Selon l'Association de solidarité avec les enfants de la lune, 400 enfants souffrent de cette maladie au Maroc. Les parents déplorent l'absence de prise en charge sociale et médicale de leurs enfants. Sana a 27 ans. Depuis toute petite, elle souffre d'une maladie qu'elle était rare: elle ne peut pas s'exposer aux rayons du soleil. Ses parents avaient décidé très tôt de ne plus l'envoyer à l'école. Ce qui ne l'a pas empêchée de suivre un cursus scolaire chez elle. «Comme nous n'avions aucune idée de la maladie, nous avons perdu notre fils Mounir en 1994. Il avait sept ans. Dès lors, on a tout fait pour préserver la vie de notre fille», explique Mohamed Yakdane, père de Sana. Ce professeur de mathématiques à la retraite qui habite le quartier Hay Mohammadi à Casablanca a de la peine chaque fois qu'il se remémore les souvenirs. «A l'époque, personne ne nous a informés de la gravité de cette maladie et des précautions à prendre. Comme tous les enfants, Mounir voulait jouer avec ses amis, partir à la plage», se souvient-il encore. Malgré plusieurs interventions chirurgicales, Mounir va succomber à la maladie. «Une exposition au soleil est synonyme de destruction des cellules de la peau. Pour une personne normale, ces dégâts sont corrigés par le système immunitaire. Les cellules des enfants souffrant de la Xeroderma pigmentosum (nom scientifique de la maladie) n'ont pas cette même attitude. Exposées au soleil, les cellules échappent au contrôle du système immunitaire, se multiplient et causent des cancers de la peau. C'est une maladie génétique et les enfants malades sont souvent issus de mariages consanguins», explique le docteur Mounir Sbai, dermatologue exerçant à Rabat. Discrimination et stigmatisation ! Sana ne sort pas de la journée. Elle attend le coucher du soleil pour s'aventurer dehors. La lumière du soleil équivaut à la mort pour Sana et tous ceux qui souffrent de cette maladie. Les vitres de la maison sont couvertes par des films filtrants. Idem pour la voiture. Tout est fait pour lui garantir un maximum de sécurité. Et quand elle est obligée de quitter la maison la journée, généralement pour une urgence, elle utilise un masque spécial anti UV. «Il nous a fallu beaucoup de temps pour accepter cette situation, de vivre dans une quasi-obscurité. Les gens ont peur de vous craignant d'être contaminés par la maladie. C'est de l'ignorance de leur part, mais c'est une stigmatisation qui fait très mal», souligne Nouzha Chkoundi, mère de Sana et présidente de l'Association de solidarité avec les enfants de la lune. C'est d'ailleurs Sana qui a été derrière la création de cette association : «Tout a commencé par Internet. Je faisais des recherches sur cette maladie et j'ai découvert que je n'étais pas la seule à être dans cette situation. J'ai rencontré virtuellement des enfants de la lune de différents pays, de la Tunisie, de la France et même des Etats-Unis. J'ai surtout remarqué qu'il y avait beaucoup d'enfants de la lune au Maroc», raconte Sana. D'où la création de cette association en 2012 afin d'aider les familles, en majorité démunies, à faire face à la maladie de leurs enfants. «Depuis que cette association existe, le quotidien des parents a changé. Auparavant, les enfants souffrant de formes sévères de la maladie décédaient tôt, à 7 ou 8 ans. Aujourd'hui, les parents font plus attention et l'espérance de vie de ces enfants est en augmentation», remarque notre médecin. Les familles racontent l'enfer de leur quotidien. A l'image de cette mère de famille de la région de Daroua, dans la périphérie de Casablanca : «J'ai eu toutes les difficultés du monde pour inscrire mon enfant dans l'école publique. Un professeur ne voulait pas de lui à cause d'un éventuel risque de contagion, qui n'existe pas, bien sûr. Et c'est nous qui avons apporté un voile afin de protéger la classe des rayons U.V. En plus, on ne se montre pas compréhensif quand on leur demande de ne pas laisser le petit sortir à la récréation». Pour le vice-président de l'association, El Habib El Ghazaoui, «ces enfants ne devraient même pas aller à l'école parce que les établissements scolaires ne sont pas équipés pour les recevoir. C'est un danger mortel pour eux». Et d'ajouter : «J'ai fini par sortir ma fille de l'école au stade du CM2 afin de la garder en vie». Les décès prématurés de ces malades sont liés à l'exposition sans protection aux rayons du soleil, notamment au cours de leur scolarisation. M. El Ghazaoui demande aux pouvoirs publics d'organiser des cours du soir pour ces enfants. A défaut d'équiper les écoles et les transports scolaires de films anti-UV. «L'usage des masques et des combinaisons est réservé pour les urgences. C'est quand on est obligé d'aller à une administration ou chez le médecin que l'on sort nos enfants pendant la journée». Un complexe socioéducatif pour ces enfants La maladie des enfants de la lune est très coûteuse. A cause de leur fragilité, les enfants prennent des médicaments et des écrans. Des médicaments qui ne sont pas remboursables puisqu'ils sont considérés à usage esthétique. «Pour ces enfants, l'écran solaire est un médicament et non pas un luxe. Et le moins cher de ces écrans coûte 200 DH pour une durée de consommation qui n'excède pas deux semaines. D'autre part, j'ai eu des patients que j'ai opérés pour un cancer du visage et dont le dossier n'a pas été validé, arguant qu'il s'agissait là d'une opération esthétique. Ce n'est pas juste», déplore Dr Sbai. Les parents des enfants de la lune s'insurgent contre l'indifférence des pouvoirs publics que ce soit dans le registre de la prise en charge médicale ou la scolarisation. Mais il y a autre chose : «En plus de la précarité économique, ces parents sont fragilisés par la maladie de leurs enfants. La maladie coûte cher et les parents ont besoin d'un soutien financier, mais également psychologique afin de faire face à cette lourde tâche», explique Adil Tibari, volontaire au sein de l'association. Et d'ajouter : «Il faut coacher ces parents afin de trouver les mots pour convaincre leurs enfants de rester dans l'obscurité, de ne pas jouer sous les rayons du soleil...». C'est pour ces raisons-là que les membres de l'association souhaitent créer un centre socio-éducatif spécial avec une prise en charge de ces enfants. Ils comptent sur l'appui des pouvoirs publics pour ce faire. «C'est la seule solution pour que nos enfants puissent suivre une scolarité normale et avoir une vie comparable à celle des autres enfants», souligne M. Tibari. On retrouve des bacheliers et même des licenciés dans le rang de ces enfants. Un exploit qu'ils ont atteint au détriment de leur santé. Et au final, ils ne parviennent pas à trouver un emploi. Une autre injustice à l'égard de ces enfants qui aspirent seulement à une vie normale comme celle des autres...