Istiqlal, USFP, PAM… Les principales formations politiques ont opéré une véritable mue en 2012, chacune à sa manière. La métamorphose du champ politique a commencé en fait au début des années 2000. Une fin de semaine décisive pour deux principales formations politiques, l'Istiqlal et l'USFP. Les deux partis parachèvent leur transformation entamée, il y a déjà quelques mois. Le premier tient son conseil national, après l'éclatante élection du syndicaliste Hamid Chabat à sa tête, le second un deuxième round de son congrès qui a porté à sa tête le très controversé Driss Lachgar. Il faut dire que les deux partis sortent d'une étape inédite et décisive de leur histoire. Hamid Chabat ainsi que Driss Lachgar ont été portés, par les urnes, à la tête de leurs partis respectifs après un véritable exercice de démocratie interne. Bien sûr, au sein des deux partis, des voix se sont élevées pour contester les résultats des urnes, tout en insistant sur leur unité. Ce qui est aussi une première en soi. Nous ne sommes plus dans la logique de scissions qui, durant des années, ont balkanisé le champ politique, mais dans celle d'apparition de courants internes. Celui de l'Istiqlal, «sans répit, pour la défense des constantes du parti», est même allé jusqu'à contester l'élection de Chabat devant la justice. Entre-temps, les détracteurs de Hamid Chabat, principalement les partisans de son rival Abdelouahed El Fassi, ont décidé, pour la première fois d'agir à visage découvert. Ils ont tenu une conférence de presse le même jour où Hamid Chabat remettait son fameux mémorandum au chef du gouvernement, pendant laquelle ils ont insisté pour transmettre un seul et unique message : Hamid Chabat ne représente pas tous les Istiqlaliens. Bien plus, «il ne peut pas parler au nom de 50 membres du conseil national», martèle un des dirigeants de ce courant. Bien sûr, les opposants de Hamid Chabat ont, encore une fois, réitéré cette accusation selon laquelle des «mains extérieures au parti» seraient derrière l'élection du nouveau leader de l'Istiqlal. Et qu'il arrivera le moment où «ces personnes seront démasquées». La théorie du complot a également été brandie par les détracteurs d'un autre nouveau patron de parti. Cette fois, Ahmed Zaidi, candidat déçu à l'élection du premier secrétaire de l'USFP, parle, lui, ouvertement de l'intervention des services du ministère de l'intérieur. Ce que le ministre Mohand Laenser a catégoriquement rejeté en son temps. Le militant de proximité remplace le leader charismatique Dans un cas comme dans l'autre, il est un constat indéniable : les partis politiques ont bel et bien entamé leur mue. Et contrairement à ce que certains «analystes» avancent, le mouvement du Printemps démocratique qui a secoué certains pays de la région n'y est pas pour grand-chose. Loin de là. Pour le politologue Mohamed Darif, les origines des transformations remontent, en effet, au début des années 2000. Depuis les élections de 2002, les partis politiques ont compris que, désormais, les urnes seront et devront être la seule et unique source de légitimité pour les dirigeants. On ne parle plus, du moins pas autant qu'avant, de légitimité historique, de zaïms, de partis nationalistes et démocrates et de partis «de l'Administration». C'est à cette date que remonte également l'ouverture des principales formations politiques sur une nouvelle catégorie de militants : ceux qui jouissent d'une facilité de contact avec leur entourage et qui peuvent drainer des voix aux élections et faire gagner des sièges. Cette tendance a donné naissance à un nouveau type de militantisme dit de proximité, celui-là même qui a conduit aujourd'hui Chabat, Lachgar et, bien avant eux, un certain Benkirane à la tête de leurs partis. Cette ascension de cette vague d'hommes politiques de proximité qui, pour reprendre les termes du politologue Mohamed Darif, «n'ont pas forcément fait montre d'un discours politiques fort, d'une idéologie ou d'un projet politique qui leur soit propre», mais qui entretiennent de fortes relations avec les bases de leurs partis, a également été facilité par un changement politique et normatif. Ce professeur de sciences politiques rappelle que depuis 2007, en effet, c'est une autre démarche qui est venue accentuer le mouvement, à savoir la méthodologie démocratique qui a été non seulement appliquée à la lettre, mais consacrée par la nouvelle Constitution (art.47). De même, et cette fois sur le plan normatif, la loi relative aux partis politiques promulguée en 2005 a été promue au rang de loi organique dans sa version de 2011. Cette loi impose, entre autres transformations, la démocratisation des formations politiques. Le PAM serait-il également à l'origine de ce bouleversement ? Pour résumer, l'environnement politique marocain a connu incontestablement une dynamique sans précédent. Sur le volet politique, d'abord, avec la consécration des urnes comme seul moyen de légitimation politique et de la méthodologie démocratique comme clé de l'exercice du pouvoir, avec au final un gouvernement politique. Sur le plan normatif, ensuite, avec la promulgation d'une nouvelle Constitution qui réhabilite les partis (art.7) et une nouvelle loi organique pour les organiser. Une transformation sociologique, enfin, qui a conduit à la montée du militantisme de proximité. Autant de facteurs qui ont accéléré la mue des partis politiques qui, en moins de deux, ont changé de visage. Du moins pour certains. Principalement les huit formations les plus représentatives qui pèsent plus de 90% des voix électorales et des sièges du Parlement. Plus de la moitié d'entre elles ont d'ailleurs tenu leur congrès au courant de l'année écoulée. Les autres sont invitées à le faire, la nouvelle loi sur les partis prévoyant un délai de 18 mois pour la mise en conformité avec ses dispositions de tous les partis sous peine de perdre droit aux subventions publiques. Certains observateurs avancent également comme catalyseur de cette transformation accélérée de la scène politique l'apparition, en 2008, du PAM. Une analyse, un tantinet superficielle mais qui se tient, estime que l'élection d'Abdelilah Benkirane, un frondeur né, à la tête du PJD, en juillet 2008, en lieu et place du modéré Saâdeddine El Othmani aurait été dictée par l'impératif de faire face au PAM alors en cours de constitution et dont l'une des mission déclarées était de contrer le projet de société prôné par les islamistes. La conjoncture a voulu que le PJD soit porté aux affaires après les élections de 2011. Et pour mettre un terme à ses velléités de parti «hégémonique», l'Istiqlal, son allié au gouvernement, s'est choisi pour secrétaire général un homme de même profil que le patron du PJD : Hamid Chabat. L'élection de Driss Lachgar à la tête de l'USFP découle de la même logique. Certains analystes, estime Mohamed Darif, avancent même que la fonction principale pour laquelle a été créé le PAM était non pas d'accéder à la Primature et de diriger le gouvernement, mais de réorganiser le champ politique. Et ce, en poussant les partis à faire l'effort de se restructurer et se démocratiser, bref «à revoir leur copie». Il ne faut pas oublier, rappelle-t-il, que le PAM a été créé en 2008, au lendemain des élections de 2007 qui ont connu l'un des taux d'abstention les plus élevés (37% de participation). «Populistes», technocrates et leaders indéboulonnables Cela dit, le PAM, lui-même, est actuellement en train de mettre en place ses différentes structures : instances régionales, organisation des femmes, de la jeunesse et des étudiants ainsi que des organisations professionnelles (forum des ingénieurs). Malgré sa récente création, le PAM a connu également, de même que le RNI, une transformation notable lors du dernier congrès, il y a quelques mois. Sauf que, contrairement aux trois précédents partis (l'Istiqlal, l'USFP et le PJD), ces deux formations ont choisi l'option managériale comme mode d'organisation. Les deux formations ont porté à leur tête, en les personnes de Salaheddine Mezouar et de Mustapha Bakkoury, des politiques doublés de technocrates qui disposent d'une longue et riche expérience dans la gestion des entreprises. Du point de vue typologie, c'est la deuxième catégorie des partis, après celle des partis, qui se sont choisi des leaders communément désignés de «populistes», qui ont vécu leur métamorphose ces dernières années. La troisième catégorie est constituée de petites formations, faiblement représentées ou pas du tout représentées au Parlement, qui ont choisi de maintenir inchangée leur direction. C'est le cas notamment du FFD et du CNI qui, rappelons-le, ont été créés en réaction à l'absence de démocratie interne et de renouvellement des élites au sein du PPS (en 1997), pour le premier, et de l'USFP (en 2001) pour le second. Ce qui n'a pas empêché un certain Thami El Khyari, à la tête du FFD depuis sa création, soit depuis plus de 15 ans, de s'accrocher à son siège. De même pour Abdesslam El Aziz, secrétaire général du CNI depuis 2006, qui a été reconduit à son poste au terme du dernier congrès tenu il y a un peu plus d'un mois. Ces deux formations, comme d'autres que le politologue Mohamed Darif qualifie d'«élitistes qui continuent de parler au nom du peuple et se réclament d'une légitimité historique révolue», ne font aucun effort pour s'ouvrir et se démocratiser. Bien sûr, il y a des exceptions comme le PSU qui a porté une femme à sa tête au terme d'un processus démocratique, mais ce «type de partis n'a aucune influence. Et ce, à tel point qu'un changement aussi radical et révolutionnaire qu'il soit chez eux n'attire pas autant l'attention qu'un minime changement au sein du PJD par exemple». UC et MP cèderont-ils au changement ? Quant au MP et à l'UC, ils sont pour l'instant hors classement. N'ayant pas encore tenu leurs congrès, les observateurs ne savent toujours pas si ce même vent de changement soufflera sur les deux partis. Au sein de l'UC, qui prépare actuellement son Ve congrès, tout porte à croire que, en homme de consensus, l'actuel secrétaire général Mohamed Abied à toutes les chances d'être reconduit. Et pour cause, le parti est aujourd'hui tiraillé entre le courant influent et majoritaire du conseiller Driss Radi, soutenu par le chef du groupe parlementaire Chaoui Belassal et l'universitaire Lahbib Dekkak, et celui, de moindre envergure, du dirigeant Hassan Abaiba. Selon les analystes, il y a de fortes chances que Mohamed Abied soit réélu pour préserver l'unité du parti. Au MP, bien que le congrès ne soit pas prévu avant 2014, des luttes internes divisent déjà les principaux prétendants à la succession de Mohand Laenser, Mohamed Ouzzine, Lahcen Haddad ou encore Abdelkader Tatou. Normalement, rien n'empêche l'actuel secrétaire général de se représenter une nouvelle fois, bien que les statuts du parti limitent désormais à deux le nombre de mandats. «Tout dépend de ce que décidera Mohand Laenser mais une chose est sûre, il ne peut pas ignorer cette dynamique de changement, surtout après ce qui vient de se passer à l'Istiqlal et l'USFP», observe notre politologue. Bref, changement, oui, c'est certain. Mais nous sommes encore loin d'une «rationalisation» appelée de tous les vœux du champ politique. Il faut dire aussi que cette mue des partis politiques était inéluctable et surtout attendue. La pratique partisane était, en effet, arrivée à une impasse en 2007 déjà. De même, note encore Mohamed Darif, «nos politiciens ne pouvaient pas non plus continuer à appeler à la démocratisation de l'Etat et des institutions alors que leurs partis restaient imperméables à la démocratisation interne». Cependant, même avec ce qu'ils viennent de traverser, nous ne sommes pas encore au stade de la démocratisation des partis. Nous n'en sommes qu'au début. Les formations politiques entament à peine une phase où elles commencent à s'exercer pour une véritable démocratie à venir.