Le bras de fer entre la CGEM et Amal Entreprises prend une nouvelle dimension. La confédération patronale dirigée par Miriem Bensalah a en effet décidé de ne pas prendre part à la rencontre économique Maroc-Turquie, organisée en marge de la visite au royaume du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Pour quelle raison? Officiellement, la confédération aurait reçu l'invitation à l'évènement très en retard. «Une rencontre de cette envergure ne peut pas être préparée à la va-vite. Nous avons été sollicités pour participer à cet événement à la dernière minute, ce qui nous a poussé à décliner cette offre», explique Jamal Belahrach, président de la Commission emploi et formation professionnelle à la CGEM. La réalité est toute autre : la CGEM n'a pas apprécié la présence d'Amal Entreprises, l'autre confédération patronale, en première ligne. Les patrons affiliés à la confédération de Miriem Bensalah ne sont d'ailleurs pas allés par quatre chemins pour exprimer leur mécontentement : «CGEM «out» des visites des entrepreneurs qui accompagnent M. Erdogan au profit d'Amal Entreprises, d'obédience islamiste», a déploré Othmane Cherif Alami, patron d'Atlas Voyage, sur son compte Twitter dimanche soir. Réponse de Jamal Belahrach sur le même réseau social : «il fallait s'y attendre. Cela couvait depuis longtemps et s'inscrit dans un plan prémédité. La question est what's next...». Un échange «amical» qui met clairement en cause Amal Entreprises. Son président, Taieb Aisse, s'en défend : «à cause de l'agenda politique surbooké du premier ministre turc, la confirmation de la visite n'est intervenue qu'il y a trois semaines. Nous nous sommes donc mis au travail aussitôt, et avons pris le soin d'inviter tous les concernés, la CGEM en premier. Mais une chose nous importe : que la visite soit bénéfique pour l'ensemble du tissu économique du royaume. Voilà l'objectif», explique-t-il. Mais comment la nouvelle confédération a-t-elle damé le pion au représentant «légitime» du patronat pour être l'interlocuteur privilégié des turcs ? Coup d'éclat D'après le président d'Amal Entreprises, la raison est toute simple : «nous avons des relations très privilégiées avec plusieurs associations professionnelles turques, notamment le «Musiad» qui organise le Forum d'affaires Maroc-Turquie. Cette dernière nous a sollicités pour être son partenaire dans l'organisation de cet espace d'échanges B2B entre les hommes d'affaires des deux côtés. Nous y avons répondu favorablement, avec l'intention d'associer tous les acteurs économiques du pays». Un joli coup en somme puisque le premier ministre turc ramène dans ses valises pas moins de 300 businessmen de tous bords : agroalimentaire, textile, BTP, pharmaceutique...avec en perspective des contrats juteux à décrocher de part et d'autre. Jalouse finalement, la CGEM ? «Il faut savoir que notre confédération est le représentant légitime et le partenaire officiel du gouvernement dans toutes les questions d'ordre économique. Nous regrettons qu'un tel événement n'ait pas été préparé avec la rigueur et le sérieux nécessaires, car les enjeux industriels et commerciaux sont de taille», estime Jamal Belahrach. À vrai dire, si la «jeune» confédération patronale est aujourd'hui aux premières loges, c'est qu'un travail de fond a été fait pour renforcer les relations économiques avec les turcs. Ces dernières années, Amal Entreprises a enchaîné les missions économiques en Turquie et, sur son invitation, plusieurs délégations d'hommes d'affaires du pays d'Attatürk se sont rendues au Maroc. Point d'orgue de cette «lune de miel», Amal Entreprises a décroché, en octobre 2012, l'opportunité d'organiser la 17e édition du forum d'affaires islamique (IBF). Un événement international organisé en alternance en Turquie et dans un autre pays musulman. Ce forum ratisse très large pour établir des échanges commerciaux, les partenariats d'affaires ainsi que les investissements dans les pays musulmans. Néanmoins, ce coup d'éclat a apporté de l'eau au moulin des détracteurs d'Amal Entreprises, ces derniers la taxant de proche du parti de Abdellilah Benkirane. La main (in)visible du PJD ? Othmane Cherif Alami, cité plus haut, n'a pas hésité à qualifier Amal Entreprises d'«obédience islamiste». Le PJD y est-il pour quelque chose dans la montée en puissance de la jeune confédération patronale? C'est un secret de polichinelle, les relations entre le PJD et l'AKP, dont est issu Erdogan, sont très fortes. Ce qui est sûr aussi, c'est que le Musaid (Association indépendante d'industriels et d'hommes d'affaires) est proche du parti du premier ministre turc. Les connexions islamistes aurait-elles donc joué? «Nous nous faisons pas de politique. Amal Entreprises est une association professionnelle qui regroupe des entrepreneurs de tous bords. C'est une organisation apolitique dont le seul souci est de renforcer le tissu économique, et de défendre les intérêts de ses membres», explique Taieb Aisse. Après une longue léthargie, Amal Entreprises, qui existe de puis 2004, a refait surface en mars 2012 avec la création de son antenne régionale à Casablanca. Cet évènement a connu la participation de quelque 150 chefs d'entreprises représentant plusieurs secteurs d'activité avec, en prime, un invité d'honneur: Abdelaziz Rabbah, ministre PJDiste de l'Equipement et du transport, a tenu à donner sa «bénédiction» à la nouvelle entité. Un soutien «symbolique» qui a tout de suite été interprété comme une opération séduction des milieux d'affaires. «Notre association a vu le jour il y a 10 ans, avant donc l'arrivée du PJD au gouvernement. Notre ambition est d'en faire un cadre de promotion du partenariat, et nous tenons à ce que notre association ne fasse pas partie des calculs politiques. Il y a des partis politiques pour ce faire», affirme le président d'Amal Entreprises. Enjeu électoral ? La montée en puissance d'Amal Entreprises n'arrête pas d'intriguer le landerneau économico-politique. En tout cas, le timing n'a rien d'anodin. La création de l'antenne casablancaise de l'association, en mars 2012 et à quelques mois de l'adoption de la nouvelle Constitution, a été perçue par les milieux d'affaires comme une déclaration de guerre à la CGEM et pour cause, la nouvelle loi suprême du pays accorde au patronat une représentation à la deuxième Chambre du Parlement avec 8 sièges. Des sièges qui ne seront pas systématiquement occupés par la CGEM. La Constitution parle en effet d'organisations patronales les plus représentatives au niveau des régions. Ainsi, le Grand Casablanca sera représenté par deux élus. L'antenne régionale de l'Association Amal Entreprises a-t-elle des visées sur l'un des deux sièges qui reviendront à la région ? «Ce n'est pas une préoccupation pour nous. Les questions qui nous taraudent sont d'abord d'ordre économique : création de richesses, emploi, investissement, c'est à ce niveau que nous concevons notre valeur ajoutée», indique le président d'Amal Entreprises.