Le nombre des signatures exigé, 25 000 pour les propositions de lois et 7 200 pour les pétitions, est jugé excessif. La loi restreint les domaines d'application des deux initiatives populaires en matière de législation. A un an presque jour pour jour de la clôture du dialogue national sur la société civile (mars 2013-mai 2014), le gouvernement à travers le ministère chargé des relations avec le Parlement vient de présenter deux avant-projets des lois organiques encadrant l'initiative législative populaire. La préparation de ces deux textes portant sur la mise en œuvre des articles 14 et 15 de la Constitution aura, ainsi, pris près d'un an alors que les plates-formes juridiques relatives à ces deux textes étaient déjà prêtes à la fin de ce dialogue. Quoi qu'il en soit, les deux textes sont loin d'un consensus global de la société civile. Il faut préciser que l'on parle de deux textes distincts. Le premier porte sur les propositions en matière législative qui sont soumises à l'une des deux Chambres du Parlement (art. 14) et le second sur les pétitions à présenter aux pouvoirs publics (art. 15). Les deux actes sont soumis à certaines conditions et doivent suivre une procédure bien définie. D'abord pour que l'une et l'autre soient recevables, il faut un nombre minimum de signatures : 25 000 pour les propositions en matière législative et 7 200 pour les pétitions adressées aux pouvoirs publics. Pourquoi ces deux chiffres exactement ? Personne ne sait. Ensuite, il faut que l'objet des propositions et des pétitions ne porte pas atteinte aux constances de la nation (l'Islam, l'unité nationale, le régime monarchique, le choix démocratique et les acquis en matière des droits de l'homme), ne soit pas contraire aux conventions et traités internationaux ratifiés par le Maroc ni faire partie des prérogatives exclusivement dévouées au conseil des ministres. Autrement, leur champ d'action peut englober celui réservé au Parlement défini dans l'article 71 de la Constitution relatif au domaine de la loi. Ceci pour la proposition en matière législative qui, de surcroît, doit avoir pour objectif l'intérêt général et être rédigée sous forme de propositions ou recommandations. Pour les pétitions adressées aux pouvoirs publics, il faut que leur objet ne porte pas, non plus, atteinte aux constantes de la nation, ni traiter une question qui concerne la défense nationale, elles ne doivent pas porter sur une affaire qui a fait l'objet d'un jugement en encore devant la justice, ni des faits examinés par une commission d'enquête parlementaire. De même que l'objet de la pétition ne doit pas traiter une affaire déjà soumise aux instances de médiations prévues par la Constitution ni porter des revendications syndicales ou partisanes ni être susceptibles d'entraver la continuité des services publics. La pétition doit, elle aussi, viser l'intérêt général. Le milieu associatif déçu La proposition et la pétition sont écrites et doivent être accompagnées d'une note de présentation. Leurs auteurs doivent jouir de tous leurs droits civiques et politiques et être résidents au Maroc, inscrits sur les listes électorales et doivent être en situation régulière vis-à-vis des services des impôts. Ceux qui soutiennent la proposition ou la pétition (les signataires) doivent également satisfaire aux mêmes conditions. Un comité est mis en place, c'est lui qui se charge des formalités nécessaires, de la collecte des signatures jusqu'au dépôt du dossier chez le président de l'une des deux Chambres du Parlement pour la proposition en matière législative ou les services du chef du gouvernement pour la pétition adressée aux pouvoirs publics. A première vue, même si tout le monde est d'accord sur le principe, ce sont les conditions formelles qui dérangent. En premier lieu, le nombre des signatures exigé dans les deux cas et qui est considéré comme excessif dans un pays qui entame à peine sa première expérience du genre. Un large pan de la société civile ne se retrouve pas dans les conclusions de ce débat, il est donc normal que l'un de ses produits, ces deux textes de lois, ne soit pas au niveau de leurs attentes. Mais ce n'est pas l'unique raison. En ce sens, observe, à juste titre, un acteur associatif à la tête d'un collectif d'associations, un village de 2 500 habitants, quand bien même tous inscrits sur les listes électorales, ne pourra jamais, par exemple, présenter une pétition pour une question qui le concerne exclusivement. Pour illustration, il suffit de jeter un coup d'œil sur les résultats du dernier recensement de la population pour être édifié. A l'heure où le Maroc est en passe de s'urbaniser, des cercles entiers (un découpage territorial comptant un groupe de plusieurs villages) comptent à peine quelques milliers d'habitants qui évoluent dans un territoire vaste aux spécificités, attentes et besoins propres. Dans le milieu associatif, c'est principalement ce nombre de signatures qui dérange. Cela en plus, bien sûr, des procédures jugées un tantinet dissuasives. «Imaginez 7 200 signataires pour une pétition ! C'est le dixième du nombre des habitants d'une ville de taille moyenne», s'exclame cet autre acteur associatif. On pourrait en dire autant quand il s'agit de propositions en matière législative pour lesquelles il faut produire 25 000 signatures de personnes répondant aux mêmes conditions. Quant aux membres du comité de présentation de la proposition, au nombre de neuf, ils doivent être issus obligatoirement de quatre régions (soit le tiers des 12 régions prévues dans le futur découpage régional). Cette condition n'est pas exigée pour les signataires dans le texte final alors que dans sa première mouture il était question que les 25 000 signataires soient également issus du tiers de l'ensemble des régions sans que les représentants de chaque région ne dépassent pas les 8% (soit 2000 signataires). Contre l'instrumentalisation démagogique Même en Espagne (un peu plus de 47 millions d'habitants) où la législation populaire a été instaurée depuis près de 40 ans, le nombre des signatures exigé reste un frein à son développement. Ainsi, il faut au moins 500000 signatures accréditées, selon la Constitution, pour que l'initiative législative populaire soit recevable. Certains constitutionnalistes de ce pays estiment que le nombre de signatures exigé par le législateur est excessif par rapport à d'autres pays comme l'Italie ou la Suisse. La situation est telle que de 1977 à 2012, sur les 66 initiatives législatives populaires qui ont été présentées au Congrès des députés, seulement 12 propositions ont pu franchir la barrière des 500 000 signatures. Une seule proposition législative populaire s'est convertie en une loi. Au fond, pour reprendre les termes de Mourad Tabet, chercheur en sciences politiques, auteur d'une étude sur la question, «le constituant espagnol redoute une instrumentalisation ''démagogique'' des mécanismes de la démocratie participative par les minorités ou les forces extraparlementaires». Cela étant, et pour revenir à notre cas, au delà du nombre de signatures, la procédure, elle-même, est relativement fastidieuse. Pour avoir constitué le dossier de création de son parti, Mohamed Darif relève l'un des obstacles auxquels les membres fondateurs de son parti ont fait face est celui de se faire délivrer une attestation d'inscription sur les listes électorales. C'est un document exigé pour tous les signataires des propositions en matière législative et des pétitions. Il est apparemment anodin et n'importe quel «caïd» de l'annexe administrative du coin peut délivrer, mais se le procurer relève souvent du parcours de combattant. Cela peut prendre entre 5 minutes dans une préfecture de Casablanca et deux semaines dans une autre préfecture voisine. Ailleurs, cela peut prendre jusqu'à deux mois, atteste le fondateur du parti des néodémocrates. Et encore. Il arrive que «le caïd demande au sollicitant d'aller voir le chef de cercle qui, lui, l'oriente vers le pacha. Et ce dernier explique que c'est du ressort du caïd. Il s'en trouve même ceux qui renvoient les demandeurs de ce document vers le tribunal, arguant que c'est du ressort du juge». D'autres, après s'être enquis de l'usage à en faire, «nous renvoient pour plus tard, le temps de faire leur enquête». Il peut même arriver que l'agent d'autorité ne sache même pas comment établir ce document, «parce qu'il n'en a jamais entendu parler», atteste ce professeur de sciences politiques. Un «déni de droit» ? C'est un problème que les autorités publiques se doivent de résoudre, d'autant plus que certains agents de l'autorité mal intentionnés pourraient très bien jouer sur le facteur temps pour influer sur le cours de la procédure. A moins que la remise de cette attestation ne soit définie et encadrée dans l'avenir. Quand il faut, en plus, produire un autre document attestant que le signataire est en règle avec les services des impôts, cela se complique davantage. C'est bien plus qu'une complication, atteste cet analyste politique. «C'est un déni de droit, car comment demander aux signataires d'une pétition ce que le législateur n'exige pas des candidats aux élections qui deviennent, une fois élus, des législateurs?». En effet, il n'y a aucune condition d'éligibilité dans le code électoral qui se réfère à la situation des candidats aux élections vis-à-vis des services des impôts. En conséquence, c'est une exigence qui empêche tout citoyen de jouir de son droit constitutionnel qu'est de participer à l'initiative législative populaire. De même, et c'est une autre condition rédhibitoire, pourquoi alourdir le processus et inonder les administrations concernées avec des légalisations de signatures alors que cette formalité pourrait être évitée en se contentant de légaliser seulement les signatures des membres du comité de la proposition, puisque la pétition en elle-même n'est pas contraignante et n'est pas proposée directement au vote. Ce n'est qu'une requête qui est soumise à l'examen et l'appréciation de la commission parlementaire concernée, après avoir été acceptée par le président de la Chambre chez qui elle a été déposée. Pour le législateur, il s'agit sans doute d'un moyen pour authentifier l'identité des signataires, et renseigner sur leur capacité juridique et leur pleine jouissance de leurs droits civiques et politiques. Autre grief retenu contre le texte (ou les deux textes), le rejet de la proposition du président de la Chambre n'est non seulement motivé mais il ne supporte aucun recours. Là encore c'est considéré comme un dénigrement de tout ce travail fait par les citoyens puisque c'est finalement le président de la Chambre, à lui seul, qui détient le pouvoir absolu de décider de son sort sans même donner aucune explication. Tout cela pour qu'au final la proposition soit transformée en proposition de loi si un député, ou un groupe de députés, décide de la parrainer, ou rester comme telle (c'est-à-dire une proposition en matière législative des citoyens) si aucun élu ne s'y reconnaît. Et l'on connaît très bien le sort réservé aux propositions de lois des groupes parlementaires. Il n'en a été adopté que très peu depuis le début de cette législature en novembre 2011. A ce jour plus de 150 propositions sont toujours dans les tiroirs des commissions parlementaires de la première Chambre du Parlement. Pour la deuxième Chambre, c'est une autre histoire. Pour ce qui est des pétitions adressées aux pouvoirs publics, elles sont remises directement au chef de gouvernement. Et c'est cette institution, à travers une «commission des pétitions» instituée par ce texte qui décidera du sort à leur réserver. Cela alors que la société civile préconise que les pétitions soient adressées aux institutions concernées par leur objet. Le destinataire peut ainsi être le Parlement, les Collectivités territoriales, le Conseil économique, social et environnemental…. En d'autres termes, au moment où l'on ne jure que par la déconcentration, la décentralisation et la régionalisation, il faut s'en remettre aux services de la Primature pour résoudre un problème qui touche parfois une petite agglomération aux fins fonds du pays.