Ils estiment que les prix minimums fixés par le référentiel majorent les tarifs du marché pour certains quartiers. Cela pourrait à terme aggraver le ralentissement des transactions en creusant le gap entre les prix de l'offre et les tarifs que sont disposés à payer les acheteurs. Au niveau de certaines zones les prix du référentiel sont en dessous du minimum du marché, ce qui ouvre la voie à la sous-déclaration sans risque de redressement. C'est une petite bombe qu'a lâchée le ministère des finances en dévoilant ces derniers jours son référentiel des prix des transactions immobilières. Le document qui récapitule les prix retenus par le fisc pour le calcul des droits et taxes sur différents types de biens (appartements, villas et terrains) au niveau de chaque quartier de Casablanca, met en effervescence les particuliers, les notaires, les agents et promoteurs immobiliers. Ces derniers sont les plus enthousiasmés par la mise en place de ce barème, qu'ils ont d'ailleurs aidé à élaborer depuis plus de deux ans à travers leur fédération (Fnpi). Il faut dire que le nouveau référentiel promet de mettre fin à l'arbitraire dans le redressement fiscal des promoteurs. L'un d'eux explique : «Le fisc abat ses cartes en annonçant à l'avance la valeur vénale qu'il attribue aux biens que l'on vend. Il n'y a donc plus qu'à prendre en compte cette grille pour ne pas être accusé de sous- déclaration. Tout un changement par rapport au passé où le redressement intervenait quasi systématiquement sans même que l'administration ne dévoile la valeur considérée pour effectuer sa régularisation». L'on est donc a priori sur la bonne voie pour la normalisation des rapports entre les contribuables et l'administration fiscale, tant souhaitée par le ministre des finances, Mohammed Boussaïd. Les agents immobiliers et les notaires montrent également patte blanche et avancent que le nouveau référentiel constitue un support de commercialisation intéressant qui mettra en confiance les particuliers. Selon eux, il compliquera également la pratique du noir sur les biens neufs ou anciens, qui peut dissuader les transactions. Mais les agents immobiliers, qui n'ont pas été impliqués dans l'élaboration du référentiel, mettent un gros bémol. Les prix retenus sont parfois dépassés Dans leurs premières analyses, ils relèvent que le référentiel majore les tarifs qui ont actuellement cours sur le marché. A ce stade, précisons que les prix de la grille du fisc sont à considérer comme les plus bas praticables sur une zone. Or ces planchers peuvent être au-dessus des tarifs observés sur le marché, selon plusieurs exemples avancés par les intermédiaires. Un professionnel cite le cas d'un terrain en zone immeuble loti constructible en R+3 au niveau de Riviera proposé , il y a quelque mois, à un prix de marché de 20 000 DH. «En dépit d'une situation avantageuse, nous avons jusqu'à présent du mal à commercialiser ce terrain même en abaissant le prix à 16 000 DH alors que le plancher fixé par le référentiel est de 25 000 DH», s'étonne-t-il. Autre lacune mise en évidence par un autre agent, un appartement ancien (de plus de 15 ans d'âge selon la définition du référentiel), sur le Boulevard Ain Taoujtate à Bourgogne, devant être commercialisé à 14 000 DH au moins, selon le référentiel du fisc, peine à trouver preneur à moins de 10 000 DH. Les professionnels jugent tout aussi excessifs les minimas pour les anciens appartements sur la portion sud-est de Gauthier à 14 000 DH alors que le minimum, selon le marché est plutôt autour de 12 000 DH. Le minimum avancé de 22 000 DH pour l'ancien sur le boulevard Massira Khadra est tout aussi déphasé selon eux. Ces écarts peuvent résulter du fait que les tarifs retenus dans le référentiel représentent des prix moyens observés dans une même zone et pour un même type de bien. Cela permet de lisser les différences de prix qui peuvent exister au niveau d'un même quartier pour un même type de biens selon la façade, l'étage, l'exposition… Mais l'idée qui fait son chemin parmi les agents immobiliers et les notaires est que l'administration fiscale s'est basée sur des données historiques ne prenant en considération que les prix déclarés. «Et partant du principe que la sous-déclaration est très répandue, le fisc a systématiquement majoré les tarifs déclarés», pensent ces professionnels. Or sur les dernières années la morosité qui a frappé le marché a considérablement fait baisser la part demandée au noir ce qui biaise la démarche, concluent-ils. «Ce qui est sûr, c'est que les agents immobiliers qui ont déjà du mal à convaincre les vendeurs de faire baisser leurs prix, généralement surévalués, auront plus de peine encore à se faire entendre», anticipe un professionnel. Plusieurs intermédiaires disent d'ailleurs avoir été contactés par leurs clients depuis la parution du référentiel pour contester des expertises réalisées auparavant. Partant, les agents redoutent que les minimas élevés fixés par le référentiel ralentissent plus encore les transactions immobilières en creusant le gap entre les prix de l'offre et ce que sont disposés à payer les acheteurs, surtout que les promoteurs s'y mettent aussi. En effet, les notaires rapportent que les développeurs dont les programmes sont commercialisés à des prix en-dessous des minimas du fisc commencent à réviser leurs tarifs à la hausse. Quel que soit l'effet sur le marché, les promoteurs et les particuliers vendeurs ont en tout cas bien raison de vendre au moins aux prix du référentiel, sous peine d'être systématiquement pénalisés pour sous-déclaration. Des correctifs pourraient être apportés Mais tout comme le fisc a surévalué certains quartiers, il en a sous-évalué d'autres, notent les professionnels. Cela est surtout vrai pour les terrains. Un exemple cité par les intermédiaires porte sur les terrains lotis en zone villa, au niveau d'Anfa-supérieur pour lesquels le fisc fixe un minimum de 18 500 DH, alors que pas une transaction ne se conclut en dessous de 20 000 DH sur la zone, certifient les agents immobiliers. «A priori, les propriétaires au niveau de ces quartiers pourront se faire payer au noir le différentiel entre le prix du marché et le tarif du fisc, sans risque de redressement», avancent les agents. Une autre catégorie d'actifs qui pourrait passer entre les mailles du filet sont les terrains en zone villas convertis en zones immeubles dans les nouveaux plans d'aménagement, localisés par exemple à l'Oasis. «Ces actifs prennent systématiquement de la valeur, avant même la publication des plans d'aménagement, sachant que les fuites d'information sont très répandues pendant l'élaboration de ces documents», explique un agent immobilier. Or cette majoration n'est pas prise en compte dans la grille du fisc, ce qui ouvre la voie à la sous-déclaration. Si l'on peut toujours questionner toutes ces critiques, basées après tout sur des estimations de marché, il reste que le référentiel est forcément désavantageux pour les propriétaires qui pour une raison ou une autre doivent pratiquer des prix en dessous du marché pour pouvoir vendre. Un professionnel illustre : «Un appartement en situation désavantageuse, un immeuble occupé par des locataires indélicats, un terrain rogné par des espaces verts ou des équipements publics sont autant d'actifs qui ne peuvent se vendre aux minimas fixés par l'administration, ce qui met leurs propriétaires dans l'impasse». Face à toutes ces remarques les Finances mettent en avant une attitude constructive. L'on explique en effet que sur la base de l'observation de l'application du référentiel des correctifs pourront y être apportés, sachant qu'il sera de toutes les manières actualisé au moins une fois par an pour tenir compte de l'évolution du marché. Pour se faire une idée des améliorations à apporter, les Finances pourront s'appuyer sur les requêtes formulées par les contribuables auprès des commissions et instances judiciaires auprès desquelles il est possible de contester les prix du référentiel.