Les investisseurs turcs passent à la vitesse supérieure. Après de nombreuses missions sectorielles organisées ces derniers mois au Maroc (cf: www.leseco.ma), c'est un déplacement officiel du chef de gouvernement qui vient confirmer l'intérêt du secteur privé turc pour le marché marocain. Pas moins de 120 hommes d'affaires accompagnent le 1er ministre Recep Tayyip Erdogan. La délégation est aussi composée des ministre de l'Economie, des Affaires étrangères, du Transport ainsi que du Tourisme. Première étape dans la tournée maghrébine de la délégation turque, le Maroc constitue en effet la pierre angulaire de la stratégie d'investissement du pays sur le marché africain. En perte de vitesse, le marché européen ne constitue plus réellement un relais de croissance pour l'économie turque qui a aujourd'hui besoin de diversifier ses marchés et qui, ces dernières années, voit dans le Maroc une porte d'entrée vers un continent à fort potentiel de croissance. Au delà de la diplomatie, l'aspect business et plus globalement économique semble être prédominant. Plusieurs secteurs intéressent aujourd'hui les opérateurs économiques turcs, en témoigne le déplacement des chefs de départements ministériels, sans pour autant que ce dernier ne donne réellement de visibilité sur la nature de la coopération entre le secteur privé des deux pays. Pour Gokmen Ertas, secrétaire général de Tuskon, «Les entreprises turques veulent aujourd'hui étendre leurs exportations sur de nouveaux marchés mais envisagent également d'élargir les échanges commerciaux entre les deux pays pour, in fine, attirer de nouveaux investissements vers le Maroc». La réalité du terrain traduit une toute autre configuration. Selon les chiffres communiqués par l'Association marocaine des exportateurs (ASMEX), les importations de Turquie ont été de l'ordre de 5,25 MMDH en 2011 contre des exportations marocaines vers la Turquie qui ne dépassaient pas les 2,11 MMDH en 2011. Le taux de couverture pour la même année était de l'ordre de 40,3% contre 29,9% en 2009. «Ces données chiffrées traduisent donc un déficit commercial important et un volume des échanges global faible au regard du potentiel existant», ajoute l'ASMEX. Ce déséquilibre est d'autant plus inquiétant qu'il risque de se creuser en 2016, date d'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange. L'ALE en plateforme de négociations La Turquie ne négociera donc pas ses investissements au Maroc sur un terrain en friche. Bien balisé, ce dernier est régi par un accord de libre-échange qui prévoit un démantèlement progressif sur 10 ans. Cet ALE négocié entre les deux pays ne prend pas en ligne de compte le déséquilibre entre les deux économies. Dans cette configuration, l'avantage turc est indéniable. L'offre turque est en effet largement diversifiée et compétitive, bénéficiant d'un système incitatif «cohérent et efficace» à travers «des primes à l'export, un financement suffisant, un bon réseau d'assurance, une politique de change souple, une agressivité commerciale des entreprises», soulignent les responsables de l'Association marocaine des exportateurs. Tous ces éléments confirment alors l'idée soutenue par le tissu économique national : «la Turquie profite largement mieux de l'ALE, de la ligne aérienne directe et des marchés marocains d'infrastructures». Si aujourd'hui, les investisseurs turcs brandissent le drapeau du partenariat «win-win», la plateforme de négociation ne permet pas encore d'envisager cette configuration dans la mesure où au niveau national de nombreux efforts restent à faire, notamment sur le plan synergique entre le secteur privé et le gouvernement, qui est aujourd'hui appelé à intégrer le tissu économique dans sa stratégie de promotion à l'international. Q/R Abdelaziz Alazrak, Président régional d'Amal entreprises Les ECO : Quel est le rôle d'Amal entreprises dans l'organisation de cet évènement ? Abdelaziz Alazrak : Amal entreprises est partenaire de l'Association des industriels et hommes d'affaires turcs, Musiad, qui conduit la délégation turque. Notre mission a porté sur la préparation technique de ce déplacement. Côté marocain, nous avons mobilisé de nombreuses entreprises installées à Beni Mellal, Agadir ou Oujda. Le but est de rassembler un maximum d'entreprises marocaines et turques pour deux jours de rencontres B to B. Cette visite des entrepreneurs turcs est aussi une première étape, avant International business forum(IBF) dont la 17ème édition se déroulera à Marrakech. Plus de 4.000 hommes d'affaires y participeront. La visite de Recep Tayyip Erdogan confirme la participation officielle de la Turquie au IBF. Les patrons marocains s'inquiètent de l'offensive économique turque au Maroc....Est-ce justifié ? Nous ne devons pas être inquiets, bien au contraire. Nous devons nous inspirer du modèle turc qui a prouvé ces dernières années son efficacité. Il est aujourd'hui essentiel d'apprendre à protéger notre marché de la même manière que les Turcs ont réussi à le faire, tout en nous inspirant de leur stratégie d'industrialisation. Nous devons voir cette visite comme une opportunité qui nous permet élégamment de noter les synergies qui existent entre le secteur privé et le gouvernement turc qui ne déplace jamais sans les chefs d'entreprises. Côté marocain, comment se déclinerait cette synergie ? Les entreprises marocaines ont besoin du soutien du gouvernement. Et ce dernier gagnerait à les faire participer aux voyages officiels ; nous sommes prêts à prendre en charge nos frais. Nous pensons même que ce système serait bien plus efficient que celui de Maroc export qui aujourd'hui n'a toujours pas donné de réels résultats malgré le budget colossal qu'il mobilise. Par ailleurs, nous avons besoin au Maroc d'un système unique qui rompt avec la multitude de programmes d'accompagnement gouvernementaux. Programmes qui ne profitent qu'à une centaine d'entreprises. Pourquoi ne pas s'inspirer du modèle turc dont le rayonnement est international. Les reco' du secteur privé En proie à de réelles difficultés dans l'agencement des relations commerciales avec leur partenaire turc, les entreprises marocaines y voient davantage une offensive commerciale très agressive sur les marchés ciblés par le tissu entrepreneurial marocain. La forte concurrence turque au Maghreb, au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe ne sont en effet plus à démontrer et une révision de l'ALE est clamée à grands cris. À l'instar du système turc, le secteur privé national recommande vivement l'installation de délégations marocaines en Turquie pour assurer la coordination des efforts de promotion des investissements marocains. Plus encore, l'ASMEX propose la «création de comités sectoriels afin de mieux détecter les partenariats en investissements au Maroc, au Maghreb et en Afrique subsaharienne avec une délégation AMDI-ASMEX en Turquie».