La fonction des médias se reconfigure de par l'effet des nouvelles technologies, de la mondialisation et de l'émergence de nouveaux pôles d'influence. Nous vivons dans un monde au sein duquel l'information est de plus en plus prédominante, élaborée et diffusée par divers acteurs pouvant parfois, à travers des blogs ou des forums, orienter l'opinion publique, voire les décisions gouvernementales. Dans un contexte de «crise de confiance» touchant la presse et les médias traditionnels, les canaux de l'interaction et de l'immédiateté prennent de l'envergure. En effet, les régimes totalitaires ont fait un usage massif de la propagande politique et des moyens de communication de masse, tant ils étaient acquis à la conviction de leur puissance dans le formatage idéologique du peuple. Il s'agit de la «théorie du modèle linéaire», où les médias injectent, à l'instar d'une seringue, des idéaux et des schémas de pensées à des personnes dépourvues de sens critique et d'analyse. Surinvestis, surexploités, ces médias traditionnels et leurs instigateurs ont rompu le pacte de confiance entre celui que l'on peut désormais appeler le «consommateur» et «l'informateur». Ce dernier n'essaie plus d'informer d'une manière objective. Il tente d'amener son destinataire à penser de la même manière que lui. Pourtant, «informer» signifie «enrichir» et aucunement «uniformiser». Déontologiquement, l'information doit être objective et indépendante. Cependant, des médias agissent en surfant sur la démagogie et la dictature de l'audience, sans discernement. La conséquence en est leur discrédit et cette laborieuse œuvre de leur re-crédibilisation... Dans le monde arabe, les abondants médias sont pour l'essentiel contrôlés par les pouvoirs politiques. La liberté «ne peut être que toute la liberté; un morceau de liberté n'est pas la liberté», disait Max Stirner. Cela soulève la question de leur authenticité, de la validité de leurs prises de positions : représentent-ils l'opinion publique ? La globalisation et la régionalisation ont mis en branle cette situation, dans la mesure où les citoyens parviennent à des sources d'information en dehors de leur territoire national. Ainsi, l'emprise des pouvoirs politiques nationaux s'en trouve desserrée. L'expansion de l'Internet est portée par une vague de fond : la libération de la parole en marge des territoires balisés de l'information officielle. Le nouveau media est donc particulièrement favorable à un dépassement de l'espace public classique. Il favorise des échanges argumentatifs affranchis de censures. Contestant le monopole des «discours officiels», les blogs permettent à des citoyens divers de participer aux débats, de produire librement des informations, des commentaires sur des sujets publics, auxquels «ils ne peuvent accéder naturellement». Ainsi, «l'Internet réinstaure la jonction territoriale en la recentrant sur le e-citoyen». Chacun peut devenir producteur d'informations et de savoir, inventer des formes de mobilisation collective et de critique sociale... Les élites habituelles, adeptes de la langue de bois, sont ipso facto remises en cause. Les médias de l'immédiateté deviennent, indubitablement, un moyen d'expression qui part du peuple vers le peuple : une forme de communauté de destin les unit ! Toutefois, avec la multiplication des blogs, des réseaux sociaux, des sites de toute nature, nous assistons à un éclatement de «l'espace public jadis plus maîtrisé et contrôlé». L'élargissement de cet espace s'est accompagné d'une fragmentation constituée de niveaux très distincts, de différentes opinions publiques allant de celles populaires à celles des experts. Le public prend la parole sans qu'on lui demande de le faire, sans attendre d'autorisation. Il l'investit d'autre part avec le langage de tous les jours. La conséquence de cet élargissement est, aussi, l'éparpillement des lieux de dialogues et d'échanges. Il est potentiellement une extension de la démocratie. Il faut savoir l'approcher, sans diabolisation ni stigmatisation qui risquerait le repliement de certains groupes sur eux-mêmes, ainsi que leur «extrémisation». Une extraordinaire révolution des médias électroniques est en train de s'opérer. Elle décompose et recompose l'espace public habituel, évoluant vers un espace plus large, où les citoyens sont plus actifs et plus expressifs. Comme toute innovation, celle qui se déroule sous nos yeux est pleine d'embûches, de résistances et d'effets rétifs. Cependant, elle ouvre aussi une nouvelle forme de démocratie, qu'il faut cerner et intégrer dans un projet de société moderne, ouverte sur tout ce qui est en mesure de revitaliser ses instances et de la réconcilier avec ses citoyens.