Foncier agricole. Avec près de la moitié des terres utilisables non cultivées du monde, soit quelque 202 millions d'hectares, les économies africaines ont encore toutes les difficultés du monde à exploiter ce potentiel. La Banque mondiale livre sa «recette» pour remédier à cette situation. 4,50 milliards de dollars US, c'est l'estimation de ce que devraient débourser sur la prochaine décennie les pays africains, leurs partenaires au développement ainsi que le secteur privé, pour financer l'intensification des réformes foncières agricoles. Celles-ci sont de fait devenues une nécessité pour libérer le potentiel agricole du continent et arriver à dépasser le contraste déconcertant qui caractérise le secteur. C'est ce que font savoir les experts du groupe de la Banque mondiale (BM), dans un rapport rendu public en début de semaine dernière, proposant, dans la même foulée, toute une stratégie à cette fin. Il faut savoir qu'avec près de la moitié de toutes les terres utilisables non cultivées du monde, soit quelque 202 millions d'hectares, les économies africaines ont encore toutes les difficultés du monde à lutter contre la pauvreté, qui affecte 47,5% de population et favoriser la création de revenus et d'emplois à partir de l'agriculture. La stratégie ainsi proposée par la BM aux économies du continent, dans le but de les aider à relever leur potentiel agricole en exploitation, dans les économies africaines, prend en compte 10 niveaux et secteurs d'intervention. Améliorer la sécurité foncière sur les terres communales (400 millions de de dollars) : C'est le premier pas dans la stratégie proposée pour relever le potentiel agricole du royaume. Les terres communales abritent plus de 90% du foncier rural non enregistré en région subsaharienne. Le programme de développement proposé par la Banque mondiale vise ainsi l'enregistrement de tous les fonciers communaux qui ne l'ont pas été jusque là dans plusieurs pays du continent. La feuille de route vise aussi à aider les petits exploitants à sécuriser leurs droits d'accès au foncier public, au détriment de l'investissement privé qui a pris de l'ampleur dans le secteur depuis déjà une décennie. «L'accaparement de terres publiques et les procédures d'expropriation sans compensation adéquate, sont devenus monnaie courante dans plusieurs pays. Les conséquences en découlant sont la dépossession abusive de terres cultivables au détriment des communautés locales, ainsi que des risques d'investissement élevés. Améliorer la sécurité foncière sur les propriétés privées (1 milliard de dollars) : Cette deuxième étape porte sur la démarcation claire des limites foncières, en procédant aux enregistrements des propriétés individuelles agricoles. Le rapport estime que le taux d'enregistrement de propriétés foncières privées pourrait constituer 50% - contre 10% aujourd'hui - du total des terres rurales en région subsaharienne, pour une mobilisation coordonnée de près d'un milliard de dollars dans 25 pays africains, sur les dix prochaines années. Deux actions sont proposées pour atteindre cet objectif : «titrage systématique du foncier rural sous-valorisé, en mettant en place un cadre législatif et réglementaire adapté», et «titrage systématique basé sur une étude de terrain détaillée des limites du cadastre pour le foncier rural et urbain de haute valeur». Améliorer l'accès à la terre et à la propriété foncière pour les démunis (500 millions de dollars) : La troisième démarche consiste en effet à améliorer l'accès à la terre et à la propriété foncière pour les populations pauvres et les plus vulnérables. Le coût de ce chantier est estimé à 500 millions de dollars US, et devrait se réaliser en quatre grandes étapes. Parmi les plus importantes, figure une «redistribution des terres rurales». En Côte d'Ivoire, au Kenya, au Libéria et en Afrique du Sud, les inégalités dans l'accès aux propriétés foncières se sont tellement accentuées ces dernières années, qu'elles minent la cohésion et le développement humain et social. Une redistribution des richesses foncières pourrait combler ce gap. Une autre étape porte sur la «régularisation des droits des sans-abri à l'accès aux terres urbaines». Selon les statistiques du FNUAP, 40% de la population africaine vit en milieu urbain. Toutefois, 70% de cette population habite des zones défavorisées, dans de difficiles conditions de vie. Améliorer l'efficacité et la transparence des services d'administration foncière (1,3 milliard de dollars) : Ce niveau d'intervention prend en compte une politique de décentralisation, qui vise à donner plus de pouvoir et de capacité aux communautés locales et autorités traditionnelles. Cette problématique concerne le plus de pays sur le continent - 40 - et devrait être la plus chère en termes de coûts et d'investissements requis, soit environ 1,3 milliard de dollars US. Cela donne une idée sur l'état des besoins et des efforts financiers nécessaires à une amélioration globale des systèmes administratifs de gestion foncière dans les pays concernés, afin de stimuler leur efficacité et de les rendre plus transparents. Sur cet aspect, une étude de la FAO et de Transparency International montre que la mauvaise gouvernance favorisait le développement de la corruption dans les systèmes africains administratifs de gestion foncière. Selon le rapport de la BM, des mesures strictes devraient être prises. Celles-ci tournent autour de plusieurs axes dont le premier, et sans doute le plus urgent, porte sur la réforme globale des systèmes administratifs de gestion foncière, en mettant l'accent sur le recours aux TICs. Développement des capacités en gestion foncière (400 millions de dollars) : 27 pays sur le continent sont concernés, pour des besoins globaux en investissements estimés à quelque 400 millions de dollars, à raison de 15 millions de dollars US chacun. Deux grandes étapes sont proposées pour le développement des capacités de management du foncier public dans les pays concernés. «Engager des réformes politiques et institutionnelles», est la première d'entre elles. Avec l'urbanisation grimpante du foncier, il existe un grand besoin de formation des agents des services publics, afin de développer leur capacité pour gérer des systèmes modernes administratifs de gestion foncière. Quant à la seconde grande étape de ce chantier, elle porte sur la «formation et le transfert de savoir-faire». L'objectif est de disposer de profils d'agents publics et gestionnaires de terres publiques suffisamment et régulièrement formés, ce qui justement, requiert également la mise à disposition d'instituts spécialisés de formation et de perfectionnement. Des pays comme le Ghana et l'Ouganda se sont déjà dotés de ce type de structures, avec le soutien de la Banque mondiale, respectivement en 2003 et 2004. Résoudre les litiges fonciers et gérer les expropriations (200 millions de dollars) : C'est le sixième élément de la stratégie proposée par la Banque mondiale. Le coût de cette démarche est estimé à 200 millions de dollars, à investir dans une trentaine de pays sur les dix prochaines années. Là aussi, deux grands niveaux d'intervention existent. Les «litiges fonciers» constituent une bonne partie des dossiers de justice dans la plupart des pays subsahariens. Au Ghana, par exemple, près de 50% des nouveaux cas de dossiers de justice sont liés à la terre, là où en Ethiopie, près de la moitié des cas introduits dans le système judiciaire sont relatifs à des litiges fonciers. Selon le rapport de la Banque mondiale, plusieurs facteurs contribuent à réduire l'efficacité des interventions judiciaires dans les litiges fonciers. La gestion des expropriations» est le second grand niveau d'intervention proposé par les experts de la Banque mondiale. Selon ces derniers, lorsque les processus d'expropriation sont mal menés, ils pourraient également favoriser le recours à la corruption, perturber le marché foncier, miner la sécurité foncière et favoriser l'instabilité foncière. Elargir la portée et l'efficacité de la planification foncière (400 millions de dollars) : Le coût estimé de cette étape est de 400 millions de dollars, pour une vingtaine de pays concernés et sur une échéance d'une décennie. La planification des usages fonciers est importante pour assurer une visibilité aux gouvernements africains que ces terres sont utilisées à bon escient et dans l'intérêt public. Si l'Etat a bien le devoir et la responsabilité de protéger les propriétés foncières des citoyens, il a également la même responsabilité de sauvegarder les intérêts publics ou sociaux lorsque des mesures individuelles menacent ces intérêts. Selon la Banque mondiale, l'intervention de l'Etat est justifiée lorsque les actions des propriétaires fonciers privés affectent négativement l'environnement, la biodiversité, les sites historiques ou culturels, etc. Dans les pays en développement comme ceux d'Afrique, la planification foncière est également devenue importante pour identifier et délimiter les propriétés foncières, ainsi que pour mobiliser des terres pour accueillir des investissements privés. Cela devrait également faciliter la gestion du foncier public dans ces pays. Améliorer la gestion du foncier public (100 millions de dollars US) : Ce chantier mobiliserait 100 millions de dollars US, au profit d'une dizaine de pays africains où l'amélioration des méthodes et politiques de gestion du foncier public est devenue nécessaire à la réforme, plus globale, du foncier agricole. La nationalisation des terres agricoles est un phénomène en rapide développement sur le continent. C'est le cas par exemple dans la région Est, plus précisément dans des pays comme le Kenya et l'Afrique du Sud. Depuis les années 70', d'autres pays comme le Bénin, le Burkina Faso, le Nigéria et l'Ouganda, ont nationalisé plusieurs titres fonciers privés ou ont retrouvé le monopole sur la redistribution des terres. Cela a notamment contribué à favoriser le développement de la mauvaise gouvernance dans certains cas et de la corruption dans d'autres. L'expérience ghanéenne, en l'occurrence, est la meilleure illustration de cette nationalisation grimpante. En 2000, l'Etat ghanéen possédait pas moins de 40% du foncier urbain et périurbain du pays. Développer la gestion foncière dans les pays en post conflits (100 millions de dollars US) : Cette neuvième approche consiste en effet à la prise en charge des politiques de gestion foncière dans les pays africains sortant d'un conflit. L'investissement nécessaire à ces améliorations est estimé à 100 millions de dollars US, pour des besoins relevés dans au moins cinq pays du continent. Les pays en situation post-conflictuelle sont souvent en proie à de nombreux litiges fonciers qui alimentent les tensions entre populations locales. Des mesures, décisions ou actions opérées pendant les périodes de conflit peuvent également exacerber ces difficultés. Par exemple, même si au Burundi les foyers de conflit ont été considérablement réduits, les tensions liées à la terre persistent au fur et à mesure que les populations déplacées regagnent leurs anciennes régions de vie. Selon le rapport de la Banque mondiale, les pays africains en post-conflit gagneraient à s'attaquer en priorité aux problèmes d'accès à la terre, pour éviter que cela puisse déclencher d'autres cycles de conflits. Renforcer la fiscalité du foncier agricole (0,05 MM de Dollars US) : Cette démarche devrait nécessiter un investissement estimé à quelque 0,05 milliard de dollars US, pour des besoins identifiés dans au moins une dizaine de pays du continent. Les experts de la Banque mondiale rappellent que beaucoup de rapports et d'études ont montré que la mise en place d'un système fiscal efficace sur le foncier agricole et immobilier, permettrait à de nombreux pays africains de disposer de mécanismes de support à la décentralisation, ainsi que de contribuer à couvrir certaines charges financières liées à l'administration foncière. Toutefois, pour être efficace et équitable, la fiscalité foncière devrait s'accompagner d'une politique transparente d'enregistrement des terres agricoles. Il faut savoir que la situation actuelle des politiques fiscales foncières appliquées en Afrique est très peu enviable. Au moment où ces régimes son en perpétuelles améliorations dans les pays développés, en Afrique ils sont caractérisés par leur «faiblesse».