70 % de l'économie de l'Oriental sont plombés par la contrebande qui représente un chiffre d'affaires moyen de 6 milliards de DH par an. 6 000 personnes vivent de cette activité qui engendre un manque à gagner de 32 400 emplois pour la région. L'écart entre les droits et taxes intérieurs des deux pays entretient le fléau. Oujda, capitale de la contrebande ? Certainement, et encore plus aujourd'hui qu'hier puisque le fléau a pris une ampleur insoupçonnée. Déjà à une bonne centaine de kilomètres de la ville, les prémices de la contrebande sont visibles. Sur la route, toutes sortes de carburants (de l'essence sans plomb au diesel) vous sont proposées par des jeunes et des moins jeunes à travers des «stations- services» aussi mobiles qu'artisanales. Le pouce pointé vers le bas par les vendeurs est un code que tout le monde reconnaît de loin, et pour les novices, il y a des entonnoirs de fortune, disposés sur la chaussée, qui prennent le relais de la symbolique. Les prix sont stables (à partir de 80 DH pour 30 litres d'essence ordinaire, mais plus on s'éloigne des frontières, plus les marges de transport augmentent le coût final, ce qui fait qu'à Berkane, les 30 litres de super atteignent 150 DH) et ne changent que quand l'Algérie décide de rendre «réellement» les frontières imperméables. C'était justement le cas ces derniers jours, à l'occasion du Sommet arabe. Résultat : l'approvisionnement était interrompu et les prix avaient allègrement dépassé le premier seuil de 100 DH les 30 litres. Des climatiseursà3 000 DH ! En arrivant à Oujda, il n'y a pas que le carburant qui est proposé au vu et au su de tout le monde. Mais c'est le produit phare qui fait que 6 stations-services à peine sont en activité sur une trentaine répertoriée. Hormis le carburant, donc, toutes sortes de produits sont disponibles dans les différents souks, avec une spécialisation pour certains. A souk El Fellah s'écoule le plus grand nombre de produits algériens. L'électroménager et l'électronique y sont vendus moitié moins cher par rapport à l'intérieur du pays. On y trouve aussi du sanitaire italien, des climatiseurs à partir de 3 000 DH et des pneumatiques à partir de 300 DH l'unité. A souk Melilia, comme son nom l'indique, les articles viennent généralement de la ville occupée par l'Espagne. Il y a aussi souk Tanja, où les étalages comptent seulement 50% de produits nationaux, et souk Sebta. Mais le lieu où l'emprise de la contrebande est la plus criante est souk Beni D'rar, qui se trouve à une bonne vingtaine de kilomètres au nord d'Oujda. Dans ce village, commerces et entrepôts regorgent de produits en provenance de l'Algérie, dont on distingue les villages tout proches à vue d'œil. Le Vioxx, interdit par l'OMS, se retrouve dans les étalages Quelle est l'ampleur de la contrebande ? Avant même la fin de la question, la réponse de Driss Houat, président de la Chambre de commerce, d'industrie et de services d'Oujda et député de la ville fuse : «70% de l'économie de la région dépend de la contrebande contre 50 % en 1998, et nous estimons le chiffre d'affaires moyen de cette activité à 6 milliards de DH par an.Une étude de la Chambre de commerce et d'industrie réalisée en 2004 estime le manque à gagner en emplois à 32 400, contre à peine 6 000 créés par l'activité illicite. Et ce n'est pas un hasard si l'Oriental souffre d'un taux de chômage entre 25 et 30 %». Nullement découragé, M. Houat estime que le phénomène est, certes, envahissant mais refuse de le prendre comme une fatalité et énumère quelques propositions pour l'endiguer, comme la création d'une commission de veille, l'introduction de mesures spécifiques en matière d'encouragement ou de fiscalité… Dans l'Oriental, la contrebande est remarquable et touche à peu près tout. A tel enseigne que même les médicaments font, de plus en plus, partie de la «marchandise» exposée dans les souks et notamment à souk El Fellah. Et, comme ironise Zahreddine Taybi, directeur du journal régional Al Hadath Ach Charki, les destinataires des ordonnances, ce ne sont plus les pharmacies mais bien ledit souk, où les vendeurs de médicaments, habitude aidant, n'ont aucun mal à indiquer la posologie et la durée du traitement. Les pharmaciens, comme le dit l'un d'entre eux, Driss Bouchentouf, ex-président du Syndicat des pharmaciens de l'Oriental, expliquent qu'outre le manque à gagner qu'engendre le fléau, c'est la santé des patients qui est en jeu. En effet, disent-ils, «on trouvait, il y a encore deux semaines, sur le souk El Fellah, un médicament comme le Vioxx, un anti-inflammatoire interdit par l'OMS en septembre 2004». Mais le prix est irrésistible, surtout quand le pouvoir d'achat est bas. Exemple : un médicament comme Azantac, un anti-ulcéreux dont la boîte de 20 comprimés coûte 190 DH dans les pharmacies, est exposé à souk El Fellah à 110 DH. Mieux, le paquet compte 30 comprimés. Mais, l'omniprésence de la contrebande dans la région, au-delà de la soif de gain qui l'entretient, s'explique également par la distorsion des taxes entre les deux pays, le poids de la subvention dans le prix des produits algériens et l'écart entre le taux de change officiel du dinar algérien et celui du marché parallèle. Un exemple frappant : les produits céréaliers sont taxés à 90 % au Maroc contre seulement 5 % en Algérie (voir encadré). Il est donc facile de les importer de ce pays à des prix défiant toute concurrence. Un produit fortement subventionné en Algérie bénéficie du même avantage. L'exemple le plus frappant est celui du pain, vendu à 50 centimes seulement! Petit à petit, toute une région se meurt à cause de quelques petits malins, des deux côtés de la frontière, qui ont su faire leur beurre sur le dos des populations, profitant du fait que les politiques peinent à accorder leurs violons . Pain rond ou baguette, le prix est le même, 50 centimes l'unité !