Les prix de plusieurs toiles sont sur une tendance baissière. Les collectionneurs se montrent plus prudents. Les peintres de renommée gardent leur cote, surtout ceux dont la valeur intrinsèque des toiles est élevée. Certains investisseurs commencent à se tourner vers la photographie, le street art et la sculpture. Le marché de l'art a toujours offert d'intéressantes opportunités de placement aux grosses fortunes de la place. La cote de certains artistes qui a explosé ces dernières années a permis à nombre de collectionneurs de réaliser de grosses plus-values. Cette euphorie a fini par attirer de nouveaux investisseurs qui ont fui un marché boursier en crise depuis 2008 et, dans une moindre mesure, un marché de l'immobilier en tassement. D'autant plus que la fiscalité qui frappe ces placements n'existe pas sur le marché de l'art par absence de réglementation. Seules des commissions sont prélevées à l'achat et à la vente des œuvres d'art par les maisons de vente aux enchères et les galeries et qui varient d'un établissement à un autre. Sauf qu'actuellement, une certaine accalmie commence à s'installer sur le marché. Effet de crise oblige, les collectionneurs sont devenus plus prudents et ne s'aventurent plus à miser gros sur n'importe quelle signature. De plus, une prise en compte de la valeur intrinsèque des œuvres d'art commence à devenir la règle chez plusieurs collectionneurs. En effet, «la flambée des prix qu'a connue le marché ces dernières années a fini par persuader les passionnés de l'art que certaines œuvres valent beaucoup moins que leur valeur actuelle», explique Nawal Slaoui, administratrice et fondatrice de la galerie Cultures Interface. Dans le même sens, Mohamed Chaoui, associé de La Marocaine des Arts, maison de ventes aux enchères, souligne que «le marché a connu un ralentissement par rapport à il y a cinq ans. De ce fait, les collectionneurs préfèrent miser sur des œuvres ayant une valeur sûre». Dans ces conditions, le marché de l'art est actuellement marqué par un retour aux peintres à carrière dont la qualité des œuvres est reconnue tant sur le plan national qu'international. Allusion faite à Farid Belkahia, Saad Ben Cheffaj, Abdelkabir Rabii, Miloud Labied, Houssein Miloudi, Ahmed Cherkaoui, Jilali Gharbaoui… D'ailleurs, les prix des œuvres des artistes de renommée continuent d'augmenter, confirmant non seulement leur statut de valeurs refuge, mais également leur potentiel à venir. A titre d'exemple, une œuvre de Saad Ben Cheffaj de 1m x 1m était valorisée à 220 000 DH en 2012 alors qu'elle avait changé de main à 60 000 DH en 2006. C'est la même chose pour Miloud Labied dont une œuvre a été vendue à 500 000 DH l'année dernière alors que cinq ans auparavant, elle valait 160 000 DH, soit un gain de plus de 200% dans les deux cas. Les peintres des années 1990 perdent leur cote Cela étant, il n'est pas exclu que les grandes signatures voient leur valeur baisser. Dans sa dernière vente aux enchères, la CMOOA a adjugé un tableau de Gharbaoui à 210 000 DH alors qu'il était estimé à 240 000 DH. Une œuvre de Mohamed Douah a également été remise au prix de 20 000 DH au moment où le prix d'affiche était de 35 000 DH. C'est dire que les prix dépendent un peu moins du nom de l'artiste dans la conjoncture actuelle, et tiennent de plus en plus compte de la qualité de son œuvre, de la matière utilisée et de la représentation de la toile. En revanche, les artistes apparus entre les années 1990 et 2000 commencent à perdre de leur valeur car leur cote a été surévaluée sans fondement. Qui plus est, aucun galeriste à l'international ne les présente. Leurs expositions se limitent aux galeries et maisons aux enchères marocaines qui, certes, sont importantes pour se faire une place sur le marché mais ne sont pas suffisantes pour avoir une grande crédibilité auprès des collectionneurs. Mme Slaoui souligne qu' «un artiste qui n'a à son actif aucune exposition à l'international ne peut être mis sur le même piédestal que les artistes historiques dont les tableaux font l'objet d'expositions dans plusieurs pays étrangers». Du coup, des artistes tels que Mohamed El Baz, Mounir Fatmi ou encore Hicham Benhohoud perdent la cote au profit des autres. Certains ont même vu leur cote s'effondrer à l'instar de ce peintre dont on taira le nom qui a vu le prix de ses tableaux passer de 300 000 à 80 000 DH, soit une perte de 275% en quatre ans. Ce constat n'est certes pas général puisque certains peintres contemporains ont réussi à émerger et à se démarquer par la qualité de leurs œuvres comme Mahi Binebine, Fouad Bellamine… En tout cas, même sans cadre réglementaire, le marché tend à se professionnaliser tant du côté des artistes que des collectionneurs. En effet, le profil de ces derniers a évolué. Le marché est désormais constitué de «collectionneurs passionnés et connaisseurs qui sont avisés et savent reconnaître les meilleurs périodes des artistes», souligne M.Chaoui. Et d'ajouter : «Il faut dire que les institutionnels tels que les banques, les assurances et les grands établissements jouent encore aujourd'hui un rôle capital puisqu'ils détiennent le gros des œuvres. Néanmoins, derrière ces institutions se cachent de vrais collectionneurs qui la plupart du temps investissent pour eux-mêmes». En parallèle, fait remarquer Mme Chaoui, «une nouvelle tendance émerge : celle des jeunes collectionneurs, qui n'ont pas forcément les mêmes moyens que les institutionnels mais qui sont en phase avec l'actualité, informés et ne rechignent pas sur les moyens pour suivre un artiste ou connaître la vie d'une œuvre d'art avant de l'acquérir». Ce nouveau phénomène laisse de moins en moins de place aux spéculateurs ou aux investisseurs avides de réaliser de bonnes affaires. Du coup, la présence de ces derniers, qualifiés de suiveurs ou d'opportunistes s'est amoindrie sur ce marché. Certaines photographies se vendent à 150 000 DH ! Si certains investisseurs ont boudé le marché des œuvres d'art en attendant une réglementation ou un retour à l'ordre des prix, d'autres se sont orientés vers un nouveau segment : la photographie. M. Chaoui assure que ce type d'œuvres connaît un essor et que les collectionneurs s'aventurent à acquérir petit à petit des photographies. Que ce soit la photographie numérique, graphique, conceptuelle ou de reportage, cet art commence à prendre de plus en plus d'ampleur au Maroc. Les galeristes recommandent de miser sur Daoud Wlad Siyyed et Touhami Ennadr dont les prix des photos avoisinent 150 000 DH, ou encore sur Hicham Benhohoud qui voit ses prix s'envoler à plus de 40 000 DH, surtout que ces derniers se sont déjà frayé un chemin à l'étranger. A côté de la photographie, l'art vidéo, le street art ou la sculpture sont appelés à présenter les nouvelles formes d'art présentant de bonnes opportunités de placement. «Il est vrai que ces nouvelles formes d'art en sont encore aux balbutiements mais les institutionnels regardent de plus en plus dans cette direction», affirme M. Chaoui. Ainsi, de plus en plus d'initiatives voient le jour sur le marché, au grand bonheur tant des artistes que des investisseurs. Sauf que les professionnels du marché mettent en garde contre la spéculation et la contrefaçon que peut connaître ce marché à l'instar de celui des peintures. En effet, des œuvres contrefaites tout en étant certifiées par des experts sont toujours en circulation. «Pas plus tard qu'il y a quelques mois, de faux tableaux au nom de Saad Ben Cheffaj, Jilali Gharbaoui et Ahmed Cherkaoui ont été exposés dans une galerie en France», se désole un galeriste à Casablanca. En ce sens, tous les professionnels réclament une réglementation du marché en vue de préserver les fresques des artistes et de protéger les intérêts des acquéreurs.