet et a permis à celui-ci de voir le jour. L'exposition s'est accompagnée de toute une mise en scène et un spectacle, une mise en scène où l'on voit un vieil homme qui travaille la terre, la nature, les récoltes, une femme enceinte qui l'aide et qui donne ensuite naissance à un enfant. Métaphores et messages saisissants accompagnent l'exposition et la musique. Une mise en scène qui existait dans le patrimoine tagnaouite avant mais qu'on a perdu, selon Marouane LBahja. Puisqu'il s'agissait de faire revivre la mémoire, cette rencontre entre les générations et les parcours étaient presque nécessaires, afin de remettre les pendules à l'heure, les choses à leur place. Le Festival Gnaoua et musiques du monde a joué ce rôle le temps de quelques jours de concerts, de fusions, de résidences, de partage. Et quand, par le pouvoir de la musique et des rencontres, des gens que tout sépare, se retrouvent, on peut dire qu'un festival est réussi. Mieux encore, qu'il devient nécessaire. André Azoulay, Président-fondateur de l'Association Essaouira Mogador. «Face au déni de l'art de vivre ensemble et aux fragiles illusions du repli identitaire et spirituel, la boussole marocaine est plus que jamais précieuse à une communauté des nations en quête de repères. Les mâalems gnaouis veillent sur cette résilience souirie et marocaine face à l'archaïsme et aux théories scélérates du choc de nos cultures ou des nos civilisations. C'est le miracle du Festival Gnaoua et des musiques du monde d'Essaouira et c'est cette alchimie gnaouie qui crée cette proximité et la singularité de cette capillarité qui donne sa place à tout un chacun, comme dans une sorte de ballet minutieusement réglé par les maâlems et leurs invités venus du monde entier pour les écouter. Ce festival est emblématique de ce que le Maroc représente de plus profond et de plus universel dans son authenticité, sa diversité et sa capacité de proposer à tous les autres cette agora souirie de la grande fête de la musique. Le temps n'érode pas cette passion, assurant que les années n'auront laissé aucune ride sur le visage de ce festival qui ne ressemble à aucun autre».