L'embargo russe ouvre la voie à une hausse considérable des exportations marocaines vers la Russie. Plus que cela, des produits marocains naguère inconnus en Russie peuvent désormais pénétrer ce marché de 140 millions de consommateurs. Dans cette interview, Mehdi Douss, importateur russe d'origine tunisienne, explique les moyens de percer ce marché encore étanche, tout en insistant sur la mise en place au Maroc de conditions favorables à l'essor des échanges existants avec la Russie. Mehdi Douss, importateur russe de produits de la mer Les ECO : Quel est le message des importateurs russes aux exportateurs marocains ? Mehdi Douss : Suite à l'embargo russe sur certains produits «sensibles» en provenance de pays occidentaux, nous sommes venus pour sensibiliser nos amis marocains. Cet embargo constitue une bonne occasion pour se trouver une place sur le marché russe. Nous importons déjà du poisson et des fruits de mer à partir du Maroc, mais avec la nouvelle donne, il faut augmenter ces quantités. Aujourd'hui, nous constatons un manque de certains produits sur le marché russe. Plus que cela, cet embargo permet à des produits marocains qui n'avaient auparavant aucune chance en Russie de pouvoir enfin y faire leur entrée. C'est le cas du fromage et du foie gras. Maintenant, les producteurs marocains ont la possibilité d'y mettre le pied. Avez-vous trouvé au Maroc des partenaires capables de répondre aux attentes russes ? Bien sûr. Nous avons très rapidement réussi à organiser des réunions avec l'Association marocaine des exportateurs (ASMEX), ainsi qu'avec des membres de la Fédération nationale des industries de transformation et de valorisation des produits de la pêche (FENIP). Les opérateurs marocains les plus importants manifestent un intérêt face à cette opportunité. En plus de nos partenaires traditionnels, nous avons noté la présence de nouveaux opérateurs également intéressés. Quels produits marocains intéressent le plus les partenaires russes ? Je citerais d'abord les produits de la mer. Je pense qu'il faudrait multiplier par 10 voire par 15 la quantité exportée actuellement. Malheureusement, d'après les retours que j'ai eus, il paraît que les capacités disponibles ne permettent pas d'atteindre cette quantité. En plus des produits de la mer, je pense que les produits laitiers peuvent également avoir des débouchés sur le marché russe, ainsi que les fruits et légumes, en plus du foie gras, des huîtres ou encore des coquillages. Sur ce dernier point, je tiens à souligner que la Russie est le seul pays qui s'intéresse aux coquillages, car ils sont interdits en Europe ainsi que dans certains pays maghrébins comme le Maroc. Globalement, je dirais que la porte est grandement ouverte pour les exportations marocaines. Selon-vous, qu'est-ce qu'il faut aux produits marocains pour s'imposer en Russie ? Il faut tout d'abord que le produit marocain ait le soutien nécessaire ici au Maroc. J'entends par soutien le fait que l'on assure un bon déroulement des exportations. Il faut mettre en place les services vétérinaires nécessaires, les services logistiques, le transport aérien et maritime. C'est un ensemble qui doit servir aux exportations. Et qui dit exportations fait référence à l'entrée de devises, qui est un moteur de l'économie. Il faut faciliter les conditions à une bonne dynamique des exportations. Que font les autorités russes pour faciliter les exportations de pays non concernés par l'embargo ? Nous sommes très proches des autorités russes, notamment des services vétérinaires et douaniers. Auparavant, pour exporter en Russie, il fallait avoir un agrément spécial. Ce sésame était délivré suite à des inspections dans le pays exportateur des services vétérinaires russes. Désormais, les autorités russes ont décidé de simplifier les procédures. Il suffit à présent qu'un exportateur marocain obtienne une certification du service vétérinaire marocain (ndlr, l'Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires- ONSSA) et que cet établissement le confirme à son homologue russe pour que les portes du marché lui soit ouvertes. Tout cela est possible en seulement deux jours. Par ailleurs, je conseillerais aux exportateurs marocains de continuer à demander l'agrément des services russes. C'est très important, vu que la Russie est un marché de 140 millions de consommateurs dont 30 millions de musulmans intéressés par les produits halal. Qu'en est-il de la collaboration entre opérateurs du privé ? Nous visons à faciliter la pénétration des produits marocains en Russie. En ce qui concerne les produits de la mer, qui constituent notre spécialité, nous allons en faire la promotion par nous-mêmes. S'agissant des autres filières, nous pouvons mettre les opérateurs marocains avec leurs homologues russes que nous connaissons très bien. Ainsi, ils pourront traiter directement. D'après votre expérience sur le terrain, pensez-vous que l'offre locale est suffisamment prête ? Je ne vous lance pas de fleurs, mais je vous avoue que nous travaillons en confort avec les opérateurs marocains. Nous avons des partenariats très encourageants. La qualité peut-elle être un facteur déterminant pour les nouveaux produits exportés vers la Russie ? Si la qualité est au rendez-vous, les produits importés du Maroc pourront se faire une place en Russie, même après la fin de l'embargo qui est décrété pour une période d'un an. Le défi pour ces produits est de réussir à convaincre les consommateurs russes qui, par tradition, sont séduits par les produits européens comme ceux de la France. Que conseillez-vous aux opérateurs marocains afin qu'ils puissent se maintenir sur ce marché après l'embargo ? Vous savez, le business, c'est le rapport qualité/prix. Il faut toujours être à l'écoute et savoir préserver sa place sur le marché. Il ne faut pas être plus cher ni moins bon. C'est tout ! Vous avez évoqué tout à l'heure le marché halal en Russie. Quelles sont les opportunités ? Comme je l'ai dit, la Russie compte 30 millions de musulmans. Il s'agit des Tatars, de Tchétchènes, des Daghestanais, des Bachkirs, etc. Ce sont des musulmans pratiquants qui ne consomment que du halal. Le circuit du halal existe en Russie, mais ce n'est pas suffisant. Quelle est la situation locale en Russie après l'arrêt des approvisionnements depuis les pays occidentaux ? La pénurie commence à apparaître dans les étals et les rayons des grandes surfaces. Cela nous rappelle les années soviétiques. Sur place, on note une certaine panique : des restaurants commencent à fermer par manque de produits. Tout y est importé. L'urgence pour les Russes actuellement est de combler ce vide afin d'éviter d'éventuelles grognes populaires. Le Maroc participe au World Food Moscou Dans le cadre de «l'effort soutenu» de promotion des exportations marocaines vers la Russie, la Fédération nationale des industries de transformation et de valorisation des produits de la pêche indique qu'elle conduira une vingtaine d'opérateurs tous secteurs des produits de la mer confondus pour prendre part au salon World Food Moscou. L'événement est prévu du 15 au 18 septembre prochains. Ce sera l'occasion pour les producteurs nationaux de mieux apprécier les opportunités qu'offre le marché russe. Le World Food Moscou est un salon annuel de l'industrie alimentaire, couvrant le secteur en entier. Le salon est ainsi divisé en 9 espaces spécialisés. L'événement comprend le Forum du futur de l'agriculture russe, des présentations de produits, des dégustations et de nombreuses autres activités. Le World Food Moscou accueille habituellement une cinquantaine de pays, et des milliers de visiteurs professionnels sont attendus.