Les Echos quotidien : Vous êtes venu jouer à Essaouira pour la première fois dans le cadre du festival Gnaoua et musiques du monde, que vous a inspiré cette ville ? Trilok Gurtu : C'est vrai que je me suis déjà produit au Maroc, notamment à Tanger, mais cette fois-ci les choses sont très différentes. C'est tout simplement fantastique. En fait, tout se passe comme je l'avais imaginé... les gnaouas, les musiciens. C'est impressionnant la manière dont la musique est appréciée ici. Connaissiez-vous auparavant la culture gnaouie ? Oui, je connais la musique des gnaoua depuis très longtemps, pratiquement depuis les années 1970. Je m'en suis beaucoup inspiré dans certaines de mes compositions. J'ai également plusieurs fois fait appel à des joueurs de guembri, et ce bien avant que cela ne devienne une mode. C'est un peu une habitude pour moi, car je voyage beaucoup en Afrique, notamment au Mali. Du coup, la musique africaine m'inspire énormément. C'est mon style de musique en fait... C'est ce que je suis. La diversité culturelle se ressent de manière importante dans vos compositions. Comment vous inspirez-vous des musiques du monde de manière générale ? Pour moi, la musique est la musique. La «world music» n'est qu'un terme que l'on utilise pour désigner un style musical, mais à mon avis un artiste doit rester ouvert à toutes les formes d'expression.Il doit faire ce qu'il ressent vraiment avant toute chose, ce qu'il aime. Je joue depuis les années 1970 et j'ai fait énormément de fusions au cours de ma carrière. À l'époque, ni les producteurs, ni les maisons de disques ne croyaient en ce type de projets, à part quelques rares personnes qui appréciaient vraiment la musique. Il faut dire aussi que ce n'est pas évident, car il faut vraiment être passionné et avoir confiance en celui avec qui on partage la scène. Auparavant, les gens avaient tendance à juger la musique africaine ou hindoue comme une musique qui vient des pays du tiers-monde. Aujourd'hui, je vois un peu plus de lumière, mais je perçois encore beaucoup de prosélytisme. Parfois, il m'arrive de me demander ce que je pourrais faire pour améliorer les choses (ému). Comment voyez-vous l'avenir justement ? Dans l'immédiat, je rentre chez moi pour commencer (rire). En fait j'ai envie de faire de la musique classique. Je souhaite travailler sur des morceaux de Bach par exemple, avec des particularités de musique ethnique. Pour moi, c'est une manière de donner une seconde vie à ces morceaux, car la musique est immortelle. Sinon cela n'aurait pas de sens... Quelque part, j'aimerais revenir aux bases pour prouver que l'on peut faire énormément de choses avec ce qui a déjà été fait avant nous. Pour être honnête, j'ai parfois l'impression que la musique perd de sa spiritualité au profit de l'esthétique et des apparences, c'est ce que je regrette beaucoup. Trilok aux mains d'argent Musicien et compositeur de talent, Trilok Gurtu est également un excellent «chanteur», ou plus exactement performeur sonore. Lors de sa prestation au festival Gnaoua et musiques du monde à Essaouira jeudi 22 juin dernier, l'artiste a tenu pendant plus de 15 minutes un solo de percussions accompagné de son talent de «lingua-musicien». Une prestation qui aura, c'est sûr, laissé les festivaliers amassés devant la scène de Moulay Hassan, sans voix. Fin connaisseur de la musique gnaoua, Trilok Gurtu aura ouvert le bal d'une 14e édition fidèle à sa promesse «back to the roads», car de la route, ils en auront fait les festivaliers d'Essaouira, tant au niveau musicale que culturel. Le concert de Trilok à lui seul, aura survolé les cinq continents donnant ainsi à écouter un blues india, tantôt mêlé de percussions africaine et gnaoui, tantôt inspiré des sonorités jazz ou des rythmes baltiques. Une découverte sonore qui témoigne du parcours incroyable de ce musicien aux mains d'argent et à la finesse incontestable. Pour la petite histoire, Trilok Gurtu, a commencé sa carrière de batteur de jazz à l'âge de 19 ans. Déjà tout petit l'artiste baigne dans une intense culture musicale : son grand-père était joueur de sitar reconnu et sa mère, Shobba Gurtu, une célèbre chanteuse d'hymnes classiques indiens. C'est d'ailleurs elle qui l'encouragera à faire carrière dans la musique en lui mettant très tôt un tablâ entre les mains (instrument de percussion très répandu au nord de l'Inde). Très vite, il s'illustre sur la scène internationale et décroche son premier prix et non des moindres, puisqu'il s'agit de celui du «Meilleur percussionniste». Entre 1994 et 2002, Trilok Gurtu enchaîne ensuite les récompenses et est nommé pour le prix du meilleur artiste asiatique en 2002, 2003 et 2004 (en collaboration avec BBC Radio 3).