L'implantation de trois grands cabinets anglais -Allen & Overy, Clifford Chance et Norton Rose- au Maroc continue de susciter de vifs commentaires au sein de la profession des avocats d'affaires. Dans le milieu, on estime que les structures locales -une dizaine au total- auront beaucoup de mal à faire face à cette concurrence internationale. Si il y a quelques années, celles-ci gardaient leurs places dans le top ten, en 2011, seul le cabinet Naciri a réussi a préserver son rang dans ce classement, grâce notamment à son rapprochement avec le français Gide Loyrette Nouel. Les autres ont accusé un réel recul au profit des nouveaux cabinets internationaux, parmi lesquels Lefèvre Pelletier et Associés, UGGC et Associés, August et Debouzy Bennani, CMS Bureau Francis Lefebvre et Garrigues Maroc Sarl. «Les avocats d'affaires marocains sont et seront davantage écartés des grosses affaires», estiment certains avocats, qui ne voient pas d'un bon œil cette cohabitation qui s'annonce des plus complexes. Cette montée en puissance de la concurrence se traduira certainement par un jeu de chaises musicales chez les professionnels. C'est d'ailleurs l'expérience que vient de vivre le cabinet Gide Loyrette Nouel. Le cabinet français vient, en effet, de perdre simultanément ses deux associés marocains, qui rejoindront A&O à la fin de l'année. «À l'origine de ces défections, la garantie de meilleurs revenus et l'attrait d'un réseau internationalement reconnu», soulignent les professionnels. Du coup, il y a lieu de s'interroger sur l'avenir des cabinets d'avocats d'affaires marocains. Un marché porteur Auprès des principaux concernés, on tente de relativiser l'impact de l'introduction des cabinets internationaux. «Le marché est porteur et il n'y a pas suffisamment d'avocats d'affaires qui pourront satisfaire la demande», constate Mohamed Teber, avocat d'affaires chevronné. Chez son confrère Hamid Andaloussi, dont le cabinet est classé également dans le top dix des cabinets d'avocats marocains, la nouvelle est accueillie avec beaucoup de philosophie. «Grâce à leur expérience et à leur spécialisation, les cabinets internationaux vont apporter un plus à la profession, en termes d'expertise, à condition qu'ils respectent la législation marocaine», ajoute-t-il. Il y a lieu de préciser que les cabinets d'avocats d'affaires s'installent, pour le moment, en tant que prestataires de services (consultants ou conseillers juridiques). «En vertu de la liberté de commerce et d'industrie, cela ne pause aucun problème et ne concerne pas directement les avocats», explique Mohamed Teber. Et d'ajouter : «la législation encadrant la profession interdit le recrutement d'un avocat inscrit à l'un des barreaux des villes marocaines par une société commerciale. De même en ce qui concerne l'association». Autrement dit, avant d'intégrer un cabinet de conseil juridique, l'avocat doit déposer sa démission auprès du barreau. «Un deuxième problème qui se pose également est celui du bureau secondaire. Car il faut savoir que, même si ces cabinets tentent de passer par l'un des barreaux des villes marocaines, ils n'ont pas le droit d'exercer le métier au Maroc, pour la simple et bonne raison que l'avocat ne doit pas avoir deux bureaux et il ne peut guère être inscrit dans deux barreaux en même temps», expliquent des avocats. «Si nous allons assister à d'autres implantations, nous devons changer de législation, afin que tous les cabinets d'avocat puissent profiter de l'aubaine des rapprochements avec les cabinets internationaux. L'objectif est de préserver leur part de marché», soulignent-ils. Pour Hamid Andaloussi, «le patriotisme n'a pas lieu d'être. Pour s'aligner à cette rivalité étrangère tout en respectant la loi, les cabinets marocains doivent penser sérieusement à des formes de rapprochement, non seulement entre les cabinets d'avocats d'affaires nationaux, mais également avec les notaires et les experts en comptabilité et fiscalité. Cette structure leur permettra de proposer une offre complète et compétitive». Cet avis est partagé par plusieurs avocats d'affaires. C'est le cas de Mohamed Teber. Ce dernier trouve que le meilleur moyen pour que les cabinets marocains évoluent est de s'investir en formation complémentaire à l'international, de se débarrasser des coutumes du métier, et d'aller chercher le client là ou il est. «En réalité, le rapprochement ne peut représenter une solution en soi», déclare-t-il. Cet avis est confirmé par un autre avocat qui a préféré, lui, l'anonymat : «Les avocats marocains ne peuvent penser un mouvement de regroupement ou de repositionnement parce que dans notre milieu, le business ne se fait pas en fonction de la compétence de l'avocat, mais plutôt en fonction de la qualité de son réseau». Point de vue: Hamid Andaloussi, Avocat d'affaires Il est nécessaire de s'adapter à la concurrence internationale. C'est dans cette optique que nous assistons aujourd'hui à une mutation de l'arsenal juridique. L'arrivée des cabinets d'avocats d'affaires étrangers s'explique par l'intégration de l'économie marocaine au marché mondial. Les juristes d'affaires doivent jouer leur rôle dans l'accompagnement des opérateurs marocains dans leur développement et des investisseurs étrangers qui font le choix de s'installer sur le marché national. C'est cette dynamique économique qui explique l'intérêt affiché par des cabinets de conseil internationaux au marché marocain. Nous n'en sommes qu'au début. En réalité, ce mouvement ne représente pas un vrai risque pour les cabinets marocains, car il existe peu de structures marocaines spécialisées dans ce domaine. Cette rivalité ne serait que bénéfique pour notre profession et pour notre économie, à condition que ces cabinets respectent les procédures. En tant que juristes marocains, nous connaissons le droit marocain au niveau de la pratique dans les tribunaux et au niveau du conseil. À ce titre, nous jouissons d'un avantage par rapport aux cabinets étrangers qui, eux, ne font que du conseil. Pour combler leurs lacunes, les avocats marocains sont appelés plus que jamais à se restructurer et à améliorer leur offres, car malheureusement, à l'avenir, il y aura sans doute une concurrence rude, qui pourra écarter les nationaux des grosses affaires. Toutefois, il ne faut pas être trop pessimiste, car cette concurrence servira certainement au décollage de ce marché. Cherche profils qualifiés désespérément Au Maroc, peu de formations répondent aux besoins des cabinets d'avocats d'affaires. Un juriste d'affaires au «standing» international doit impérativement maîtriser le français et l'anglais. «Il doit faire preuve de souplesse et être en mesure de s'adapter», explique un avocat d'affaires. Une chose est sûre : le marché marocain manque de profils d'avocats d'affaires qualifiés. Ce facteur représente un sérieux handicap, aussi bien pour les cabinets nationaux qu'internationaux. Pis, «même un avocat qui fait état d'une longue expérience ne pourra pas remplir les critères d'exigence des cabinets étrangers», souligne-t-on au sein de la profession. Et d'ajouter : «pour être recruté par les cabinets étrangers, un avocat d'affaires doit bénéficier le plus souvent de deux types de références : un diplôme d'une grande école de commerce et une solide formation en droit national et international». Cela veut dire qu'il est difficile de dénicher sur le marché marocain des profils d'avocats spécialisés disponibles. Un juriste d'affaires doit non seulement maîtriser les bases juridiques, mais également la finance et le commerce international, puisqu'il est censé comprendre et maîtriser les restructurations, les montages financiers, les opérations de fusion-acquisition, etc. «Pour l'heure, on continue de former des juristes déconnectés de la réalité économique du pays et de l'économie mondiale. Il y a donc un effort à fournir au niveau de la formation des juristes», précisent des avocats d'affaires. «Les cabinets marocains doivent dénicher les secteurs les plus porteurs»: Mohamed Teber, Avocat d'affaires Les Echos quotidien : Comment s'explique le grand intérêt que portent les cabinets internationaux d'avocats d'affaires au Maroc ? Mohamed Teber : Le potentiel de l'économie est à l'origine de ces décisions d'implantation des cabinets étrangers au Maroc. Autrement dit, dans un contexte de mondialisation qui se traduit par l'arrivée des investisseurs étrangers, ces juristes se retrouvent contraints de se faire représenter au Maroc, afin de remplir leur rôle d'accompagnement de leurs clients ayant fait le choix d'investir le marché national. En quoi le marché marocain est-il porteur ? Nombreux sont les secteurs d'activité qui sont en plein développement, et ce n'est que le début. Donc, il y a un marché très porteur, qui pourra générer de l'activité pour tous les cabinets. Il faut dire que nous avons des avocats très compétents, mais qui restent insuffisants pour répondre à la demande. Faut-il parler d'une concurrence entre cabinets marocains et étrangers ? Pour le moment, nous ne pouvons pas parler de concurrence. Certes, ce sont des cabinets bien outillés et dotés d'une expérience internationale, mais cela n'empêche que nous maîtrisons plus qu'eux l'environnement juridique marocain, ce qui, évidement, représente un avantage comparatif en notre faveur. Le seul problème qui se pose, actuellement, et auquel nous ne trouvons pas d'explication, c'est la forme juridique à travers laquelle ils s'installent sur le marché marocain. Pouvez-vous nous expliquer davantage ce problème ? Ces cabinets intègrent le Maroc en qualité de cabinets de conseil juridique. Cela ne représente aucun problème, dans la mensure où ça ne concerne pas d'une façon directe la profession. Le conseil de l'ordre des avocats au Maroc n'a de compétence que sur l'exercice des avocats inscrits au barreau. Le fait qu'un avocat marocain exerce au sein d'un cabinet commercial sans avoir déposé sa démission au préalable auprès du barreau est un acte illégal. Selon-vous, quelles sont les stratégies que doivent mettre en place les cabinets marocains pour faire face à la concurrence internationale ? Il n'y a pas de recette magique. Actuellement, nous n'avons pas besoin de stratégie pour nous repositionner sur le marché, mais plutôt d'une implication de la part des avocats nationaux. Ces derniers sont appelés à développer leur connaissances linguistiques et juridiques, notamment au niveau du droit international des affaires. Nous devons aussi dénicher les secteurs les plus porteurs, ce qui n'est pas le cas actuellement.