«Il est impératif de traduire la performance économique en performance sociale» ! Détrompez-vous, ce ne sont pas là les paroles d'un militant associatif altermondialiste, mais bel et bien une déclaration de notre ministre des Affaires économiques et générales, Nizar Baraka, lancée lors de son discours à l'occasion de la présentation du rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la stratégie de développement du climat des affaires au Maroc. Cette publication constitue la première étape de la stratégie nationale, qui devra être déclinée sur le terrain. Avec cette déclaration, Baraka affiche nettement la couleur, et insiste quelques minutes plus tard : «Stimuler l'entrepreneuriat, l'investissement et encourager la création d'emplois demeure notre première priorité». Le cadre théorique est désormais ficelé. Mais, circonstances du calendrier politique obligent, aucun engagement sur les délais de mise en œuvre de la stratégie n'a été pris par le ministre istiqlalien dans son discours. La réforme constitutionnelle et le rendez-vous électoral sont imminents, ne laissant aucun doute sur le fait que cette stratégie sera chapeautée par le prochain gouvernement. Toujours est-il que les problématiques liées à l'investissement, à l'entrepreneuriat et à l'emploi ne changeront pas entre temps. Dans ce cadre, le rapport de l'OCDE (téléchargeable sur lesechos.ma) est on ne peut plus clair, notamment en ce qui concerne la promotion de la PME et son corollaire, l'accès au financement, soit deux dimensions des plus essentielles parmi les douze retenues dans le cadre de cette étude. «Malgré les efforts pour améliorer l'accompagnement des PME, notamment via le Pacte Emergence, le Maroc doit toujours surmonter un certain nombre de défis politiques et institutionnels», souligne-t-elle dans le chapitre dédié à la dimension de la politique et de la promotion des petites et moyennes entreprises. Les défaillances Dans le détail, les défaillances sont identifiées de façon précise. La Charte de la PME et les différentes stratégies sectorielles se heurtent à «des chevauchements et des incohérences». D'autant que le nombre de ministères qui interviennent dans les questions de politique sur les PME et le nombre de stratégies sectorielles prévoyant des mesures de soutien à la PME est grand. Trop grand même, selon l'analyse de l'OCDE. Ceci dit, la Charte est en cours de révision, ce qui devrait tendre vers l'harmonisation des diverses stratégies, la mettre en phase avec le Pacte Emergence et améliorer, de façon transversale, la coordination institutionnelle, dont les limites reviennent à maintes reprises dans les défis à relever. Aussi, l'accès des PME au financement est-il un problème majeur, et qui plus est, connu de tous. Les petites entreprises comptent principalement sur leurs fonds propres et sur les prêteurs informels (chèques de garantie, échanges fournisseurs/clients, avances...), et qui ne peuvent soutenir l'activité à moyen et long termes. Sans parler des sociétés qui se trouvent dans un vrai no man's land financier : avec besoins de financement dépassant le seuil de la microfinance, mais restant en deçà du seuil minimal exigé par les banques. N'empêche, Nizar Baraka reste naturellement optimiste en revenant à la charge. «L'élan réformateur doit s'accélérer pour répondre au défi pressant de la création d'emplois qualifiés, pérennes, dans le cadre d'une économie du savoir moderne et compétitive», ajoute-t-il. Et le financement ? Cependant, les lacunes de financement sont légion, et la maturité apparente de notre «si performant» système bancaire en prend un sérieux coup suite à cette publication. «Des insuffisances demeurent et appellent au renforcement du dispositif réglementaire pour optimiser le fonctionnement du secteur financier dans son ensemble et répondre au défi du financement d'une économie émergente en croissance», déplore l'étude. La conclusion est sans équivoque : le Maroc souffre d'un problème de capacité de crédit bancaire, celui-ci étant davantage capté par les grands projets qu'au service de l'entrepreneuriat. Ainsi, si les bienfaits macroéconomiques des grands projets structurants menés par le gouvernement ne font aucun doute, il existe bel et bien un effet pervers sur le financement de la création d'entreprises, puisque l'essentiel des liquidités est pompé par ces projets, qu'ils soient à initiative publique ou privée. De plus, souligne l'étude, les garanties exigées par les institutions bancaires pour l'octroi d'un crédit restent souvent très élevées, voire trop. Capital investissement, crédits d'exploitation et éducation financière et entrepreneuriale sont les principales pistes préconisées par l'Organisation en vue de disposer d'une capacité de financement de l'entrepreneuriat à la hauteur des ambitions affichées. La PME reste très en retard, et encore plus la TPE, ce sera là l'un des défis majeurs du département pour la prochaine décennie. SONDAGE Les RH ne suivent pas l'essor de la région Tout d'abord il faut signaler que le rapport de l'OCDE sur le climat des affaires sera suivi d'une étude de l'USAID en cours de réalisation qui sera livrée sous peu. Ceci étant, le premier problème que l'on rencontre dans la région de l'Oriental est relatif à la lourdeur administrative du fait de la dépendance des décisions de la capitale, ce qui grève les investissements. Mais je pense qu'avec la régionalisation avancée, ce problème sera résolu. En revanche, la région ne souffre pas de bureaucratie comme c'est le cas d'autres régions. Dans l'Oriental, il n'y a pas beaucoup d'entreprises, quoique la situation commence à changer un petit peu, et les gens se connaissent. Ce qui fait que nous avons une «administration humaine». L'autre grand problème se rapporte aux ressources humaines. Ces dernières ne suivent pas encore l'essor économique de la région. Nous avons par exemple un manque en termes de profils pointus comme les directeurs commerciaux et les financiers. Lors de l'ouverture de la station Saïdia, on a dû recourir à des personnes en dehors de la région. À cela s'ajoute le manque au niveau des fonctions supports. Nous avons des entreprises qui ont réussi, mais qui ont du mal à se faire connaître à cause de ce manque. Pour le foncier, le problème ne se pose pas. Et l'informel à grande échelle diminue de plus en plus avec le changement des habitudes de la consommation des habitants de la région. S'agissant du volet financement, je pense que les banques ne sont pas encore agressives. Elles ont tendance à favoriser davantage les opérations de dépôts s'appuyant sur le transfert des MRE. Elles restent réticentes pour les crédits. Concernant la justice, la création de la Chambre d'arbitrage à Oujda devrait favoriser le climat des affaires, mais encore faut-il que les dirigeants d'entreprise adhèrent à ce mode de règlement de litige qui est plus rapide. Par ailleurs, malgré notre positionnement géographique, qui est magnifique, le développement de l'économie de la région est retardé par l'absence d'un port. Nous espérons que l'ouverture de l'autoroute puisse atténuer cet impact. Abdelkarim Mehdi, président de l'Union régionale CGEM Oriental. Le climat des affaires n'est pas au beau fixe Aujourd'hui, le gouvernement va proposer un changement. Ce qui peut être rassurant. Mais en attendant, il y a des secteurs qui ont de la visibilité alors que d'autres n'en ont pas. Les grands problèmes résident dans la transparence au niveau des appels d'offres publics et dans la justice. Mais en attendant, avec l'informel, la compétitivité des entreprises n'est pas garantie. Aussi, il y a une perte énorme d'emplois. En clair, le climat des affaires n'est pas au beau fixe. Actuellement, le Maroc ne compte malheureusement que sur trois secteurs et qui sont en difficulté. Il s'agit du tourisme qui a du mal à se repositionner avec la conjoncture internationale, le BTP qui a des difficultés à redémarrer, sauf peut-être pour le segment du logement social, et le commerce qui est grevé par l'informel. Quant au dialogue social, le dernier accord a cédé au populisme sans rationalisme. Ce qu'il faut, ce sont des conventions collectives qui portent sur la rémunération, la formation et le respect de l'outil de production de l'entreprise. De son côté, le débat politique actuel et qui est incertain n'arrange pas les choses. Il faut rassurer les jeunes qui demandent du travail avec des mesures concrètes. Quant au financement, tout le monde sait actuellement que les banques ont fermé les robinets. Cette situation impacte négativement en premier lieu les PME et PMI qui constituent les grands piliers de croissance de l'économie marocaine. Il faudra leur trouver des mécanismes de financement qui leur soient appropriés, mais il faudra aussi que les banques jouent le jeu. L'expérience ratée de Moukawalati a montré que ces établissements n'ont pas été au rendez-vous. Jamal Belahrach, présidente de la commission sociale de la CGEM. Le blocage administratif persiste toujours Tout d'abord, notons que la croissance semble afficher une petite reprise au premier trimestre 2011, mais qui reste encore fragile et à confirmer. Concernant le climat des affaires, le premier problème se rapporte au blocage administratif qui constitue un obstacle majeur à l'investissement. Il est dommage que cela soit encore si persistant dans notre pays malgré les importantes initiatives public-privé visant à l'amélioration du climat des affaires. Je pense notamment au Comité CNEA (CGEM-ministère des Affaires générales). Par ailleurs, bien que cela soit conjoncturel, les opérateurs souffrent des multiples grèves qui sévissent dans l'administration et qui paralysent sensiblement l'activité. Certes, ce n'est que ponctuel, mais cela n'arrange pas les choses. Le financement est à son tour un obstacle important, mais à ce niveau il faut signaler qu'il est souvent intimement lié à la disponibilité du foncier, ce dernier étant peu disponible et cher. Les entreprises en besoin de financement ont donc souvent des difficultés à présenter les garanties nécessaires aux banques qui sont obligées de suivre les règles prudentielles. Cela étant, le message que donne aujourd'hui le gouvernement en luttant contre la corruption devrait être bénéfique pour les affaires. Par ailleurs, tout en mettant en route les ALE signés ces dernières années et qui présentent de réelles opportunités de croissance pour les entreprises, le Maroc doit accompagner cela par un travail de mise à niveau des normes aussi bien vis-à-vis des produits importés que des produits manufacturés au Maroc qui souffrent de carence de reconnaissance sur leur propre marché ! Ghalia Sebti, vice-présidente à la CGEM. La justice ne suit pas le développement Une stratégie d'amélioration du climat des affaires au Maroc ne peut être que bénéfique. Ceci étant, l'année dernière, notre secteur a connu deux événements majeurs. Le contrat-programme logistique et le code de la route. Ce dernier a eu des impacts positifs sur notre secteur. Il a eu le mérite de réduire le phénomène de la corruption, sans toutefois l'éradiquer. L'autre point qui va certainement être bénéfique pour le climat des affaires dans le secteur : la signature le mois prochain du premier contrat induit de la stratégie logistique et qui se rapporte au transport routier. Donc il y a la volonté d'aller de l'avant. Cependant, la justice ne suit pas toujours l'évolution du pays. Elle constitue toujours un frein au développement de l'économie nationale. Pour l'informel, il est clair que le secteur en souffre, mais avec la stratégie logistique il y aura certainement une amélioration. La dernière étude de McKinsey estimait son poids dans le secteur à plus de 45%. Mais en réalité il doit représenter beaucoup plus que cela. Pour pouvoir combattre cela, il faut instaurer des mesures incitatives pour encourager les TPE à sortir de leurs activités informelles comme par exemple la mise en place du carburant professionnel ou l'utilisation des autoroutes la nuit à des prix préférentiels. S'agissant des RH, elles ne posent plus de problèmes car nous avons pu adapter la demande à l'offre du marché. En revanche, le financement constitue un grand obstacle. En effet, les banques, à cause du respect trop strict des règles prudentielles, sont très réticentes quant à l'octroi aux crédits aux entreprises du secteur. Certes, il s'agit de TPE ne présentant pas assez de garanties, mais il faudra leur trouver des mécanismes de crédits qui leur soient dédiés. Abdelilah Hifdi, président de la Fédération du transport.