Le délai de 60 jours donné par le ministère pour l'entrée effective de la baisse du prix des médicaments est très critiqué par les professionnels. Jugé insuffisant, il risque, en cas de manque de préparation, de perturber la disponibilité des médicaments. Les industries préviennent d'ores et déjà contre une pénurie pendant les premiers jours suivant l'entrée en vigueur de la baisse. Le compte à rebours est enclenché. C'est le 19 juin prochain que le décret sur le prix du médicament sera applicable. Il faut comprendre qu'au plus tard à cette date, les prix de près de 800 médicaments connaîtront une baisse, en application du nouveau décret sur le prix du médicament. Un délai qui met la pression sur les industriels, grossistes et pharmaciens qui disposeront de 60 jours après la publication du décret au Bulletin officiel avant son entrée en vigueur effective. «Ce délai n'est absolument pas suffisant pour permettre à l'ensemble des intervenants du secteur de se préparer», objecte Abdelghani El Guermai, président d'honneur de l'AMIP. Disponibilité menacée ? Dans une récente missive envoyée à l'ensemble des intervenants de la chaîne pharmaceutique, le ministère de la Santé s'engage à respecter les délais règlementaires dans l'élaboration et la publication du prix public de vente (PPV) avant la publication du texte (le 19 avril 2014). Ceci devrait permettre aux établissements pharmaceutiques industriels de disposer du temps nécessaire pour anticiper la procédure d'étiquetage et de ré-étiquetage. Pour le cas des marchandises non écoulées sur le marché dans le délai requis par le décret, le ministère a promis d'autoriser le ré-étiquetage des prix en PPV, sous la responsabilité de l'établissement pharmaceutique industriel détenteur de l'autorisation de mise sur le marché. «C'est là que le bât blesse», affirme El Guermai. Les pharmaciens ne disposant pas du droit de ré-étiqueter, ils doivent retourner l'ensemble de la marchandise stockée aux grossistes qui les renverront aux laboratoires en vue de procéder au ré-étiquetage. «Une opération qui peut prendre beaucoup de temps et qui risque de perturber la disponibilité des médicaments». Les industriels affirment qu'en préparation à cette phase transitoire, de nombreux pharmaciens ne stockent plus et achètent des petites quantités au jour le jour. En effet, les pharmaciens ne veulent pas prendre le risque de garder une marchandise au prix actuel dans leurs stocks au moment de l'application du décret, «ce qui laisse planer un risque de pénurie lors de l'entrée en vigueur effective du décret», affirme El Guermai. Les opérateurs prévoient en tout cas un grand cafouillage logistique dû au délai trop court imposé par le décret. «Nous demandons au moins un délai jusqu'à la fin de l'année pour pouvoir bien gérer cette phase. Nous avons attendu 4 ans pour ce décret, je ne vois pas pourquoi on n'attendrait pas encore quatre ou cinq mois pour éviter les complications», estime El Guermai. Le choix du mois de juin pour l'entrée en vigueur effective de la baisse coïncidera avec la période des vacances d'été et le mois de ramadan. «Cette période connaît généralement une baisse de consommation des produits pharmaceutiques et pourrait aggraver la situation de notre industrie qui a déjà supporté une baisse de 25% du chiffre d'affaires», ajoute le président d'honneur de l'AMIP. L'entrée en vigueur «précipitée» de ce décret pose ainsi de nombreux problèmes logistiques aux pharmaciens d'officine. Le délai serait insuffisant pour permettre à tous les pharmaciens (12.000 pharmaciens), dont un bon nombre se trouve dans des régions reculées et difficiles d'accès, de s'approvisionner à temps selon le nouveau tarif des prix et de procéder au ré-étiquetage de leurs marchandises. Une réunion entre les différents intervenants du secteur (industriels, grossistes, officinaux...) devait se tenir hier après-midi pour discuter de ces problèmes, et éventuellement préparer la contre-attaque. Réévaluation En parallèle, les entreprises pharmaceutiques continuent de soulever la question de l'alignement du prix des médicaments les moins chers sur celui des pays du benchmark. L'AMIP estime que de la même façon que les médicaments les plus chers devront s'aligner sur la moyenne des pays benchmarkés, ceux qui sont moins chers que cette moyenne devront être réévalués. «50% des médicaments sont en-dessous du benchmark, s'ils ne sont pas réévalués selon l'accord que nous avons acté avec le ministère de la Santé, nous aurons de grands problèmes économiques et financiers», prévient El Guermai. Toutefois, le décret sur le prix du médicament se veut catégorique à ce niveau. Il fixe les modalités de révision des prix de vente des médicaments et ne manque pas d'établir quelques obstacles techniques à la révision. Ainsi, «si le prix d'un médicament princeps s'avère être en-dessous de la moyenne des pays du benchmark, le prix public de vente sera maintenu», décrète le texte. En outre, les dispositions du décret fixent les conditions dans lesquelles les industriels peuvent déposer une demande de hausse des prix d'un médicament. Le décret souligne clairement que «toute révision ne pourra être examinée par l'administration que pour des raisons objectives dûment justifiées». Il est à noter que le prix de chaque médicament, tant princeps que générique, est soumis à une révision au moment du renouvellement quinquennal de son autorisation de mise sur le marché. De quoi réduire la marge de manœuvre des fabricants. Les industriels affirment que ce sont surtout les médicaments génériques -qui constituent le principal de notre offre exportable pharmaceutique- qui devraient faire l'objet d'une hausse des prix. Cependant, il se trouve que le décret sur le prix du médicament fixe une toute autre méthodologie pour la fixation du prix du médicament générique. Dans ce sens, le ministère a fixé des pourcentages de réduction entre le princeps et ses génériques. Ainsi, pour un médicament princeps coûtant entre 70 et 150 DH, la réduction opérée par le générique devra être de 35% et ainsi de suite. Le projet fixe 6 tranches de prix pour les médicaments princeps avec pour chacune un taux de réduction qui lui est propre. Le ministère explique que «cette approche est recommandée par l'OMS qui part du principe que le prix du générique doit être toujours inférieur à celui de son princeps». La méthodologie adoptée pour le médicament générique ne semble en tout cas pas compatible avec cette volonté de révision à la hausse. Les réactions du ministère de la Santé sont toujours attendues à ce niveau. Pour l'instant, la priorité demeure la réussite de la phase de transition vers la baisse. Le ministère a promis d'organiser plusieurs réunions de coordination avec les différents représentants du secteur pharmaceutique pour réussir l'opération. Une campagne de communication et de sensibilisation auprès du grand public devrait également accompagner cette phase. Le ministère de la Santé affirme en tout cas vouloir assurer une disponibilité ininterrompue des médicaments sur l'ensemble du territoire national.