Bob Maghrib Groupe musical. Ils sont 6, n'ont pas connu Bob Marley de son vivant et pourtant ils lui rendent hommage en revisitant ses plus grands titres avec des instruments marocains et des sonorités du pays. Un travail original que le «prophète» du rastafarisme aurait sûrement béni. Découverte ou redécouverte d'un reggae aux couleurs du Maroc. 32 ans, ça se fête et souvent en musique. Surtout quand il s'agit d'un personnage qui a marqué l'histoire de cette musique. C'est comme cela qu'est né Bob Maghrib, une résidence de création qui rassemble un collectif de musiciens de la scène des musiques actuelles au Maroc. Lancé en 2011, à l'initiative du musicien Hicham Bajjou et organisé par l'association EAC-L'boulvart, le projet de «revival» revisite les morceaux les plus révolutionnaires et engagés de Bob Marley pour marquer le trentenaire de la mort de celui qui aura démocratisé le reggae et le rastafarisme dans le monde entier sur fond d'histoire commune et de la cause africaine qu'il a portée au sommet tout au long de sa carrière. «Bob Maghrib, c'est également le travail d'une génération sur celui d'une autre génération puisque les musiciens de ce collectif n'ont pas connu Bob de son vivant. Il serait alors davantage question d'un héritage, au même titre que l'héritage des Nass El Ghiwane. Deux musiques des 70's, porte-drapeaux des résistances culturelles de leur époque et des mêmes aspirations et engagements identitaires de liberté, de justice sociale et de respect de la condition humaine, dans deux anciennes colonies. Cela étant, le défi de la résidence de création Bob Maghrib consistait à s'approprier le travail de Bob Marley d'abord par un travail de reconfiguration musicale, qui a conduit à remplacer tous les instruments - sauf la batterie - par des instruments traditionnels marocains, en y apportant les modifications techniques nécessaires, puis un travail d'arrangement pour faire fusionner les deux univers musicaux», confie l'initiateur du projet, Hicham Bajjou qui a su s'entourer de cinq musiciens de talent, tous multi-instrumentalistes, spécialistes de musiques traditionnelles mais à la fois maîtrisant une musique occidentale dont ils sont imprégnés depuis leur naissance. Un collectif intéressant de Marocains de différentes régions, d'univers musicaux différents mais qui se rejoignent dans les «roots» de l'Afrique, dans le reggae, dans l'essence de Bob Marley. «La démarche de reconfiguration musicale adoptée ne consistait pas à remplacer un instrument par un autre ressemblant, mais à remplacer les instruments de reggae conventionnels avec les instruments utilisés dans les musiques marocaines, tout en préservant les nuances de toute leur identité musicale, africaine, amazighe et arabe, avec le souci majeur d'actualiser et de moderniser ces instruments traditionnels ou du moins certains d'entre eux, comme le Guembri, l'ghaïta et l'outar. Ces instruments, à l'origine acoustiques, ont subi entre autres améliorations techniques, rajouts de cordes, changement de manche arrondi traditionnel vers un manche aplati moderne, mais en restant fidèle au son originel de chaque instrument. Un travail rendu possible grâce notamment à l'avantage offert par les musiciens du collectif pour leur majorité double voire triple instrumentistes et maîtrisant les deux univers musicaux, traditionnel et actuel. Dans les faits, chaque morceau du répertoire revisité a ses instruments», explique Hicham. En effet, le rihab qui est un instrument monocorde de la musique traditionnelle amazigh ou le banjo, instrument à corde berbère de l'Atlas se marient avec des instruments gnaouis tel que la hajhouj ou le guembri, la ghaïta, instrument à vent à anche double ou encore les instruments à sonorités orientales comme le Oud ou le ney. Un mélange orientalo-marocain au service de la musique africaine qui est sublimé par la créativité des musiciens, comme cet instrument construit de toute pièce à mi-chemin entre le Ukulélé et le Hajhouj : le guembrilélé. «Le travail sur la musicalité tient ensuite son originalité de l'approche du collectif qui tient à marier les rythmes et les mélodies des Wailers et de Bob Marley avec les rythmes et mélodies du Maroc, dans le but non pas de changer ou de remplacer, mais de fusionner deux cultures qui restent très proches de par leur origine africaine commune et surtout lorsqu'il s'agit de musiques de transes», continue le leader du groupe. De «Concrete jungle» à «Africa unite» en passant par «Them belly full», «War», «No more trouble», «Wake up and live», «So much trouble in the world», «Natural mystic», «Survival» ou les plus connues «Is this love», «Could you be loved» ou encore «Get up stand up», les chansons de Bob gardent leur âme tout en étant porteuses de rythmes fusionnés et sont chantées en arabe même par l'initiateur du projet, et celui qui est considéré comme l'un des plus anciens musiciens parmi les plus belles voix de la scène des musiques actuelles au Maroc : Hicham Bajjou. Au guembrilélé, aux percussions et au chant, il a démarré son parcours musical au milieu des années 90 comme vocal du groupe de rock «Total Eclypse», avant de prendre un virage vers la world music avec les formations «Kingstoune» puis «Dayzine» au début des années 2000, avec lesquelles il tourne quelques années avant de se consacrer à une carrière solo. Passionné de musiques et d'instruments traditionnels marocains, il travaille à leur actualisation et amplification. Il est dépositaire d'un concept de «guembrilélé», un mini guembri conçu pour les besoins du projet Bob Maghrib, dont il est également le directeur artistique. À ses côtés, un artiste qu'on ne présente plus pour l'avoir connu dans différents groupes à succès à l'image de «Rebab Fusion», «Amarg Fusion» et «Mazagan», Foulane Bouhcine s'empare du ribab, du violon et du outar, sans oublier les chœurs. Spécialiste des cordes frottées, Bouhcine Foulane a commencé par une formation académique au violon au Conservatoire, puis est passé au ribab, instrument à cordes en résonance avec son identité amazighe et dont il devient virtuose. Le choix lui serait apparu évident et nécessaire. «Parce que je suis amazigh. Ensuite, il y a beaucoup de violonistes dans le monde, alors que les ribabistes sont rares». La rareté représente la spécificité de ce groupe multi-instrumentalistes et plein de créativité, à l'image de Anas Chlih, aux instruments traditionnels à cordes (oud, mandole, bano, outar) et aux percussions, spécialiste des cordées pincées et des musiques traditionnelles marocaines, auxquelles il s'intéresse très jeune, d'abord par les percussions avant de développer une passion pour les instruments traditionnels à cordes comme le oud, le banjo, l'outar ou encore la mandole.Depuis, il travaille à l'actualisation de ces traditions musicales pour «sauver la musique traditionnelle marocaine de la folklorisation», pour reprendre ses termes. Anas Chlih est membre de groupes phares de la scène marocaine des musiques actuelles comme Darga et Barry et collabore avec d'autres formations dont «Ganga vibres» (reggae), ou dans un tout autre registre avec le Karim Soussan Quintet. C'est donc tout naturellement que celui qui a également collaboré avec «Darga», «Haoussa» ou encore «Hoba Hoba Spirit», dont il est le batteur officiel, puis a rejoint la formation dédiée à Bob Marley. Percussionniste autodidacte et adepte déclaré de l'école reggae de Bob Marley, Adil Hanine se réclame d'influences très larges, allant du roots reggae au rock sous toutes ses formes, les musiques traditionnelles marocaines et africaines, jusqu'aux musiques des Balkans ou encore l'électro. Un autre percussionniste mais également chanteur et pas des moindres, Mohamed Laâbidi alias Oubiz, est une des principales voix reggae de la scène des musiques actuelles au Maroc. Formé entre deux grandes écoles, le reggae de Bob Marley et la tradition des maâlems gnaoua (musique de transe d'une confrérie homonyme) et adepte de la new school reggae avec des influences ragga et reggae dance-hall, Oubiz est membre fondateur de «The Mom's», un groupe de reggae et de «Darga» (groupe de world de Casablanca) qu'il quitte en 2010 pour rejoindre Bob Maghrib en 2011. Coup du destin sûrement, comme celui de El Mehdi Nassouli au Hajhouj, crotales, ghayta et au chant également, qui est spécialiste du Hajhouj, qu'il apprend jeune dans une famille ancrée dans la culture gnaoua pour parcourir ensuite le Maroc pendant 10 ans et réaliser ainsi son voyage initiatique auprès de plusieurs maâlems (maîtres griots dans la tradition gnaouie), de Taroudant à Marrakech, en passant par Essaouira et Safi, acquérant une solide connaissance de la tradition musicale gnaouie, de la daqqa ou encore du malhun. Le groupe est également composé de Rachid Zeroual au ney et kawala, souvent invité pour ajouter de belles sonorités à la résidence. Le projet vit également grâce à un musicien et un ingénieur du son : Sajid Ammor mais est également fondateur de West Coast Studios à Casablanca, un studio d'enregistrement affilié à «Repatriation Dub Sounds», une société de distribution de son et de musique basée à Long Beach en Californie, chez qui Bob Maghrib a enregistré la totalité de ses titres. De la solidarité, une passion commune et beaucoup de talent, telles sont les fondements de cette résidence. C'est normal que le mélange soit aussi frais, exotique et original. La résidence Bob Maghrib se fait entendre et les sonorités sont si agréables que le roi du reggae lui-même qui n'a eu de cesse de clammer son «Get up, stand up» n'aurait pas pu s'empêcher de savourer et de danser. Parce que Bob est universel, parce que Marley n'a pas de langue, si ce n'est celle de la musique, «Bob Maghrib» est d'un «natural mystic» déconcertant... À écouter sans modération.