Les Echos Quotidien : Est-ce que vous vous attendiez à voir le Conseil de la concurrence constitutionnalisé par l'article 166 de la nouvelle Constitution ? Abdelali Benamour : Oui, dans la mesure où lors de l'audience qui m'a été accordée par Sa Majesté, il me l'avait annoncé directement. Comment l'avez-vous pris ? J'ai l'impression que les gens prennent la constitutionnalisation comme une sorte de ouissam. Or, il faut plutôt que cette constitutionnalisation se justifie par des arguments valables. Il s'agit-là d'une chose importante, puisque cela devient une institution du royaume, qui n'est plus soumise uniquement à la loi. Les gens ne peuvent plus la changer ou la supprimer mais, par contre, la loi peut changer. On se pare donc contre la possibilité qu'un gouvernement ultra-libéral qui pourrait dire que le marché peut s'autoréguler et supprimer le Conseil. En somme, le marché est constitutionnalisé, il est normal que sa régulation le soit aussi. Quelle est la nouvelle dimension du Conseil et qu'est-ce qui reste encore à faire ? Actuellement, le Conseil est encore régi par la loi 06/99, qui fait de nous une institution qui a très peu d'actions directes. La loi doit donc encore changer, passer par le Conseil de gouvernement, ensuite par le Conseil des ministres et enfin par le Parlement. Cependant, nous sommes bien avancés, puisque nous travaillons sur le nouveau texte depuis l'installation du Conseil, en 2009. Nous n'avons pas attendu le 20 février pour demander des réformes et le feedback est venu lors de l'audience qui m'a été accordée par Sa Majesté. Nous avons ensuite travaillé sur la base de nos propres textes avec le gouvernement et notamment le ministère des Affaires économiques et générales, qui a pu y apporter quelques amendements. Le nouveau texte répond-il à vos doléances en matière de renforcement du statut du Conseil ? L'essentiel des réformes à instaurer et qui rejoignent ce qui se passe sur le plan mondial y est, en ce qui concerne la dimension exécutive. D'abord, il y a la compétence générale. Ensuite, il y a l'indépendance, qui est un principe important, par rapport au pouvoir économique et politique. En effet, actuellement, la majorité des membres, mêmes s'ils sont compétents, représentent l'administration. Le troisième apport, c'est l'aspect décisionnaire, qui nous donne le droit de faire office d'arbitre pour respecter les règles du jeu économique. Il y a, en plus, la possibilité de l'autosaisine et surtout de l'enquête, car pour l'instant, rien n'oblige les gens à communiquer les informations qu'on leur demande. En clair, qui allez-vous sanctionner ? Les compétences que je viens d'étayer concernent les entreprises, qu'elles soient publiques ou privées, que l'on doit sanctionner si elles ne respectent pas les règles de la concurrence loyale, que ce soit à travers une entente, un abus de position dominante ou encore une concentration douteuse. Ce qu'on sanctionne, c'est l'émergence de rentes indues au détriment du consommateur et de la compétitivité du tissu économique national. Toutefois, ces rentes indues ne résultent pas uniquement du comportement des entreprises. Cela veut-il dire que vous allez vous pencher aussi sur les actions du gouvernement ? En effet, les rentes indues peuvent résulter aussi de certaines données de la politique du gouvernement, notamment en matière de conditions des appels d'offres, des aides de l'Etat ou encore des conditions d'octroi des licences et des agréments. Cependant, de là à sanctionner le gouvernement, il n'y a qu'un pas, que l'on ne peut franchir. Toutefois, si on regarde du côté des autorités de la concurrence les plus avancées en la matière et notamment dans le monde anglo-saxon, on relève une nouvelle notion appelée advocacy. Elle peut être traduite par le mot plaidoyer, mais cette traduction est restrictive, car l'advocacy recouvre une dimension active à travers la dénonciation. Comment va se matérialiser cette activité d'advocacy? Il y a d'abord le rapport annuel, qui peut dénoncer un certain nombre de pratiques douteuses, mais pas seulement, puisque nous pouvons dénoncer à travers la presse, ce qui ne manquera pas d'avoir son impact. D'ailleurs, cette activité d'advocacy n'est pas seulement destinée au gouvernement et peut concerner aussi les entreprises en cas de pratiques anticoncurrentielles pures. Quid de vos rapports avec les régulateurs sectoriels, dont certains ont avancé qu'ils étaient mieux outillés pour jauger la concurrentiabilité dans leurs secteurs? Si on part de ce principe, pourquoi aurait-on créé le Conseil de la concurrence, puisque les régulateurs sectoriels suffiraient. Or, si ce n'est pas le cas au niveau mondial, c'est qu'il y a bien une raison. Elle est que le régulateur sectoriel est trop proche des opérateurs de son secteur. Ils se connaissent et travaillent régulièrement ensemble, de manière hebdomadaire, voire quotidienne. De plus, ils ne sont pas nombreux, puisqu'on est en situation d'oligopole dans la plupart des secteurs. Cela peut créer pour le régulateur sectoriel une difficulté objective à sévir, sans mettre en cause la moralité ni la compétence des patrons des régulateurs. Ensuite, concernant la technicité dont ils se prévalent, cela n'est vraiment pas sorcier de jauger les ententes ou les concentrations. N'y a-t-il pas un conflit de compétences ? Evidemment, quand nous étudions un cas, nous nous adressons en premier lieu au régulateur sectoriel pour lui demander son avis sur la question. Il ne faut pas placer cette question sous l'angle d'un quelconque conflit de compétences. L'autorité centrale de régulation peut se prévaloir de son indépendance, contrairement aux autorités sectorielles qui, bien que jouissant d'une personnalité morale et de l'autonomie financière, voient le gouvernement siéger dans leur conseil d'administration. Tant qu'il y est, il peut influer et donc être juge et partie. Le gouvernement émane d'élections et de partis et au sein de ces partis, il y a des militants, qui peuvent aussi être des hommes d'affaires. En somme, ce qui est en amont relève de l'autorité sectorielle, c'est-à-dire ce qui mène vers la concurrence, les réseaux, les règles prudentielles. Nous intervenons seulement en aval. Quid du cas spécifique de l'ANRT ? L'ANRT dit qu'elle a déjà par l'ancien texte la possibilité d'agir sur la concurrence. Cela est vrai, mais il faut remettre les choses dans leur contexte. En 2004, le Conseil de la concurrence était gelé, l'ANRT a hérité de ses prérogatives en attendant son activation. Aujourd'hui, le Conseil est actif et les prérogatives relevant de la concurrence lui reviennent tout naturellement. D'ailleurs, ce n'est pas dans l'intérêt de l'ANRT de les garder, car elle serait taxée d'être juge et partie. Un indice dans ce sens est l'absence de sanctions depuis 2004. A contrario, Bank Al-Maghrib a très bien compris le message et travaille en parfaite collaboration avec nous. D'ailleurs, nous sommes disposés à inclure dans nos rapports les conclusions des régulateurs sectoriels, même si elles sont différentes des nôtres.