La dernière mouture du projet de loi organique sur la grève a été remise aux partenaires sociaux à fin mai. Les syndicats veulent lier ce projet à la réalisation des autres points du Dialogue social. Le patronat estime que les nouvelles contraintes de l'entreprise ne permettent plus d'attendre. La discussion sur le droit de grève traîne en longueur. Au cours de la dernière semaine du mois de mai, les partenaires sociaux ont été invités à entamer les discussions sur la réglementation de ce droit – prévu dans toutes les constitutions du Royaume, mais qui n'a pas encore vu le jour jusqu'à présent- sur la base d'un projet de loi organique préparé par le ministère du Travail et qui, sur le fond, reprend l'essentiel de la version élaborée à l'automne dernier (cf La Vie éco du 12 septembre 2003). Organisée au ministère du Travail, la réunion faisait suite à une correspondance de la CGEM adressée au Premier ministre vers la mi-mai et dans laquelle elle lui demandait d'intervenir pour relancer le dossier. Seulement voilà : l'UMT, considérant que ce projet revêtait un caractère politique, avait décliné l'invitation et réclamé que le texte soit discuté non pas avec les techniciens mais avec la Primature. Miloud Moukharik l'avait d'ailleurs affirmé clairement à La Vie éco, il y a quelques jours (cf La Vie éco du 28 mai). Le dossier est donc bloqué. La CGEM, qui n'a de cesse de rappeler que l'accord du Dialogue social du 30 avril 2003 est un «package», où tous les éléments sont liés les uns aux autres, ne comprend pas que l'on refuse de discuter d'un texte jugé vital pour la survie de l'entreprise marocaine. Sur le fond, le délai de préavis reste le principal point de discorde Les syndicats, de leur côté, parlent désormais, eux aussi, du caractère global («package») de l'accord du 30 avril : «ils [le patronat et l'administration, ndlr] veulent que l'on règle le problème de la grève, mais est-ce que les autres points du Dialogue social sont réglés ? Le patronat se focalise sur la grève, c'est son droit ; mais que fait-on de l'AMO, de la réforme des retraites, de l'indemnité pour perte d'emploi, du règlement des problèmes des inspecteurs du travail ?», s'interroge un syndicaliste. «Ils veulent verrouiller la seule possibilité dont nous disposons pour faire prévaloir nos droits. Nous aussi, nous voulons des garanties», poursuit-il. Il faut le dire clairement : toute tentative de réglementer, a fortiori de restreindre l'exercice du droit de grève, paraît suspecte aux yeux des syndicats. Et cela, avant même d'aborder le contenu du projet de loi organique qui leur est soumis. «Qu'ils viennent discuter, et tout sera possible. Nous, au patronat, lorque nous avons accepté le code du travail, nous n'avions pas posé de préalables pour le faire», confie Hassan Chami, président de la CGEM Du coup, il est difficile de connaître la position des syndicats par rapport au contenu même du projet ; sauf sur un point : le délai de préavis. Le projet de loi parle de 10 jours, les syndicats revendiquent un préavis de 48 heures au maximum, alors que la CGEM pense qu'un délai de deux semaines est tout à fait raisonnable. «Tout ce que nous voulons, c'est que la grève devienne, grâce à cette loi, le dernier recours. Et si nous demandons 15 jours, croyez-moi, ce n'est pas pour retarder la grève ou l'empêcher d'avoir lieu, mais seulement pour sauver nos entreprises», déclare le patron des patrons. Pour étayer son propos, ce dernier explique que les entreprises marocaines, désormais soumises à la pression de la concurrence, n'ont plus la même rentabilité que par le passé. «Nous sommes dans une économie de concurrence et non plus dans une économie de rente», estime M. Chami. Il en découle, selon lui, que les entreprises marocaines, dans leur quasi-totalité, ne peuvent plus se permettre de s'arrêter de tourner plus de trois à quatre jours. «Au-delà, soyez-en sûrs, c'est la fermeture définitive», conclut-il. L'atteinte à la liberté de travailler sévèrement punie Au-delà des exigences de l'UMT relatives au cadre dans lequel devraient se dérouler les négociations autour de ce projet de loi organique, le contenu de ce texte paraît aux yeux du patronat, relativement équilibré. Pourtant, à la lecture des 38 articles du projet, il se dégage le sentiment que ce texte, contrairement au code du travail, est plutôt favorable aux employeurs. Est-ce une manière de retirer d'une main ce que l'on a donné de l'autre ? Outre la question du préavis, l'examen du dispositif de sanctions (chapitre V du projet) laissent penser que celles-ci, malgré tout, sont peu dissuasives (vis-à-vis de l'employeur). Exemple : en cas de sanction d'un salarié gréviste, de discrimination à son égard (en termes de promotion, de bénéfice des avantages sociaux…) ou de remplacement des grévistes par des personnes étrangères à l'entreprise, le contrevenant, c'est-à-dire le patron, est puni d'une amende allant de 500 à 1 200 dirhams pour chaque salarié sanctionné, avec toutefois un plafond ne dépassant pas 100 000 dirhams. Vu ce que coûte un arrêt de travail, surtout s'il dure longtemps, qui ne serait pas tenté de contrevenir aux dispositions de ce texte (comme remplacer les grévistes par des travailleurs étrangers à l'entreprise) et, en contrepartie, payer une amende de 500 dirhams ou même plus ! Ce n'est pas le cas pour les salariés. Le projet de loi organique sur la grève prévoit en effet des sanctions plus sévères, en tout cas plus dissuasives, à l'égard des travailleurs. Quand un gréviste, par exemple, empêche ses collègues de travailler (atteinte à la liberté de travail), il est puni d'une amende allant de 1 500 à 5 000 dirhams, soit, dans bien des cas, la totalité de son salaire, sinon plus. Mais tout cela est discutable. Encore faut-il que les protagonistes se mettent à table pour… mettre à plat leurs divergences A la lecture des 38 articles du projet, il se dégage le sentiment que ce texte, contrairement au code du travail, est plutôt favorable aux employeurs. Est-ce une manière de retirer d'une main ce que l'on a donné de l'autre ? Les principaux points du projet de loi – Article 5 : La liberté de travail est garantie aux salariés non grévistes ; – Article 8 : Est interdite toute mesure discriminatoire en relation avec l'exercice du droit de grève, de nature à violer ou à restreindre le principe de l'égalité des chances, le traitement juste en matière d'emploi, notamment lorsqu'il s'agit du recrutement, de la formation professionnelle, du salaire, de la promotion, des avantages sociaux, des mesures disciplinaires et du licenciement ; – Article 9 : Il est interdit à l'employeur de prendre, personnellement ou au moyen d'un tiers, des mesures de quelque nature que ce soit dans le but de faire échouer la grève ; – Article 10 : Pendant la période de grève, l'employeur ne peut en aucun cas remplacer les salariés grévistes par des salariés nouveaux n'ayant aucune relation contractuelle avec l'entreprise, antérieure à la date du dépôt du préavis de grève ; – Article 12 : Avant de recourir à la grève, il faut avoir épuisé toutes les mesures relatives au règlement des conflits collectifs de travail stipulées dans la loi 65-99 portant code du travail ; – Article 13 : Avant de déclencher la grève, il faut en informer l'employeur ou les employeurs concernés par un préavis d'au moins 10 jours ; – Article 23 : Il est interdit d'occuper les lieux de travail pendant la durée de la grève, si cela est de nature à porter atteinte à la liberté de travail ou générer des actes de violence, de destruction ou de sabotage des machines, équipements ou autres outils de travail ; – Article 33 : La violation des articles 5 (liberté de travail) et 22 (possibilité pour l'employeur, pendant la grève, de livrer les produits et articles prêts) est passible d'une amende de 1 500 à 5 000 dirhams pour le salarié et de 10 000 à 50 000 pour l'employeur ; – Article 34 : Le non-respect de l'article 9 (tentative de l'employeur de faire échouer la grève) est puni d'une amende de 50 000 à 100 000 dirhams