WhatsApp, Viber, Skype, Google sont autant d'épées de Damoclès planant sur les télécommunications traditionnelles, dans la configuration actuelle de leur business model du moins. Le Maroc n'échappe pas à cette menace. Au niveau international, la quasi-totalité des opérateurs de télécommunication font face à des difficultés sans précédent depuis quelques années. Orange en France, Vodafone au Royaume-Uni, T-mobile en Allemagne, TIM en Italie et Telefonica en Espagne ont tous vu leurs chiffre d'affaire baisser considérablement en 2011 et 2012. Pour l'opérateur espagnol, le repli a été spectaculaire: près de 17% perdu dans son chiffre d'affaires sur les deux années! C'est dire si le renversement des tendances dépasse les facteurs conjoncturels, et combien la nécessité de trouver un nouveau business model pour le secteur devient urgente. Les rares opérateurs à avoir tiré leur épingle du jeu pendant cette même période sont américains, les seuls à avoir su anticiper la tendance et, nous y reviendrons dans quelques lignes, chambouler leurs orientations stratégiques. L'on s'est longtemps targué au Maroc de l'avancement de nos télécoms au niveau continental et régional, allant jusqu'à comparer le marché national aux marchés développés. Maturité paradoxale Il est vrai que cette fierté est bien fondée et qu'elle repose sur des données tangibles, relevées périodiquement par le régulateur du secteur, l'ANRT. Taux de pénétration élevé, alignement technologique régulier, multiplication des offres, évolution des habitudes de consommation et, dernièrement, baisse significative des prix sont autant de paramètres concrets qui corroborent la maturité de ce secteur dynamique par excellence. C'est ce dernier élément, en faveur du pouvoir d'achat des citoyens, qui met en exergue le revers de la médaille d'un marché mature. Tout comme en Europe, le marché national a connu cette année une baisse significative de ses recettes (voir le graph de la une). Ceci dit, contrairement aux opérateurs européens qui ont été pris de vitesse par la mutation technologique et qui ont joué l'essentiel de leurs cartes commerciales, le Maroc bénéficie pour sa part de cette expérience, tout en ayant une multitude de relais de croissance potentiels pas encore exploités. Rien ne pousse ni à l'alarmisme ni à la panique... jusque là. En tant qu'agents économiques rationnels et informés, les acteurs du secteur, tout comme leur régulateur se doivent donc d'anticiper cette refonte mondiale des business models, afin d'éviter de tomber dans des situations aussi délicates que celle des télécoms espagnols par exemple. Inversion des revenus Il est temps de trouver et de développer un modèle win-win entre les opérateurs d'infrastructures et les fournisseurs de contenus. La chaîne de valeur se complique. Avant, la chaîne de valeur a profité aux opérateurs et aux équipementiers, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. La guerre des revenus est déclarée entre les deux camps. Comme indiqué plus haut, les opérateurs télécoms américains sont parmi les rares à maintenir une croissance significative de leurs revenus. Leurs chiffres d'affaire ont effectivement connu une progression allant de 5,5% à 8% d'un opérateur à l'autre. Les explications derrière cette tendance positive sont multiples, mais au niveau stratégique, un point ressort plus particulièrement: plusieurs d'entre eux se dirigent vers une inversion de source de revenus et de mode de facturation. Les américains ont entamé la rupture en troquant le modèle du limité sur les services «voix» pour l'illimité sur les services «data», notamment l'accès à Internet. Le business model qui se dessine donc repose en partie sur la facturation des services de données selon les volumes consommés, pendant que les appels vocaux s'acheminent vers l'illimité. Cette réorientation qui relève du bon sens lorsque l'on se penche sur les nouveaux modes d'utilisation des télécoms. La voix sur IP a en effet connu un développement fulgurant pendant les dernières années, portée par la vague d'expansion des smartphones. Cette révolution technologique redistribue profondément les cartes de la chaîne de valeur de l'économie numérique (voir graphique). Les opérateurs d'infrastructures perdront inexorablement des parts de valeur ajoutée au profit des opérateurs de service, des fournisseurs d'applicatifs et surtout, des fournisseurs de contenu, géants américains de la Silicone Valley en tête. Si auparavant, les appels IP étaient limités aux ordinateurs, ils se sont aujourd'hui étendus aux applications martphone, leur conférant ainsi le caractère d'ubiquité qui leur manquait pour concurrencer la téléphonie mobile. Le Maroc, de plus en plus à jour au niveau des technologies télécom et numérique n'échappe pas aussi à cette tendance, comme le montrent les chiffres de l'ANRT sur l'utilisation des TIC par les marocains. Rien que sur 2013, 21% des marocains ont déclaré vouloir s'équiper en Smartphone, pour venir s'ajouter aux 12% qui le sont déjà (16% en milieu urbain)! De quoi attirer encore plus d'utilisateurs de WhatsApp, Viber, Skype et autres d'applications de communication IP, au détriment des communications traditionnelles sur les réseaux GSM. Notre invité de la semaine dernière, Azzedine El Mountassir Billah, directeur général du gendarme des télécoms, l'avait par ailleurs confirmé : «la fin des réseaux GSM n'est qu'une question de temps». Quadruple play et minutes retail, un must Alors que cette révolution technologique bat son plein, d'autres pistes pour revitaliser les recettes du secteur n'ont toujours pas été explorées, faute d'un cadre réglementaire adéquat, puisque le nouveau texte de loi y afférent dort depuis plus de deux années dans les tiroirs du Secrétariat général du gouvernement. Une première piste est déjà largement consommée sur les marchés occidentaux. Celle de la revente de minutes, ou minutes retail pour les intimes. Elle consiste à autoriser des tiers à utiliser les équipements des opérateurs d'infrastructures tierces pour proposer des services télécoms aux consommateurs. Leur métier consiste à acheter des minutes en gros auprès des opérateurs disposant de réseaux, pour ensuite les revendre au détail auprès des clients, mais encore faudrait-il que les termes des transactions en gros soient clairement encadrés, ce qui pourra être possible après l'adoption du projet de loi en suspens. La condition est la même pour booster la seconde piste, celle du Quadruple play, qui a supplanté le Triple play sur les marchés développés. Le quadruple play est, dans l'industrie des télécommunications, «une offre commerciale dans laquelle un opérateur propose à ses abonnés un ensemble de quatre services dans le cadre d'un contrat unique: l'accès à l'Internet à haut débit voire à très haut débit, la téléphonie fixe , la télévision avec parfois des services de vidéo à la demande et la téléphonie mobile». Ce service est fourni au moyen de packages spécifiques, les box via la ligne filaire téléphonique, et les liaisons hertziennes ou de proximité (Wifi, Wimax) pour la téléphonie mobile. Une offre globale qui redonne un léger avantage aux opérateurs de réseaux et qu'il faut absolument booster au Maroc. Vers le trading télécom ? Aussi, pour simplifier, les réseaux de télécommunications peuvent être considérés comme des usines qui produisent des services de télécommunications vendus aux clients. Celles-ci transforment ou consomment des matières premières comme de la terminaison de minutes vers l'international, ou encore de l'échange de données vers d'autres réseaux, notamment en IP. Dès lors, pourquoi ne pas organiser une bourse avec ces matières premières et les échanger sur un marché, à l'instar du cacao, de l'or ou du pétrole ? C'est dans cette optique que l'idée a germé dans la tête de quelques entrepreneurs de par le monde, l'idée de se spécialiser et de développer le métier du trading de capacité en télécoms. Leur métier consiste à acheter pour revendre en gros des capacités en télécoms, notamment des minutes commutées ou de la bande passante et transit IP aux opérateurs télécoms. Ils sont principalement basés au Etats-Unis, en France et au Royaume Uni, mais rien n'empêche que des acteurs nationaux se positionnent sur ce créneau, si ce n'est le vide réglementaire, encore une fois. Toutefois, le téléphone est devenu dans sa composante la plus basique, un besoin vital pour l'ensemble de la population mondiale. Plusieurs études ont d'ailleurs démontré qu'en période de crise, le téléphone est la dernière dépense que les consommateurs sont prêts à sacrifier, mis à part les besoins naturels humains. Les opérateurs nationaux doivent quant à eux anticiper les futures évolutions pour rester dans la course, en adaptant leur business model...