Bank Al-Maghrib est le plus important observatoire de l'économie marocaine. C'est à partir de ce statut que le rapport annuel de l'institution prend tout son sens. C'est certes une photographie de la santé financière à un instant T, avec des perspectives et des données relatives au potentiel de développement économique et social du pays. C'est ce qui fait que le document en question sert de base de travail à plusieurs observateurs, pour dégager un maximum de visibilité et essayer de déterminer les niches de développement futures. Toutefois, entre temps, le Maroc a franchi plusieurs nouvelles étapes et les producteurs d'indicateurs et de statistiques se sont multipliés. Outre la Banque centrale, nous avons aujourd'hui un certain nombre d'observatoires sectoriels, en plus du ministère des Finances, du HCP, du CMC et d'une flopée de cabinets nationaux et internationaux, qui deviennent de plus en plus prolifiques en la matière. Un rapport de Bank Al-Maghrib sur la situation économique et financière du Maroc, qui est rendu public en juillet, aurait pu effectivement remplir sa fonction de baromètre et être d'un apport considérable au débat national sur le développement économique. Cependant, quand il ne tombe qu'à la troisième semaine de septembre, cela devient du «consommé». Les motifs protocolaires de cette cérémonie officielle de présentation du rapport annuel au souverain sont connus, nous ne reviendrons pas dessus. Mais qu'est-ce qui fait que bien que les opérateurs économiques soient arrosés régulièrement aujourd'hui d'indicateurs économiques actualisés à travers la multitude de notes conjoncturelles devenues mensuelles, ils continuent à attendre avec beaucoup d'intérêt le document de référence qu'est le rapport de Bank Al-Maghrib ? Pour comprendre les raisons pour lesquelles cette «tradition» est maintenue avec autant de ferveur, surtout en cette phase particulière de l'histoire du Maroc, il faudrait chercher plutôt du côté du symbole et de la symbolique. Le symbole, c'est le personnage même du gouverneur de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri. Ce sage incarne à lui seul la rigueur, l'impartialité, la vision, l'indépendance, le franc-parler... autant de qualités qui font que ses sorties médiatiques sont très suivies et passées au crible, à la recherche de messages clés et de pistes pour les observateurs et pour les opérateurs économiques. Si Jouahri est optimiste, on sait qu'on peut lui faire confiance et que la situation, quelle que soit sa complexité, est récupérable. En «bon père de famille», Jouahri a toujours pris du recul par rapport aux «alertes économiques, pour focaliser sur le «durable». Depuis deux ans, la position de Jouahri est la même : un optimisme mesuré. Qu'en sera-t-il pour 2011 ? C'est cela que tous les regards qui ont suivi sa présentation devant le souverain et ses explications en marge de la rencontre avec la presse, suite au Conseil d'administration de BAM, cherchaient. L'optimisme mesuré serait-il en train de virer vers du pessimisme ou du moins une inquiétude prononcée ? À en croire son entourage, c'est effectivement le cas. Le ton est grave et le gardien du temple des équilibres macro-économiques et des fondamentaux a eu du mal à cacher son anxiété. Cela pour le symbole. Pour la symbolique, c'est le sens qu'on peut donner au timing et aux enjeux derrière le cérémonial qui entoure cette tradition annuelle. Cette année, le hasard des calendriers (et des agendas) a bien fait les choses. L'entrevue du gouverneur de la Banque centrale avec le souverain intervient à un moment où le Maroc entame un tournant majeur sur les plans politique et économique et où les recommandations de Bank Al-Maghrib à tous les niveaux de gouvernance de l'Etat, sont plus que précieuses. La crise conjoncturelle internationale est passée par là et le Maroc risque, à terme, d'y laisser des plumes s'il ne sait pas en saisir les opportunités à temps. Le printemps arabe a également soufflé sur la région et a imposé quelques arbitrages politico-économiques, qui ont laissé des séquelles dans les caisses de l'Etat. Les nouvelles dispositions de la Constitution et l'esprit du discours historique du 9 mars ont déclenché une série de réformes, notamment en matière de gouvernance, qui ont besoin d'être menées avec beaucoup de doigté pour relever le défi ... et la liste est longue, avec en prime des élections anticipées et de nouveaux challenges pour les partis politiques qui sont, en ce moment même, en train de s'activer pour préparer leurs programmes économiques et qui pourraient puiser dans le vivier «BAM», pour prendre un grand souffle. Ce sont autant de facteurs qui font que les lectures que fait et que peut faire le gouverneur de la Banque centrale de la situation actuelle mais surtout des évolutions futures, sont très attendues. L'attente va même plus loin. On se demande même si Bank Al-Maghrib ne devrait pas passer, vu le rythme avec lequel évolue le contexte économique en ce moment, à la vitesse supérieure et au lieu d'un rapport annuel, présenter un rapport semestriel, voire trimestriel ... pour être en phase avec les attentes des producteurs de croissance.