En 2005, et pour payer ses arriérés vis-à-vis de la CMR, l'Etat émettra des bons du Trésor sur 20 ans. D'une valeur de 100 000 ou 150 000 DH, ces bons seront remis à la CMR qui pourra les revendre sur le marché secondaire. Le taux de rendement tournera autour de 6%. On le sait, 2005 sera l'année de l'AMO (Assurance-maladie obligatoire). Ce que l'on sait moins, c'est qu'elle sera également celle des retraites. Dans une déclaration à La Vie éco, début septembre, Fathallah Oualalou, ministre des Finances, s'était montré quelque peu alarmiste à ce sujet : «S'ils ne sont pas résolus, les problèmes posés aujourd'hui par les régimes de retraite sont une véritable bombe à retardement». Tous les régimes, du secteur privé ou de la fonction publique, ont montré leurs limites. Mais du côté du ministère des Finances, la priorité est aujourd'hui donnée au dossier de la Caisse marocaine des retraites (CMR) à laquelle sont affiliés tous les fonctionnaires. Pour la CMR, 2005 sera une année particulièrement fructueuse car l'Etat s'est enfin résigné à rembourser une ardoise correspondant à ses arriérés et qui se chiffre aujourd'hui à 11 milliards de DH. Nouveauté, aussi bien au ministère des Finances qu'à la CMR, des sources autorisées ont révélé à La Vie éco que le Trésor paiera à la CMR les 11 milliards en 2005, et d'une seule traite, s'il vous plaît. En fait, pour éviter au Trésor de débourser une somme trop lourde pour un budget déjà mal en point, un compromis a été trouvé avec les responsables de la CMR. Ainsi, selon les informations obtenues auprès du département des Finances, le montage, d'ailleurs très original, repose sur une idée centrale : émettre des bons du Trésor sur 20 ans, dont le taux sera de 6% environ. Comme l'explique un haut responsable au ministère, le montage se déroulera de la manière suivante : le Trésor émettra des bons sur une durée de 20 ans, portant sur un montant global de 11 milliards de DH. L'originalité ne réside pas dans l'outil lui-même car les bons du Trésor sur 20 ans, quoique très peu utilisés – leur encours actuel ne dépasse pas les 7 milliards de DH – ont toujours existé. L'innovation réside plutôt dans le fait que ces bons ne seront pas mis sur le marché, comme dans une émission normale, mais c'est la CMR qui en disposera. En d'autres termes, le Trésor paiera non pas en liquide mais en bons du Trésor. Une fois en possession de ces bons, la CMR aura le loisir de les gérer à sa convenance. Ainsi, si les responsables le souhaitent, ils pourront à la limite mettre immédiatement les bons sur le marché et récupérer une contrepartie sonnante trébuchante. Mais ce n'est apparemment pas ce qu'ils comptent faire pour la simple raison que, comme l'explique un membre de la direction générale, «la CMR n'a pas besoin de toutes ces liquidités dans l'immédiat». En 2010, les recettes de la CMR ne suffiront plus à couvrir les pensions servies En effet, selon les mêmes sources, «la CMR n'aura vraiment besoin d'argent frais qu'à partir de 2008, peut-être même de 2010». Pourquoi ? Parce que, tout simplement, comme le démontrent les études actuarielles réalisées récemment par la CMR, le déséquilibre financier ne sera atteint que vers 2010, quand les recettes courantes de la caisse, en l'occurrence les cotisations, ne suffiront plus à couvrir les pensions servies, d'autant plus que la CMR est gérée en mode de répartition. C'est à ce moment-là précisément que la manne des 11 milliards de DH pourrait réellement servir. Mais en attendant, que pourrait bien faire la CMR de cette manne ? «D'ici là nous comptons les faire fructifier comme nous le faisons déjà avec le reste de notre portefeuille». Une opportunité pour la caisse puisque ces 11 milliards de DH viendront s'ajouter au portefeuille déjà consistant, de 18 milliards de DH qu'elle place sur le marché financier. Entre-temps, elle aura tout le loisir de vendre progressivement ces bons sur le marché financier, par coupures de 100 000 ou 150 000 DH, en fonction des ses besoins en liquidité après avoir profité, dans un premier temps, de leur rendement. Mais ce montage semble arranger également les affaires du Trésor qui, selon le schéma classique, aurait dû lever lui-même les 11 milliards de DH sur le marché, contre une émission de bons du Trésor, pour les reverser à la CMR. Les spécialistes du ministère des Finances, voyant que la CMR n'avait pas besoin de toute la somme dans l'immédiat, ont fini par imaginer la solution retenue. Ce qui, au passage, permet à l'Etat de faire l'économie d'une dépense trop lourde et qu'il n'aurait pu supporter, vu la manière dont se présente le budget 2005. Et quand bien même Fathallah Oualaâlou aurait accepté de faire une telle dépense sur le budget, il aurait eu à gérer l'épineuse question du déficit budgétaire qui s'aggravera sous l'effet des 11 milliards de DH (voir encadré). Mais, au-delà du fait que ce remboursement apportera une bouffée d'oxygène à la trésorerie de la CMR, cette dernière y comptait beaucoup pour des raisons de gestion interne. En effet, selon un membre de la direction générale de la CMR, «les comptes ne pouvaient pas être certifiés tant qu'un accord n'était pas encore trouvé avec l'Etat concernant ses arriérés». Jusqu'en 1996, l'Etat ne payait que rarement sa part patronale Pour ce faire, il fallait d'abord se mettre d'accord sur un chiffre. Une commission technique, comprenant des représentants du ministère des Finances (directions du Budget, du Trésor et des Assurances, Trésorerie générale du Royaume) et de la CMR, a dû travailler pendant deux ans pour essayer de chiffrer les arriérés de l'Etat. Une tâche pas du tout facile pour plusieurs raisons. D'abord parce que, jusqu'en 1997, date de la création de la CMR, la gestion des retraites des fonctionnaires était confiée à un simple service administratif relevant du ministère des Finances. Plus grave encore, jusqu'en 1996, l'Etat ne payait que très rarement sa part patronale à la division chargée des retraites et se contentait de jouer au pompier en faisant, quand cela était nécessaire, des avances pour pouvoir servir les pensions. Avec tout cela, la commission technique devait remonter jusqu'à l'Indépendance pour faire le calcul. Après plusieurs études actuarielles et tractations entre les différentes parties, le chiffre de 11 milliards de DH vient enfin d'être validé par tous. Concernant le calendrier de l'opération, des sources au ministère des Finances parlent de 2005 sans pour autant donner de date précise. Après une première réunion tenue le 9 septembre pour faire le point sur l'état d'avancement de la réforme de la CMR, le comité technique chargé de la réforme des régimes de retraite, émanation gouvernementale, devait tenir une seconde séance de travail jeudi 16 septembre. La rencontre, qui s'est déroulée dans les locaux de la CMR, avait pour objet cette fois-ci de valider définitivement et dans le détail les contours de l'opération. Car, si le principe du remboursement total en 2005 est acquis, des sources au ministère des Finances révèlent que quelques points restent encore en suspens. En effet, comme le reconnaît le ministre des Finances lui-même, «certains étaient d'avis que l'Etat rembourse en deux tranches de 5,5 milliards chacune». D'autres proposaient au contraire que le remboursement se fasse par un mix entre une émission de bons du Trésor sur 20 ans, portant sur 5,5 milliards, et une dépense en numéraire pour le reliquat. Une solution qui viendrait alourdir les dépenses de l'Etat et surtout qui nous coûterait 1,25 point du PIB… en déficit supplémentaire (voir encadré en p.8) Certes, la CMR n'a pas besoin de liquidité dans l'immédiat, mais elle ne pouvait faire certifier ses comptes tant que la question des arriérés de l'Etat était en suspens. C'est décidé, le Trésor paiera d'une traite ses arriérés vis-vis de la CMR au titre des cotisations patronales. Résultat d'un compromis avec la caisse des retraites, un montage ingénieux évite au Trésor de débourser une somme trop lourde pour le budget.