L'industrie souffre toujours des mêmes maux : manque de réactivité, créativité encore insuffisante et prix élevés Les coûts de logistique et la cherté des intrants n'arrangent pas les choses. «Le malheur des uns fait le bonheur des autres» ! L'adage trouve toute sa signification dans la situation que vit l'industrie marocaine du textile-habillement. Les effets de la décision récente de l'Europe de rétablir les quotas sur les importations chinoises ne se sont pas fait attendre. Plusieurs professionnels contactés par La Vie éco confirment un retour net des commandes émanant de grands donneurs d'ordre européens, notamment français et espagnols. Abdelmoula Ratib, patron de plusieurs unités, explique pour commencer que «les donneurs d'ordre sont de retour au Maroc car pour beaucoup d'entre eux, l'expérience asiatique a été un échec». Pour lui, ce retour ne s'explique pas uniquement par le rétablissement des quotas en Europe «mais également par le fait qu'ils n'ont pas trouvé ce qu'ils cherchaient, ou qu'ils n'ont pas été livrés à temps à cause de problèmes logistiques». Karim Tazi, patron d'un bureau de liaison opérant pour le compte de plusieurs enseignes françaises et lui-même industriel, est également catégorique quant à la reprise des commandes. Pour lui, un seul indicateur suffit : le planning des commandes. Le sien est plein jusqu'à la fin de l'année en cours, ce qui lui fait penser que «2005 sera sauvée après l'hécatombe du premier semestre» due au démantèlement total de l'accord multi-fibre. Si son homonyme, Karim Tazi, président de l'Amith cette fois-ci, partage cet avis, pour d'autres professionnels, il ne faut apparemment pas crier victoire trop tôt car la reprise, perceptible certes, est encore timide. Mohamed Fenjer, merchandiser de la société Aliaco qui travaille pour le compte de plusieurs grandes enseignes françaises dont les 3 Suisses et Kiabi en fait partie. Selon lui, les donneurs d'ordre sont certes revenus mais à des conditions encore plus draconiennes, notamment en ce qui concerne les délais de livraison et les prix. Or, à ce niveau, il semble que les industriels marocains ne sont pas encore brillants. Un avis que partagent plusieurs professionnels. Ils sont revenus au Maroc avec les prix de la Chine M. Fenjer va plus loin. «Pour des commandes de réassort, les donneurs d'ordre exigent généralement un délai de 3 à 4 semaines alors qu'aujourd'hui nos industriels ne sont pas capables de faire mieux que 5 à 6 semaines». Ces mêmes donneurs d'ordre estiment d'ailleurs que si le Maroc veut réellement se prévaloir de sa proximité, ses délais doivent être inférieurs de 20 jours par rapport aux délais des Chinois. De même, quand il s'agit de réaliser des prototypes et des listes de prix, nos industriels ne font pas mieux. Une entreprise marocaine a besoin en moyenne de 4 à 5 jours pour faire une liste de prix pour de nouveaux articles et plus d'une semaine pour réaliser des prototypes, au lieu de moins de 48 heures et moins d'une semaine en Chine. Certes, des exceptions, il y en a. C'est le cas, par exemple, de Rosario Albert Garcia, une Espagnole installée à Casablanca et qui y gère un bureau de liaison travaillant pour le compte de plusieurs enseignes espagnoles comme Zara et Stradivarius. Elle affirme aujourd'hui livrer régulièrement Zara en 15 jours seulement. Un délai qu'un Chinois pourrait difficilement tenir. Pourtant, avec des délais de livraison aussi courts, Mme Albert se plaint elle aussi de cette fâcheuse tendance des industriels marocains à traîner la jambe. La preuve, à quelques semaines de Ramadan, elle sera obligée de revoir à la baisse son planning de commandes à cause du rythme de travail dû au jeûne. Il en sera de même à l'approche de Aïd Al Fitr, de Aïd Al Adha et à l'approche de l'été. La logistique : un gros goulot d'étranglement Autre reproche des donneurs d'ordre : les prix. Ce n'est plus un secret et des professionnels le confirment : le Maroc est plus cher que la Tunisie et beaucoup plus que la Turquie. Et la dernière vague de commandes qui a suivi la décision de l'Europe n'a pas arrangé les choses. En effet, les donneurs d'ordre sont, certes, revenus au Maroc mais en imposant les prix de la Chine. «Les industriels marocains n'ont pas le choix, constate le président de l'Amith, ils sont tellement contents de voir les clients revenir qu'ils devront faire avec et réduire leur marge en attendant de gagner en productivité». Ont-ils effectivement la capacité de s'aligner sur les prix chinois ? M. Tazi est affirmatif. «Si les entreprises marocaines qui tournent aujourd'hui avec un taux de productivité de 45 % seulement arrivent à atteindre un taux de 75 à 80%, elles pourront faire des efforts au niveau des prix», soutient-il. Cela dit, tout n'étant pas de la faute des seuls industriels, ces derniers auront beau faire des efforts, il ne faudra pas s'attendre à des miracles tant que les autres contraintes exogènes ne sont pas levées. La plus importante a pour nom logistique. Une étude réalisée récemment par la Banque mondiale démontre en effet qu'elle constitue un des principaux freins à la compétitivité. Les professionnels attendent les mesures qui s'imposent mais ne cachent pas leur scepticisme. L'accord entre le gouvernement et le secteur textile-habillement qui devait être signé en juillet dernier a été reporté à deux reprises. Le nouveau rendez-vous est fixé début octobre. Les professionnels se demandent également pourquoi l'accord de libre-échange avec la Turquie, devant leur permettre d'acheter le coton moins cher et donc d'être encore plus compétitifs, tarde à entrer en vigueur. Tant que ces verrous ne sauteront pas, le Maroc continuera de perdre des marchés. Le dernier cas en date est celui de la célèbre enseigne italienne Diesel qui, selon des sources bien informées, est sur le point de quitter le pays pour la Roumanie. On a ici la confirmation que la décision de l'Europe de rétablir les quotas constitue juste une bouffée d'oxygène. Ce n'est là qu'un sursis de deux ans que le Maroc devra mettre à profit pour se préparer, sérieusement cette fois-ci, à la concurrence. Il est à espérer que les erreurs du passé ne se reproduiront pas. Tout ce que les grands donneurs d'ordre nous reprochent aujourd'hui, les industriels et les pouvoirs publics le savaient depuis longtemps : manque de réactivité, manque de créativité, prix élevés… Des années plus tard, on est toujours à la case départ, ou presque !