L'écrivain Tahar Benjelloun./DR L'écrivain Tahar Ben Jelloun réagit à la crise entre le Maroc et la Suède. Et il n'est pas tendre avec notre diplomatie, à laquelle il recommande d'emboîter le pas aux... méthodes algériennes. Il faut apprendre le suédois, pas la langue, ce serait long et compliqué, mais la mentalité de ces pays nordiques qui ont des traditions humanistes assez ancrées dans leurs habitudes. Quand El Khalfi, ministre de la Communication (!), menace la Suède : «Les Suédois vont tout perdre s'ils ne revoient pas leur position», il ne se rend pas compte de ce qu'il dit. L'art de la diplomatie est une science. Les mots sont pesés avant d'être utilisés. La balance est dans la tête. Comment être ferme sans paraître menaçant ? Comment dire les choses essentielles sans avoir l'air d'être en colère ? Cela s'apprend. Dans l'affaire de la Suède et l'éventualité que son gouvernement puisse un jour reconnaître un «Etat» dans nos territoires du Sud, le Maroc s'est soudain réveillé alors qu'un travail de fond et de longue durée aurait dû être fait depuis longtemps pour convaincre avec rationalité et preuves historiques non seulement les autorités suédoises mais aussi la classe politique et la société civile de ce pays. En tout cas ce n'est pas en s'énervant qu'on pourra avancer et ramener la Suède à notre thèse. Le magasin Ikea est certes suédois, mais c'est une affaire privée. Ikea ne représente pas la Suède. Le gouvernement n'intervient pas dans le développement de ce produit. En outre, je crois savoir que le magasin qui devait ouvrir ses portes à proximité de Casablanca est une franchise où il y aurait des investisseurs koweïtiens. Le commerce est une chose. La diplomatie en est une autre. Depuis cette affaire, les responsables suédois ne cessent de rassurer le Maroc sur leurs intentions dans le dossier du Sahara. Ce n'est pas en envoyant tout d'un coup une délégation de représentants de la classe politique marocaine à Stockholm que l'affaire sera apaisée et surtout réussir à faire changer la politique étrangère de ce pays. Ce que les Marocains auraient dû faire c'est ce que fait depuis 40 ans l'Algérie. Je dirais même que le Maroc aurait dû emboîter le pas au lobby pro-algérien depuis bien longtemps et être non pas sur la défensive comme s'il était coupable. Or, je crois savoir qu'il n'y avait pas d'ambassadeur à Stockholm depuis pas mal de temps. Ceci est une faute grave. Nous savons tous que les services algériens sont plus dynamiques, plus offensifs, tout en étant discrets et font les pires choses en douce. Il faut que les Marocains le sachent et en tirent les conséquences en changeant de politique. Il se trouve que dans la même semaine, une série d'émissions dont le caractère antimarocain est évident a été programmée : jeudi, France 2 «Complément d'enquête» à propos des «journalistes» Laurent et Graciet ; jeudi, une charge sur France 3 contre le Maroc, vendredi, toute une émission sur France Inter où la parole a été généreusement donnée à des «spécialistes» du dénigrement de notre pays où nous retrouvons à peu près les mêmes intervenants des autres émissions. Il va falloir se réveiller et opter pour une politique du «droit de réponse». Répondre à ceux qui mentent, rectifier les faits, dire la vérité, et en plus penser en amont en prévoyant ce genre d'attaques qui, sous couvert de journalisme, sont au fond des tentatives pour salir le Maroc et entraver son évolution. Il n'est pas question de dire que tout va bien au Maroc, mais on ne peut pas tolérer qu'on ne voit de ce pays que les choses susceptibles de le salir. Il est temps de confier l'image du Maroc à une société étrangère dont le métier est d'anticiper ce genre de bashing et d'être tout le temps en éveil pour que le Maroc soit rétabli dans son image authentique. Le fait que ce pays échappe aux désastres actuels, celui du terrorisme et de la guerre, est apparemment insupportable pour ses ennemis. Il faut en convenir : on ne peut pas être aimé de tout le monde, mais tout le monde doit respecter un pays, un peuple et son histoire. Pour y arriver, le Maroc devrait inscrire ce travail de rétablissement de la vérité parmi ses priorités. Cela commence par reconnaître nos erreurs, nos faiblesses, nos failles et cesser de se plaindre. Le lobby antimarocain est puissant, dispose de grands moyens, et joue sur du velours, car souvent le Maroc n'est même pas là pour répondre aux diffamations.