Pour la deuxième édition de sa nouvelle rubrique, "L'invité des Echos", Les Echos quotidien reçoit l'une des figures de proue du monde de l'entreprise au Maroc, à savoir Saloua Karkri Belkeziz, PDG de GFI Maroc et présidente d'honneur de l'AFEM. Dans cette interview exclusive, la députée USFP esquisse les principaux axes du programme politique porté par son parti. Evidemment, le volet économique y tient une place importante et la réforme du système fiscal en est l'outil social. Si pour Belkeziz, la PME marocaine n'est pas encore assez placée au centre de la création d'emploi, tout comme l'entreprise n'est pas suffisamment impliquée dans la formation de ses salariés, elle affirme que la fiscalité est au cœur de la démocratie. IR, IS, niches fiscales, politique industrielle, stratégies sectorielles... C'est sans complexe qu'elle dévoile les principaux points abordés dans le programme -en cours de finalisation- de l'USFP. «Nous sommes en plein cafouillage» Propos reccueillis par Aboubacar YACOUBA BARMA Les Echos quotidien : L'actualité reste dominée par la session extraordinaire du Parlement, ouverte en début de semaine. C'est l'adoption des lois électorales qui est très attendue, principalement la question de la liste nationale. Quelle est votre position par rapport à cette question ? Saloua Karkri B. : C'est un débat qui a le mérite d'exister. J'ai toujours milité pour la pleine implication de la femme dans tous les domaines. J'estime que c'est avec la politique qu'on peut réellement changer les choses. J'ai effectivement eu l'opportunité d'être élue sur la liste nationale et je reconnais qu'il s'agit d'une confiance de ma formation politique et d'une faveur des partis politiques. Cependant, mon expérience m'a révélé que les femmes restent marginales au sein du Parlement, mais aussi, que les autres collègues ne nous traitent pas sur le même pied d'égalité que si nous avions été élues directement à travers une circonscription électorale. Lorsqu'il s'agissait de faire le bilan de mes quatre ans au Parlement, j'étais un peu frustrée, parce que je me suis posée la question de savoir, qui j'ai représenté vraiment. Il est vrai, j'estime avoir concrètement travaillé dans le domaine de la lutte contre la corruption ou la promotion des PME, j'ai même soumis deux propositions de loi dont une a été adoptée. Lorsque la nouvelle Constitution est arrivée, je me suis sentie enfin soulagée, puisque je l'ai interprétée différemment du débat actuel. Pour moi, il était question de favoriser la parité dans tous les domaines, à travers des mécanismes de participation directe. Que reprochez-vous à ce mécanisme qui avantage pourtant les femmes et les jeunes? En 2002, c'était un accord entre les partis, mais cette fois, il s'agissait d'une disposition constitutionnelle qui parle de non discrimination et d'élection directe. Je suis pour des mécanismes discriminatoires favorisant les femmes, pas à travers la liste nationale, mais selon des mécanismes d'élections directes. Cela aurait plusieurs avantages. D'abord, nous aurions l'occasion de nous battre, à armes égales, avec nos collègues femmes des autres partis, à défaut de pouvoir s'affronter avec les professionnels des élections qui justifient d'une expérience de plus d'une trentaine d'année. Ensuite, cela aurait permis d'assurer une représentativité meilleure que celle de 2002, puisqu'on serait parvenu à un taux tout à fait réaliste de 30%. Notons aussi, qu'avec le projet actuel, nous allons assister à une augmentation du nombre de sièges au Parlement, ce qui aura des conséquences sur l'homogénéité de la majorité et donc, du gouvernement. Les résultats de 2007, inférieurs à ceux de 2002, ont démontré les limites de la liste nationale, qui était provisoire et transitoire. Il ne s'agit pas d'un acquis et, à mon avis, il aurait mieux fallu évaluer les retombées de l'expérience menée jusque-là, avant de décider de sa reconduction. Là, nous sommes en train de faire empirer les choses, parce que nous répliquons avec les jeunes ce que nous avons fait avec les femmes. Honnêtement, cette liste nationale ne nous satisfait pas. Vous semblez pessimiste quant à l'issue des réformes politiques... Je ne suis pas pessimiste, mais réaliste. Les choses vont changer dans le bon sens, mais ce n'est pas en deux mois qu'on va tout changer. Pour preuve, malgré les efforts déployés, dès la publication de la date du 25 novembre, les «professionnels des élections» ont eu le regard tourné vers cette échéance. Nous sommes en plein cafouillage. Cela n'est-il pas dû à la conjoncture du moment, qui appelle à des actions urgentes pour répondre aux revendications populaires? C'est un prétexte qui ne tient pas. C'est bien d'accélérer les choses avec la nouvelle Constitution, mais la précipitation pour calmer la rue est un faux argument. Les jeunes qui manifestent ne sont pas intéressés, à mon avis, de siéger au Parlement. Ils sont plutôt indignés par l'injustice sociale, la corruption et le manque d'emploi et de sérieux des politiciens. Il est vrai que la conjoncture régionale a pesé, mais ce qu'il aurait fallu, c'est donner une certaine visibilité aux citoyens, afin de les rassurer. Le roi a insisté sur un agenda politique, pas sur des élections précipitées. À titre symbolique, j'aurais souhaité un délai d'un an après le discours royal du 9 mars avant d'aller aux législatives. Cela aurait permis d'adopter sereinement la loi de finances pour la prochaine année et la vingtaine de lois organiques qui attendent d'être adoptées pour mettre le train des réformes en marche. Pourtant, il y avait eu un consensus entre les partis sur ce point... Il n y a pas eu de consensus. Il est impossible d'obtenir un accord entre une trentaine de partis politiques et cela a conduit le ministère de l'Intérieur, en tant que coordinateur, à trouver une position intermédiaire pour faire passer le texte au Parlement. C'est tant mieux, puisqu'en cas de consensus, le Parlement n'aurait rien à faire, ce qui n'est pas conforme aux dispositions de la nouvelle Constitution, selon lesquelles c'est au Parlement de légiférer. Nous ne sommes pas les seuls à émettre des réserves et pour l'USFP, nous allons déposer nos propositions d'amendement dès ce lundi, à l'occasion de l'examen du projet de loi au niveau de la commission de l'Intérieur. À défaut d'un accord, nous passerons alors au vote en séance plénière, conformément aux principes démocratiques. On n'a pas également entendu l'USFP, par rapport à l'émergence du pôle libéral en cours de constitution... Il est vrai que nous avons, parfois, un déficit en matière de communication. À notre niveau, nous estimons qu'il s'agit d'une alliance contre nature. Il aurait mieux valu attendre l'arrivée à échéance de la coalition gouvernementale actuelle et son bilan, avant de décider d'une quelconque alliance. Le gouvernement était parti sur de mauvaises bases dès le départ, en 2007, ce qui fait qu'il s'agit d'une équipe assez hétérogène, avec des partis de gauche et de droite et même ceux qui étaient supposés appartenir à l'opposition. Dans ce cas, pourquoi être resté dans ce gouvernement ? Parce qu'il y avait un accord préélectoral entre les partis de la Koutla pour faire front commun et qu'à l'USFP, nous passons, toujours, l'intérêt du pays avant celui du parti. Quel bilan tirez-vous globalement de la participation de votre parti au gouvernement ? C'est difficile de faire le bilan d'un gouvernement qui comme je l'ai dit était, dès le départ assis sur de mauvaises bases. Néanmoins, en reprenant la déclaration de politique générale du gouvernement de 2007, un certain décalage se dégage. Par contre, je suis fier des réalisations des ministres de notre parti au sein de ce gouvernement, qui ont pu initier plusieurs actions contenues dans notre programme politique. On aurait certainement pu faire mieux, mais il ne faut pas perdre de vue les contextes national et international marqués par des crises économiques et financières. Pourtant, le passage du premier secrétaire national de l'USFP à la tête du département de la Justice ne s'est pas traduit par des actions concrètes, alors qu'il s'agissait d'un domaine prioritaire et sensible... La majorité des projets de loi en cours de validation actuellement par le département de la Justice ont été élaborés pendant le mandat de Radi. C'est le circuit et l'environnement qui ont, peut-être, bloqué leur mise en œuvre, mais nous avons réalisé beaucoup plus que ce que les gens pensent. C'est pourquoi je souhaite que le travail législatif puisse, au sortir des prochaines élections, avoir un nouveau sens, avec une majorité homogène de 3 ou 4 partis pouvant être jugés et dont les actions pourront être évaluées. Cela dépend, évidemment, de la manière dont la Constitution sera mise en oeuvre. J'estime pour ma part que nous avons plus besoin d'une nouvelle génération de réformateurs que d'une nouvelle génération de réformes. Allez-vous vous représenter aux prochaines élections ? Je ne suis pas encore sûre de me présenter. Tout dépend du contenu de la loi organique sur la Chambre des représentants. Deux possibilités s'offrent à moi pour me présenter : soit sur la liste nationale, soit dans ma ville. La configuration actuelle du découpage électoral ne m'encourage pas à tenter l'expérience. Pensez vous que l'USFP se rattrapera lors des prochaines élections de son score décevant de 2007? Tout dépend de la participation électorale. Si les gens votent, surtout les classes moyennes, l'USFP fera de bons résultats et a de fortes chances de figurer en tête des élections. Notre parti a beaucoup de sympathisants qui sont de coeur socialistes, mais qui militent à l'extérieur parce qu'il y a eu, à un moment, un certain mécontentement de notre base. Mais nous sommes en train de nous rattraper et les militants commencent à revenir. L'USFP est l'un des seuls partis à n'avoir pas besoin de recruter de nouveaux membres, mais qui a juste besoin de rassurer. Pourquoi ne pas faire front commun avec vos alliés de la Koutla ? Pas avec la Koutla seulement, mais avec tout le pôle de gauche. Il y a une commission commune qui travaille, d'ailleurs, dans ce sens pour étudier les différentes possibilités comme cela découle de notre dernier congrès. C'est d'ailleurs l'enjeu de la session actuelle du Parlement, qui va dessiner la future carte politique du pays. Lire aussi: La fiscalité, cheval de bataille de l'USFP Nabil Benabdellah, sans concessions