Rabat a vécu à 200 km/h ces derniers jours, grâce à l'événement tant attendu : Visa For Music. Pour ceux qui se posent la question de savoir ce que cet événement signifie, Brahim El Mazned et Aadel Es-Saâdan ont la réponse. Quand la capitale de plus en plus culturelle décide de s'arrêter durant trois jours pour parler de la culture au Maroc et en Afrique tout en permettant à la jeunesse créative de rencontrer les professionnels du spectacle et de s'exprimer artistiquement, cela donne Visa For Music. Cette plateforme professionnelle de la musique du Maroc, d'Afrique et du Moyen-Orient s'est voulue comme le marché international des musiques du monde et des musiques actuelles pour ces régions et comme la plateforme interprofessionnelle de la filière musicale au Maroc et pour les pays du sud. «C'est tout simplement un projet que nous souhaitons structurel pour le développement de l'industrie de la musique dans notre pays et pour toute la région», affirme le père spirituel de l'initiative Brahim El Mazned. Tout simplement. Mais encore fallait-il y penser. Pendant trois jours, des concerts de groupes maghrébins, arabes et africains se sont enchaînés entre la salle Renaissance et le Théâtre Mohammed V, donnant libre cours à des groupes attendus comme les Libanais, Mashrou Leila ou encore les éternels Hoba Hoba Spirit avec leur rock dejanté qui confirme leur position de leader sur la scène marocaine, reconnus pour faire salles combles et rendre les fans hystériques. Des moments de musique certes mais pas seulement puisqu'il s'agissait de faire le lien entre les professionnels de la musique et les artistes, qui sont souvent séparés par des murs. C'est ainsi que via des stands et des «speed meeting», des maisons de disques, des producteurs et des directeurs artistiques de spectacles, soit au total plus de 1.000 professionnels de la musique, allaient à la rencontre de la jeunesse marocaine et à la recherche de perles rares. «Les artistes sont nos meilleurs ambassadeurs à travers le monde, ils sont les symboles du Soft Power. Nous devons être sensibles à la question de la diffusion si on veut que notre production artistique soit programmée à travers le monde», insiste Brahim El Mazned. En allant toujours en profondeur vers les choses culturelles, la Fondation Hiba en partenariat avec le Service culturel de l'action culturelle de l'Ambassade de France a organisé une formation pour 10 personnes leur permettant de suivre des ateliers collectifs sur le management d'artistes. Maintenant que la musique a opéré et que la magie a laissé place à la fête, comment permettre à une véritable politique culturelle de s'installer au lieu de miser sur des évènements ponctuels. Des moments forts mais tout du moins superficiels qui ont été analysés par des Etats généraux de la culture. Aux armes culturelles ! Visa For Music afin de mieux asseoir la culture a commencé le 12 novembre dernier par des Etats généraux de la culture initiés par la fondation Racines et son président Aadel Es-Saâdan pour faire un travail de fond de 2 ans et demi basé sur deux ans de recherches, de bases de données, en faisant des études transversales sur les droits d'auteur, les statuts des artistes, l'art dans l'espace public et des rencontres avec les acteurs de chaque filière. «On parle d'une définition anthropologique de la culture et non esthétique. On ne parle pas d'excellence artistique pour faire enter les arts plastiques marocains dans l'histoire universelle des arts. Il est trop tôt pour cela», explique Aadel Es-Saâdan, qui n'a pas la langue dans sa poche pour parler politique culturelle et développement du pays. «On parle de la culture comme d'un ensemble de valeurs, d'aptitudes, de comportements et là on voit la conséquence directe sur le développement humain, même en termes de productivité. On aurait un Marocain plus productif. En termes de démocratie, nous aurons des citoyens et des individus. Il s'agit d'augmenter le sens critique de l'individu et le sens de la liberté». En somme, la culture permettrait au pays d'aller mieux à l'image de pays comme la France où la culture passe avant l'industrie automobile, où elle représente environ 7% du PIB du Mali ou du Sénégal. «On a raté la révolution industrielle, autant ne pas rater le train des industries créatives». À l'issue de ces débats qui ont rassemblé des acteurs politiques et culturels, la question du financement ne se pose même pas puisqu'il n'y en a pas. Le budget du ministère de la Culture représente 0,27% du budget de l'Etat. Si la politique culturelle est basée sur un budget quasi inexistant, il n'y a pas d'issue possible. Un des constats des Etats généraux est de dire que le Maroc possède des infrastructures un peu partout, avec entre autres 600 maisons de jeunes qui relèvent de la ville et des municipalités et non du ministère de la Culture. «On a des lieux, nous n'avons pas besoin d'argent, nous devons coordonner et harmoniser au niveau des différents ministères parce que chaque ministère participe à la politique culturelle et touche une partie du public. 90% des conservatoires appartiennent aux villes et non au ministère de la Culture. Il faut travailler dans la transversalité et coordonner la politique culturelle». En somme, tout est là, il suffit d'organiser les choses et de solidariser les relations entre les différents ministères. Est-ce si facile que cela ? «Ce n'est pas l'économie qui risque de régler la question de l'autorégulation sociale, mais la culture», réplique le président de l'association Racines et également du réseau panafricain Arterial Network Africa . «On n'a pas de culture dans nos écoles, nos conservatoires ne marchent pas, nous n'avons pas de ressources humaines pour les métiers techniques et administratifs du spectacle», continue la même source qui trouve illogique qu'encore aujourd'hui les techniciens du spectacle viennent de l'étranger. «Nous avons une pyramide inversée des âges et nous avons pas mal de jeunes avec un bon niveau. Il faut concevoir une formation pour que cette filière puisse vivre. La niche existe pour cela». C'est ainsi que la culture était au centre des débats ces 12, 13 et 14 novembre pour prouver au monde entier que la diversité marocaine et le talent du royaume étaient bel et bien réels, que la royaume disposait de toutes les ressources nécessaires et qu'il fallait juste miser sur ces ressources et asseoir une politique culturelle qui nous ressemble. Tout est là, il suffit d'harmoniser et de coordonner. On s'y met quand ?