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Pour un pont littéraire entre le Maroc et l'Espagne
Publié dans La Vie éco le 02 - 03 - 2016

La 22e édition du SIEL a mis en honneur l'histoire séculaire qui réunit le Maroc et l'Espagne. La littérature comme lien nécessaire au rapprochement entre les deux peuples y a été largement encensée.
Durant les dix jours du Salon international de l'édition et du livre, le ministère de la culture et l'ambassade de l'Espagne ont travaillé sur un programme commun célébrant les relations maroco-espagnoles. Une initiative louable dans une conjoncture marquée par une tension de part et d'autre de la Méditerranée, en grande partie en raison de la méconnaissance de l'Autre. Pour un rapprochement nécessaire entre les deux pays voisins, la littérature se présente comme une providence, à même d'en finir avec les discordes, en révélant les liens enfouis, si ce n'est en en créant de nouveaux.
Le Maroc dans la littérature espagnole
Si des conflits politiques et territoriaux ont, depuis toujours, opposé les deux pays voisins, un grand héritage culturel les unit. «Le conflit historique entre les deux rives de la méditerranée a créé une sorte de méfiance qui a fini par les séparer. Pourtant, la relation entre le Maroc et l'Espagne est bien plus antérieure à celle qui unit le Maroc et la France. Mais aujourd'hui, un Français connaît mieux le Maroc qu'un Espagnol», déplore Javier Valenzuela, écrivain et journaliste espagnol, pour qui l'argument de la barrière linguistique n'est pas recevable. «L'Espagnol a été élevé dans la peur des Maures et a pratiquement oublié toute l'histoire qui relie les deux pays, jusqu'à ignorer le protectorat espagnol». Tout comme le Marocain ne garde que de vagues nostalgies de l'Andalousie perdue ou des rancunes face à la situation des immigrés marocains en Espagne. Pourtant, l'architecture garde les preuves de ses liens séculaires, de même que la musique et la gastronomie. Dans la littérature espagnole, le Maroc a toujours existé. «Nous avons des chefs-d'œuvre de littérature espagnole qui se passent au Maroc, écrits par des auteurs comme Pedro Antonio de Alarcon, Arturo Barea, Benito Perez Galdos, Ramon J. Sender...», explique Javier Valenzuela. Entre les années 70 et les années 90, le Maroc a disparu de la littérature espagnole. Cela correspond à la période où l'Espagne est devenue européen et a tourné le dos à un passé proche où le Maroc était une terre d'immigration pour les travailleurs espagnols...
Rafraîchissant renouveau
La bonne nouvelle, c'est qu'il y a un retour du Maroc dans la littérature espagnole. Au SIEL, l'Institut Cervantès a invité un grand nombre d'auteurs phare de la littérature espagnole qui ont écrit des livres dont les histoires se déroulent au Maroc. Parmi eux, Lorenzo Silva a écrit deux romans et un essai sur cet échange permanent, à travers les siècles, de gens et de cultures entre l'Espagne et le Maroc. Pour Juan Madrid, l'un des plus grands noms de la littérature espagnole actuellement, «le Maroc et les Marocains ont eu et continuent à avoir une grande présence dans mon œuvre littéraire et journalistique. J'ai publié plusieurs contes sur des Marocains dans mon pays... J'ai reflété dans mon œuvre, et je continuerai à le faire, la vie, quelquefois très difficile des marocains en Espagne». Et puis il y a Maria Duena, auteure de El tiempo entre costuras, un best-seller qui parle de la période du protectorat espagnol au Maroc, avec Tétouan comme ville principale et une panoplie de personnages : des politiciens, des couturières, des militaires, des journalistes, des aventuriers, des contrebandiers, des aristocrates et des espions qui ont vécu dans le nord du Maroc pendant les années de la guerre civile espagnole et la Seconde Guerre mondiale. Vendu en plusieurs millions d'exemplaires et adapté en série, le roman aurait replacé le nord du Maroc parmi les destinations les plus prisées des Espagnols !
Dans le premier roman de Javier Valenzuela, Mohamed Choukri et d'autres personnages marocains sont des protagonistes importants aux côtés des Espagnols.
Malheureusement, peu d'auteurs marocains ont exploré l'univers espagnol. La plus connue en tout cas reste la Maroco-catalane Najat El Hachmi qui a également été invitée au SIEL, pour parler de ses livres à grand succès, Le dernier patriarche, La chasseuse des corps et le tout dernier La fille étrangère.
Tout laisse à croire que Cervantès nous tend la main. Nous prenons connaissance, en marge du Salon international de l'édition et du livre, du programme de traduction, de l'espagnol à l'arabe, entrepris par les Instituts Cervantès du Maroc. Le but en est de rapprocher le lecteur marocain de la création littéraire espagnole. À ce sujet, une collaboration avec Dar Al Ma'moun, à Marrakech, a été organisée pour accueillir des traducteurs marocains hispanophones qui se chargeront de traduire vers l'arabe de grands poètes espagnols.
Un pas vers le Maroc
«Pendant longtemps, la traduction s'arrêtait aux ouvrages universitaires. Nous avons voulu changer d'approche et aller un peu plus vers la littérature, ce qui nous semble absolument nécessaire aujourd'hui», explique le directeur de l'Institut Cervantès de Casablanca, Joan Alverez Valencia. «La philosophie de l'institut est de créer un réseau créatif. Nous avons commencé par ce programme de traduction de poésie espagnole, mais l'idée est de tenter toutes les formules possibles pour le rapprochement culturel entre les deux pays. C'est valide pour la peinture, pour le cinéma...». Cette approche est basée sur la bilatéralité des échanges puisqu'il ne s'agit pas d'une volonté d'imposer la culture espagnole, mais de créer un pont qui permet la mobilité des intellectuels et des artistes d'un pays vers l'autre. «Nous portons un grand intérêt pour les cultures du Maroc. Actuellement, l'Espagne a besoin d'actualiser sa connaissance de la culture au Maroc». Pour ce faire, le développement de l'industrie culturelle fait également partie des champs auxquels s'intéresse l'Institut Cervantès. «L'intérêt économique du développement culturel peut également participer au rayonnement culturel du Maroc en Espagne et en Europe», conclut Joan Alvarez Valencia. A bon entendeur...


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