Le caractère obsolète du dahir de 1955 a débouché sur de véritables drames commerciaux. Plusieurs conflits s'éternisent du fait de la lourdeur de la procédure judiciaire. Alors que l'incitation à l'investissement, l'amélioration du climat des affaires et l'encouragement de l'auto-entrepreneuriat figurent parmi les priorités du gouvernement sur le plan économique, une problématique de taille demeure aujourd'hui plus que jamais vivace : le traitement des conflits découlant des baux commerciaux. Régi par un Dahir jugé obsolète par la majorité des praticiens, le contrat de location à usage commercial est en passe d'être enfin dépoussiéré. La proposition de loi de l'USFP, autrefois projet de loi lorsque le parti était dans la majorité, a été adoptée par la première Chambre. Et cette réforme est loin d'être un luxe. Car pendant près de 60 ans, les insuffisances de la loi ont donné lieu à de véritables drames. En témoignent «les locaux commerciaux vides et abandonnés dans des endroits aussi stratégiques que le Bd Mohammed V ou l'avenue Prince Moulay Abdellah», comme l'explique Fadel Boucetta, avocat au barreau de Casablanca. Lorsque le bail commercial prend effet, beaucoup de questions peuvent considérablement détériorer la relation bailleur/locataire. Déséquilibre des droits Elles sont notamment liées à la révision du bail, aux problématiques d'occupation du local (paiement des loyers, travaux d'entretiens et ravalement, sinistres divers, etc.) et même au succès du locataire dans son activité commerciale… «En effet, si le locataire ne prospère pas dans son commerce, le paiement des loyers s'avère difficile et le bail commercial perd de sa valeur. Mais ces difficultés ne sont rien par rapport à celles qui naissent lorsqu'arrive la période du renouvellement du bail», explique la notaire Ibtissam Boutabsil. Cette procédure est complexe car il faut l'anticiper en régularisant un ou plusieurs actes extrajudiciaires (avis de revalorisation, mises en demeure, etc.) dans des délais très précis afin d'avertir l'autre partie quant à son intention de renouveler ou non le bail. «Bien évidemment, ces courriers ont tendance à s'égarer dans la nature, les délais fixés ne sont jamais respectés, et du coup les magistrats rejettent toutes les demandes pour vices de forme. Et c'est un cercle vicieux sans fin», explique Me Boucetta. A défaut de respecter ces obligations strictes, la situation se trouve bloquée dans une incertitude juridique préjudiciable tant pour le bailleur que pour le locataire. En effet, à tout le moins, si l'on considère le renouvellement acquis, il y a alors incertitude quant au nouveau prix du loyer (en l'absence de référentiel). Et en cas de désaccord sur le prix du loyer, il y a une impossibilité pour le locataire de céder son fonds de commerce et pour le propriétaire de vendre le local commercial. La problématique prend un tour encore plus sensible lorsqu'il s'agit de fixer l'indemnité d'éviction si le propriétaire refuse le renouvellement. Du côté de la commission législation du Parlement, la motivation principale de la proposition de loi de l'USFP est «le déséquilibre chronique entre les droits du bailleurs et ceux du locataire». En effet, alors que le bailleur n'est tenu d'aucun délai ou période pour demander une revalorisation, le locataire est considéré comme occupant illégalement le local juste parce qu'il n'a pas respecté le délai de 30 jours (période de conciliation) à partir de la réception de l'avis de revalorisation envoyé par son bailleur. Même en cas de respect du délai et que le bailleur refuse de prolonger le bail, le locataire est tenu d'engager une action en justice dans un délai de 30 jours, sans quoi, il est également considéré comme occupant illégalement le local. «Une situation qui pousse souvent le locataire à s'aligner sur la revalorisation fixée par le bailleur, même si celle-ci n'est pas fondée sur des critères strictes», explique le rapport de la commission. Ce déséquilibre est également perceptible dans l'article 11 de la loi qui octroie le droit au bailleur de refuser le renouvellement du contrat de bail sans être tenu de payer une indemnité, notamment s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire. A titre d'exemple, le fait d'effectuer des travaux importants sans un accord préalable du propriétaire bailleur est considéré comme un motif grave et légitime justifiant le refus de renouvellement du contrat de bail, même si ces travaux étaient indispensables à l'exploitation du fonds de commerce. L'article 33 établit un régime de prescription de deux ans pour toutes les actions engagées –d'un côté comme de l'autre- en vertu du dahir de 1955. Mais cette disposition relève du code des obligations et contrats, et par conséquent la prescription de 2 ans ne peut être invoquée pour contester l'action en expulsion. A titre de comparaison, la législation française ne considère pas les travaux effectués par nécessité comme étant un «motif légitime» justifiant le refus de reconduction du bail. La procédure de cession des murs sera plus claire Les bailleurs pâtissent également de cette législation obsolète. «La crise économique aidant, les locataires défaillants sont légion, mais demander leur expulsion est plus facile à envisager qu'à réussir. Les procédures prévues par le Dahir de 1955 sont lourdes et obsolètes», explique Me Boucetta. Aucune expulsion n'est ordonnée si la procédure de 1955 n'est pas suivie à la virgule près. A cela s'ajoute le silence de loi quant à la transmission du droit au bail, ce qui ouvre la voie à des interprétations différentes de la part des juges, car si certains considèrent que la notification au locataire est obligatoire, d'autres libèrent le bailleur de cette obligation. La principale disposition de la proposition de loi de l'USFP est que les revalorisations des loyers ne pourront plus dépasser les 10% du bail mensuel. Si le contrat ne prévoit pas cette augmentation, le juge n'aura plus à soumettre l'affaire à une expertise et se référera directement à ce taux. Dans le cas où le bailleur souhaite vendre son bien ou le reconstruire, l'indemnité d'éviction devra être proportionnelle aux frais engagés par celui-ci au titre du changement de domiciliation de son fonds de commerce. Le texte institue également un droit de préférence au profit du locataire commercial lorsque le bailleur décide de vendre les murs. Le propriétaire doit informer le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d'acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. Si le locataire ne se porte pas acquéreur, le propriétaire peut vendre à qui il veut sous réserve de ne pas consentir des conditions ou un prix plus avantageux. Dans ce cas, il devrait à nouveau faire une offre au locataire dans les mêmes conditions.