Le patronat considère que la majorité de ses remarques n'est pas prise en compte dans le projet de décret. Il doute de l'impartialité et de l'indépendance de la future entité. C'est une avalanche de critiques que le projet de décret sur la commande publique vient de soulever après l'ouverture de l'appel à commentaires. Le patronat et les principales fédérations qui représentent le gros des marchés publics, en l'occurrence la Fédération nationale du bâtiment et travaux publics (FNBTP), la Fédération marocaine du conseil et de l'ingénierie (FMCI) et la Fédération du commerce et des services (FCS) déplorent que ce texte instituant la Commission nationale de la commande publique (CNCP) n'ait pas pris en compte la majorité de leurs remarques et critiques déjà exprimées en avril 2013, lors de l'introduction de la première mouture du décret. Pour rappel, le 4 août 2015, une deuxième version a été diffusée sur le site du Secrétariat général du gouvernement. On y lit que le projet de décret veut à la base créer une nouvelle entité, en l'occurrence la CNCP, qui viendra remplacer l'ancienne Commission des marchés et revoir ses fonctions, son organisation, la valeur de ses avis, et lui conférer plus de pouvoirs pour veiller au strict respect des textes réglementaires encadrant la commande publique. Avec une publication prévue avant la fin de l'année. En tête des détracteurs figure le patronat qui attend, depuis plusieurs années, ce texte relatif à la mise en place d'une instance de recours indépendante et ayant pouvoir de décision. «Tel que conçue par le projet de décret, la commission projetée ne répond toujours pas aux critères d'indépendance et d'efficacité qui devaient la caractériser en tant qu'instance de bonne gouvernance», estiment les responsables de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) dans leurs annotations au projet. Le patronat relève que le texte publié exclut de son périmètre les établissements publics, ainsi que les collectivités locales, alors que les recommandations de différentes institutions et organismes vont dans le sens d'unifier les textes et les instances de gouvernance de la commande publique. De plus, le patronat souligne que l'entité future ne bénéficie pas de toutes les garanties d'indépendance et d'impartialité. Créée par décret et placée sous l'autorité du Secrétariat général du gouvernement, le texte ne donne pas plus de détails sur ses moyens financiers nécessaires au fonctionnement et aux investissements. En troisième lieu, la CGEM reproche à cette nouvelle entité le fait qu'elle est loin de répondre à la forme paritaire réclamée par les opérateurs pour garantir l'impartialité dans le traitement des dossiers qui lui seront soumis. «Sa composition est totalement dominée par les représentants de l'administration, neuf en plus du président contre trois représentants des organismes privés», fait-on savoir auprès du patronat. La FNBTP insiste sur la création d'une instance paritaire chargée de piloter la réforme de la réglementation des marchés publics De l'avis de la CGEM, les litiges dans les marchés publics émanent non seulement de l'application des textes réglementaires, mais aussi de l'interprétation parfois abusive de la part du maître d'ouvrage des termes du marché, tel que l'interprétation extensive du périmètre ou la non-prise en compte des précisions apportées dans le dossier de réponse, ce qui n'est pas prévu dans le nouveau texte. De surcroît, la nouvelle commission nationale, telle que prévue par le projet de texte, cumule les fonctions de consultation, d'études et d'examen des réclamations alors que le standard international recommande la séparation de ces fonctions. Abondant, pour le principe, dans le même esprit, le management de la Fédération nationale du bâtiment et travaux publics (FNBTP) ajoute d'autres rectifications plus techniques qui n'existent pas dans le projet de décret. Il s'agit notamment de donner à l'entreprise, en cas de recours, la possibilité de se faire assister par un conseil juridique, technique ou financier pour présenter ses moyens de défense devant la CNCP ; prévoir une clause qui permet à la CNCP de proposer au chef du gouvernement de prendre des décisions de dérogation momentanée, en attendant d'amender la réglementation pour les marchés à venir, et ce, lorsque la divergence d'interprétation de la règlementation ou une disposition réglementaire constitue un obstacle pour la poursuite de l'exécution du marché ou bloque le paiement du titulaire. En outre, la FNBTP recommande de relever la fréquence des réunions d'une semaine au moins. Le délai d'un mois paraît insuffisant selon ses membres. Son président, Bouchaïb Benhamida, ajoute que le projet de contrat programme en cours de finalisation entre le gouvernement, d'une part, la Fédération marocaine du conseil et d'ingénierie et la Fédération nationale du bâtiment et des travaux publics, d'autre part, prévoit l'actualisation du cadre réglementaire et l'optimisation des processus de l'administration en incluant la question de la préférence nationale. Il affirme que le gouvernement s'engage à créer auprès du chef du gouvernement une instance paritaire ayant pour mission le pilotage de la réforme de la réglementation des marchés publics. Le code de la Commande publique désigne l'instance paritaire qui sera chargée du pilotage, de l'évaluation de la réglementation des marchés publics et du recours. Elle devra comprendre, entre autres, les ministères représentant les principaux maîtres d'ouvrage, le ministère des finances et les fédérations professionnelles. La lutte contre la corruption passée sous silence Le même ton critique est relevé chez les membres de la Fédération du commerce et des services, affiliée à la CGEM. La FCS fait remarquer qu'aucune indépendance financière de la CNCP n'est prévue pour le moment, étant donné que le président, le secrétaire et les membres percevront une indemnité à fixer par décret ainsi que le remboursement des frais de missions. Aussi, le management de la fédération déplore-t-il que le projet 2015 ne prévoit pas de dispositions concernant la lutte contre la corruption, alors que des dispositions d'engagement de s'interdire de recourir à la corruption sont prévues dans le décret sur les marchés publics. De même, le projet 2015 ne prévoit pas de dispositions pour que les membres de la CNCP soient tenus lors de leur entrée en fonction et à la fin de celle-ci de faire une déclaration écrite sur l'honneur de tous leurs biens et patrimoine adressée au président de la Cour des comptes. Par ailleurs, Khalid Dahami, président de la FCS, explique que la représentation des organisations professionnelles se limite à trois secteurs alors qu'il serait plus approprié que les représentants du secteur privé soient d'abord plus nombreux ( une sorte de commission paritaire public/privé) et proposés par son organisation la plus représentative, en l'occurrence la CGEM. Il ajoute que le texte n'a pas prévu d'associer les acheteurs publics, la société civile ni les autres organes (Conseil de concurrence, Conseil économique social et environnemental). «Aussi, le nombre des membres -12 personnes- de la commission reste à notre avis insuffisant par rapport au volume de travail prévisible, et leurs profils doivent à notre avis comporter, en plus de leurs connaissances des marchés publics, des compétences économiques et sociales, vu qu'il s'agit d'un secteur très important pour le pays et qui représente presque 20 % du PIB national», explique M. Dahami. Des sources patronales rapportent que la Fédération marocaine du conseil et de l'ingénierie (FMCI) déplore en gros les mêmes insuffisances du texte que les autres fédérations. Du côté du ministère du transport et de l'équipement, les responsables répliquent qu'ils n'abordent jamais un projet réglementaire avec des idées préconçues. De plus, ils se concertent avec les responsables du ministère de l'économie et des finances qui ont introduit le projet de décret pour décider de la pertinence des remarques adressées au texte et de leur éventuelle prise en compte. «Mais nous restons très ouverts pour écouter toutes les propositions des opérateurs économiques. Sachant que nous poussons au maximum pour plus de transparence dans le circuit d'adjudication, plus d'égalité des chances entre les soumissionnaires et plus de qualité dans les travaux réalisés et les prestations fournies», souligne-t-on auprès du Secrétariat général du ministère du transport et de l'équipement.