Tantôt à la télévision, tantôt à la radio, parfois les deux, ils ont suivi les artistes, ont vécu la belle époque de la chanson marocaine quand elle était à son apogée, ont assisté aux déclins aussi. Témoignages des figures emblématiques des médias marocains, amoureux du patrimoine marocain avec à leur tête Atik Benchiguer qui a bercé dans cela dès ses débuts à la radio, avec son émission à succès «Noujoum wa noujoum» et son émission actuelle qui prône la qualité d'antan, «Massar». Rêveur, poète et mélomane, notre Drucker national nous livre ses impressions avec beaucoup d'humilité et de gentillesse. Abdou Souiri Animateur Lorsque nous parlons de l'évolution de la chanson marocaine, ces dernières années, je ne vois pas de progrès dans le domaine de la création et la relève se fait attendre à mon sens. Seuls L'Boulvard et le Tremplin continuent avec difficultés à alimenter ce modeste vivier. Je pense que les choses n'ont pas étés anticipées et que nous n'avons pas formé une relève digne de ce nom. La scène marocaine est hélas vide de sens aujourd'hui et ceci dans toutes les catégories musicales. L'éternel souci des artistes passés présents et à venir reste que rien n'a été clairement résolu au niveau des droits d'auteurs. Les artistes doivent pouvoir vivre de leur art, ce qui est loin d'être le cas. Si la scène marocaine était plus attractive, elle susciterait probablement un plus grand nombre de vocations. La musique adoucit les mœurs certes, mais elle ne nourrit pas ceux qui la compose ou l'interprète. C'est peut-être la clé principale qui pourrait encourager la créativité et la structuration d'un secteur appauvri par le manque de professionnalisme et d'encadrement. Atik Benchiguer Journaliste Les ECO : Comment avez-vous suivi l'évolution de la musique marocaine et la fin de son âge d'or ? Atik Benchiguer : Je trouve que c'est une question primordiale et qu'il est important d'en parler. Je le vis et je le vois depuis mes débuts à la radio en 1983. J'étais parmi les plus jeunes à la radio marocaine, j'étais avec ses pionniers et j'avais la chance de vivre avec les pionniers de la chanson marocaine. L'âge d'or de la musique marocaine a commencé dans les années 60 et on a noté le déclin à la fin des années 80. Nous avions réussi un exploit, celui d'imposer une musique moderne marocaine avec un style, des paroles et une musique inspirée de l'Orient et de notre richesse culturelle. Qu'est-il arrivé pour que dans les années 90, on assiste à l'agonie de la musique marocaine ? Je pense qu'avec la modernisation, nous nous sommes éparpillés. Je m'explique et peut-être je vais vous surprendre. Par le succès de la musique raï et ses grands, comme Cheb Khaled, Cheb Kader, Oustad Mimoun ; ce côté moderne avec un grand niveau technique, des vidéos clips, des cuivres, etc, tout ceci a participé à faire évoluer les goûts et à détourner un peu le Marocain de sa chanson marocaine. Ensuite, il y a eu le hip hop, la fusion... Pourquoi avons-nous perdu en qualité de texte également ? Avant, il y avait la poésie et sa grande place dans notre culture. Avant, je pouvais passer une heure à lire des vers sans gêner personne, aujourd'hui même 5 minutes sont devenues insupportables. Les goûts ont évolué, ils sont passés de la recherche de la qualité et de la profondeur à un stade superficiel et vide. Nous sommes dans un monde de consommation où tout le monde est pressé, où les chansons doivent durer 3 minutes alors qu'avant elles duraient 15 à 20 min. Les auteurs n'ont pas trouvé leur place dans ce monde où tout va vite et tout doit être bien. Aujourd'hui, on n'écrit plus, on lit de façon verticale. Il faut regagner cette sensibilité et éduquer les enfants très tôt à la poésie, à la musique, aux codes et valeurs de la culture. Pour cette génération, il est hélas trop tard. Sanae Kadmiri Animatrice La chanson marocaine a évolué lors de ces 15 dernières années parce que la nouvelle jeunesse d'abord a pu s'exprimer et se mettre en avant avec l'arrivée d'émissions comme «Studio 2M», autant du côté oriental qu'occidental et aussi avec l'arrivée des nouvelles stations radios.Un bouquet d'une belle jeunesse orientale commençait à se former et en même temps une autre jeunesse venait de naître grâce à L'Boulvard. Ces 2 formations grâce à la communication d'abord, les réseaux sociaux, le travail en équipe (formation de nouveaux studios high tech) et les festivals et événements sur le territoire, ont pu faire leur place dans le cœur des Marocains qui avaient soif de nouvelles voix et de nouveaux visages. Je peux citer : Najat Rajoui, Lamia Zaidi, Leila El Berrak, Saad Lamjarred, Hatim Idar, Hatim Ammor. Entre le début des années 90 et début 2000, la chanson marocaine était dans le coma, le trou noir. Le système n'évoluait pas pour aider une nouvelle génération à naître.