Fadi CHEBLI Senior Manager Retail & Consumer Goods chez Kurt Salmon Les ECO : Nous assistons depuis peu à l'arrivée de nouvelles enseignes, venues se greffer à la dynamique de création de malls au Maroc. Comment cela se reflète-t-il sur le secteur de la distribution ? Fadi Chebli : Effectivement, nous avons assisté à l'émergence de grands groupes de distribution dans les dernières années. Et contrairement à ce qui se passe en France ou en Europe en général, le marché est en forte croissance avec une vitalité pérenne du secteur et ce, sur les 15 prochaines années. D'ailleurs, le nombre d'ouvertures de nouvelles surfaces (de 20 en 2000 à 250 en 2012) s'accélère ces dernières années et les projections sont encourageantes avec 600 ouvertures prévues d'ici 2020. Cependant, la distribution moderne au Maroc en est à ses débuts. Et dans ce contexte de marché extrêmement important, les distributeurs marocains ont une chance historique : celle de faire les bons choix dès le départ. Que ce soit la supply chain et le circuit de distribution, le choix des emplacements, le choix des formats ou les systèmes d'information, le standard est très vertueux. Et il est important de capitaliser sur les expériences en Europe. Il est important par ailleurs de souligner que la valeur ajoutée de la distribution est essentielle dans une économie moderne pour les producteurs agricoles et industriels, pour les salariés et pour les consommateurs. C'est en partie grâce à la distribution de masse que l'industrie a réalisé des gains de productivité décisifs. La distribution est aussi un recruteur important, quelle que soit la conjoncture économique. Qu'en est-il de l'importance de la fonction achats dans ce secteur au Maroc ? Dans la distribution, la fonction achat est centrale et impacte très directement la rentabilité de l'entreprise. Un ou deux points de marge gagnés sur les achats se retrouvent directement dans l'EBITDA. De plus, le rôle de l'acheteur ne se cantonne pas uniquement au sourcing et à la négociation, mais englobe une partie de la construction de l'offre - dans ce cas de figure, son rôle est également de s'assurer de la pertinence de l'offre produit. Au Maroc, sur l'essentiel des enjeux majeurs de la fonction achats, le secteur retail vit les mêmes problématiques. En revanche, certaines spécificités existent : Un certain nombre de retailers marocains étaient et sont toujours liés par des accords avec des centrales d'achat françaises et délèguent donc à celles-ci la responsabilité de négocier les meilleurs tarifs pour une partie de leur assortiment en tout cas. Cependant, nous considérons qu'il faut en permanence se reposer la question de la pertinence de ce modèle. Les enseignes marocaines ont en tout cas la maturité suffisante pour prendre en main l'ensemble de leurs achats. L'autre spécificité concerne le panel de fournisseurs, notamment pour le sourcing local. La maturité de ces derniers n'est pas toujours à la hauteur de ce que peut attendre la distribution moderne ; que ce soit en termes de fiabilité, de taux de service, de logistique mais aussi de systèmes d'information... Certains fournisseurs locaux ont encore des progrès à faire. Le rôle de la distribution moderne est aussi de les accompagner dans cette évolution. Selon vous, est-ce que les entreprises marocaines du secteur sont prêtes à la transformation de leur mode de fonctionnement ? De nombreuses initiatives en cours chez les distributeurs témoignent de leur volonté d'adaptation. Et les franchises qui arrivent au Maroc vont et ont déjà imposé de nouvelles règles. Le consommateur marocain, urbain, jeune et au niveau de revenus suffisant, souhaite le même niveau de service et la même expérience client qu'il peut connaître ailleurs dans le monde. Cela impose à la distribution locale de s'adapter... ou de disparaître, à l'image de ce qui s'est passé en France où, pour le textile notamment, les distributeurs indépendants multi-marques ont vu leur part de marché s'effondrer face aux «verticaux» / marques-enseignes. Pour rester dans la course dans un secteur de plus en plus concurrentiel, ces entreprises doivent progresser vers une meilleure gestion de leurs propres services, mais également innover en permanence, fidéliser, promouvoir et renforcer l'image de marque. Par exemple, l'agencement des magasins doit être fréquemment repensé et de nouvelles offres et services mis à la disposition des clients. Comment se traduit concrètement la performance des achats directs dans le retail ? La maîtrise des processus et des coûts d'achats constitue un levier de performance de tout premier plan pour les entreprises du secteur. Comment faire progresser le niveau de maturité d'une organisation achat pour mieux maîtriser la gestion des risques tout en optimisant la performance ? Quelle métrique d'évaluation du coût global d'achat choisir pour refléter l'impact réel des actions achat sur la performance de l'entreprise ? Quel type de contrat faut-il passer avec ses fournisseurs pour assurer un gain tant financier que qualitatif à court, moyen et long termes ? Mesurer sa performance, c'est se donner l'opportunité de l'améliorer par le «reengineering» du processus d'achat. Et les gains de productivité résultant d'un processus de mise à niveau de la fonction achats peuvent aller de 10 à plus de 35% du coût global sur l'ensemble du cycle de vie d'un produit ou d'un service. La digitalisation des modes de consommation et la recherche de la performance opérationnelle s'imposent au secteur du retail... Même si la structure sociologique marocaine est encore différente de ce que nous connaissons par exemple en France, le marocain a la réputation d'être «un early adopter» et son comportement d'achat évolue rapidement. Les chiffres du commerce en ligne le prouvent : une croissance de 100 %/an, un volume de 200 MDH pour 2012, avec presque la moitié des transactions dédiées au shopping. Aujourd'hui de nombreux sites de retail en ligne ou encore d'achats groupés ont vu le jour et se présentent comme les pionniers de ce nouveau canal de distribution. Bien entendu, les modes de consommation évoluent au Maroc et une partie croissante de la population a désormais accès à la distribution moderne et se rend dans des enseignes comme Marjane, Acima ou Label'Vie pour faire ses courses. Ce sont les mêmes personnes que l'on voit arpenter les allées du Morocco Mall à Casablanca. Pour ces personnes aux habitudes de consommation proches des occidentaux, avec un taux de pénétration Internet élevé, les distributeurs ont tout intérêt à réfléchir à une stratégie digitale adaptée à leurs besoins. Dans le contexte marocain, où l'achat en ligne peut être freiné par différents facteurs (taux d'équipement en carte de paiement, sécurité paiement en ligne, fiabilité des livraisons, etc), des concepts tels que le Drive qui connaît un succès croissant en France, peuvent être intéressants. La grande distribution a donc tout intérêt à se positionner dès maintenant sur ces différents canaux et à répondre aux nouvelles exigences du consommateur, notamment dans des villes comme Casablanca et Rabat, où les impératifs liés au temps notamment peuvent justifier le développement du drive. Mais il est également important de rester imprégné de la réalité du terrain et de prioriser au départ les fondamentaux.