Le secteur du bâtiment génère, à lui seul, le quart des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Une donnée non négligeable surtout lorsqu'on sait que le parc construit au Maroc évolue à une vitesse vertigineuse. En effet, la masse construite est passée de 2 395 542 bâtiments en 1997 à un seuil de 2 862 218 unités en 2008. De fait, si ce secteur remplit les poches des professionnels, ce n'est pas pour autant qu'il fait plaisir à dame planète. Construire ou polluer? La construction «propre» n'abonde, effectivement, pas sur les chantiers marocains. «90% des promoteurs immobiliers marocains ne savent même pas encore ce qu'est une architecture écologique», tance un grand professionnel de la place. «Prendre en considération ce type de conditions, pour un promoteur immobilier, c'est dépenser beaucoup plus sur un chantier qu'il n'est pas sur de vendre avec des marges conséquentes», ajoute de son côté, un expert du secteur. Selon Majid Mansour, enseignant chercheur en écologie et développement durable à l'Ecole nationale d'architecture, le surcoût engendré par l'adoption de matériaux propres pour la construction se situe entre 15 et 20%, comparé au coût de construction avec des matériaux classiques. D'autant plus que la demande marocaine est encore balbutiante pour les logements «écolo». Négligés car inconnus ou jugés trop chers par le consommateur marocain, ou le promoteur immobilier lui-même, les matériaux de construction naturels et respectueux de l'environnement, dits «verts», ne sont ainsi pas très prisés sur le marché marocain. Et pourtant, c'est tout un programme écologique que le gouvernement bataille pour mettre en place. Des conventions, des chartes et même un pacte d'efficacité énergétique, sans oublier des projets de villes nouvelles qui consacrent le concept du logement écolo. Cela semble, malgré cela, insuffisant car d'une part la tendance écolo n'en est pas plus «célèbre» et d'autre part, les professionnels n'en sont pas plus engagés. «C'est la faute du ministère de l'habitat. Rien n'est fait pour impliquer les promoteurs immobiliers dans l'orientation écologique», se défend un membre de la fédération des promoteurs. Mais ce n'est pas tout. Une construction propre, par définition, c'est n'est pas seulement des matériaux naturels, c'est aussi une consommation d'énergie modérée et qui rejette moins de déchets polluants dans l'atmosphère. Sur ce point, ce n'est pas l'immobilier marocain qui peut se prétendre le mieux loti. Nos aménagements urbains sont inadaptés pour favoriser les économies d'énergie et le développement de l'utilisation des sources d'énergies renouvelables est encore timide. Sans oublier un élément fondamental : la formation de nouvelles compétences en matière de sélection et de mise au point de nouveaux matériaux de construction conformes aux exigences de l'architecture verte est quasi-inexistante. Une consommation pas «verte» du tout En dépit des multiples campagnes de sensibilisation et des appels gouvernementaux à l'adoption de réflexes «écologiques», les bâtiments marocains continuent à consommer énormément d'énergie et à en émettre autant dans l'atmosphère. Electricité, ordures, chauffage... tout autant de gestes quotidiens dont les effets néfastes sur l'environnement ne sont plus à démontrer. Dans d'autres pays, beaucoup plus sensibles à cette cause déjà, le problème est ancré. En Europe occidentale, les bâtiments en cours d'exploitation consomment une grande quantité d'énergie pour procurer un seuil de confort et de viabilité à leurs occupants. Des chiffres avancés par Levin (1997) et Edwards et al. (1996) font état d'une fourchette allant de 40 à 45% de la consommation d'énergie totale du monde occidental. De même, la consommation de matériaux pendant la construction des bâtiments, souvent négligée, représente 30 à 40 % des matières premières échangées sur le marché mondial (Levin 1997). Un benchmark nécessaire pour saisir l'ampleur des dégâts du coté marocain, à défaut d'existence de chiffres nationaux fiables sur l'importance des rejets polluants dans nos bâtiments. À titre comparatif, également, notons que plus de 25% de la production de déchets solides du monde occidental provient directement de l'exploitation des bâtiments. En outre, la génération de déchets pendant la construction est estimée à 10 % de la production totale des déchets. Si l'on ajoute encore 20 % liés à la manière dont on détruit actuellement les immeubles, les bâtiments européens représentent plus de 50 % de la production internationale des déchets. Tout ce que l'on sait du coté marocain, c'est que le secteur résidentiel accapare près de 30% de la consommation énergétique nationale et ce, sur la base de statistiques du Ministère de l'Habitat, de l'Urbanisme et de l'Aménagement de l'Espace. D'autre part, des matières grises occidentales ont déjà proposé des solutions et autres recours techniques. Il s'agit d'abord de favoriser «des configurations de bâtiments efficaces afin d'obtenir des rapports façade/surface au sol adéquats, de concevoir des configurations de postes de travail efficaces afin de garantir une charge de chaleur dans les bâtiments relativement faible et, enfin, d'éviter les configurations complexes des bâtiments ainsi que des bâtiments hauts, du moment où ils requièrent davantage de matériaux de construction». De quoi inspirer le constructeur marocain et le pousser à s'engager dans une vision «écolo». Rien ne nous empêche donc de croiser les doigts pour voir un jour cette vision s'imposer. Vers la professionnalisation de «l'écolo» Si les promoteurs immobiliers se sentent mis à l'écart de la stratégie écologique, le Ministère de l'Habitat de l'Urbanisme et de l'Aménagement de l'Espace ne compte pas maintenir la situation en l'état. Le débat de la construction «écolo» sera relancé avec les acteurs du marché à l'occasion des salons professionnels à venir (SIB2010), de tables rondes et autres rencontres de professionnels de l'immobilier marocain. Cela devrait apporter un brin de changement à la donne actuelle du moment où le groupe AL Omrane est pour l'instant le seul interlocuteur de l'Etat en matière de construction écologique. En effetle groupe s'est engagé sur plus d'un projet dans ce sens. Citons les projets de «villes à énergie positive» telles que «Sahel Lakhyayta» et la ville nouvelle de Chrafat, dont les conceptions s'inspirent beaucoup des expertises allemande et française, pionnières en la matière. Les BBC poussent comme des champignons Les derniers chiffres du gouvernement français font état de 19 000 projets de construction ayant fait l'objet d'une demande de certification BBC Effinergie (consommation d'énergie primaire inférieure à 50 kWh/m2/an) depuis 2007, dont 15 000 demandes déposées cette année. La tendance penche également de plus en plus vers les bâtiments à énergie positive. La construction du premier prototype, la Tour Elithis, dans la ville de Dijon, a été finalisée en avril 2009 et a été le fruit d'un investissement de 7 millions d'euros. La tour est entièrement équipée de panneaux solaires qui produisent 75 000 kWh/an. À cela s'ajoutent de nombreux autres projets en région parisienne, comme le Green Office de Bouygues immobilier à Meudon ou le Bâtiment 114 d'Icade EMGP (Immobilier) à Saint-Denis, par exemple, qui ne devrait consommer «que» 35 kWh/m2/an. Encore mieux, Energy Plus, développé par Alma Consulting Group à Gennevilliers, un bâtiment de plus de 60 000 m2 qui ambitionne de ne consommer que16 kWh/m2/an. L'étape suivante pour le gouvernement français sera la généralisation de ces bâtiments neufs à énergie positive, prévue à l'horizon 2020. Tous ces projets s'inscrivent dans le sens des directives de la loi Grenelle environnement. Une nouvelle réglementation thermique (RT 2012) est d'ailleurs en préparation et devrait être adoptée courant 2010. Cette nouvelle réglementation de la consommation énergétique des bâtiments devrait remplacer celle de 2005, et prévoit de faire passer la consommation énergétique des bâtiments neufs sous la barre de 50 kWh/m2/an. La réglementation thermique actuelle équivaut à une consommation d'énergie primaire entre 110 kWh/m2/an et 250 kWh/m2/an. Ping-pong « éco-illogique » Alors que certains promoteurs immobiliers disent qu'ils «ne savent pas ce qui se passe en matière d'architecture propre» au Maroc, le ministère, de son côté, tient un discours plutôt catégorique qui va à contresens. En effet, contacté par les Echos, un cadre du ministère renvoie sans ménagement la balle dans le camp des promoteurs immobiliers : «Le problème vient de ces mêmes promoteurs!». Le cadre du ministère poursuit son argumentation en soutenant que «ce n'est pas la faute du ministère si, sur les 5 000 promoteurs immobiliers qui existent au Maroc, une minorité affirme ne pas être au courant» d'un programme visant le développement de la tendance écologique dans la construction, avant de revenir sur les nombreux projets ambitieux du ministère concernant le secteur. Même son de cloche du côté de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers qui, apparemment, ne semble pas obtenir l'assentiment de ses membres par rapport à la question de la construction propre au Maroc. Une question qui en cache d'autres, d'ailleurs : le ministère communique-t-il suffisamment autour de ses programmes de promotion de la tendance «architecture propre»? Ou bien, certains promoteurs cherchent-ils vraiment à «actualiser leur savoir-faire face au défi écologique ? Le débat est ouvert. Pour le moment, le ministère et les promoteurs se rejettent mutuellement la responsabilité et la consruction verte est loin de devenir une réalité .