Plus besoin d'aller à Rabat : La Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc a lancé son pendant numérique, qui compte déjà quelque 150 000 pages et qui vise les deux millions de documents consultables en ligne d'ici fin 2013. Cloué à l'arrière d'un taxi, noyé dans un embouteillage tentaculaire, vous n'aviez d'autre choix, il y a quelques années, que de subir, dans un silence consterné, les grognements des chauffards ou les glapissements de Britney Spears à la radio, parfois ces deux sombres calamités en même temps… Mais, depuis, le ciel soit loué, Smartphones et tablettes arrivèrent et les ennuis détalèrent (enfin, quand la 3G daigna marcher). «Où que vous soyez, vous pouvez désormais lire Jean-Jacques Rousseau, Naguib Mahfouz ou Driss Chraïbi», entonne Driss Khrouz, la mine réjouie. Le directeur de la Bibliothèque nationale est un ardent zélateur de la numérisation. «Parce que ses potentialités sont infinies. En termes de mobilité, de stockage, de transmission des savoirs. Et parce que cette technique révolutionnaire permet d'exhumer des documents anciens, oubliés, rares, fragiles, impossibles à feuilleter dans leur format originel». Quel dommage en effet de passer à côté de Lamalif, Souffles, Anfasse, Hespéris ou des Archives berbères ! Quarante-deux revues marocaines restaurées, conservées, couvées à la Bibliothèque nationale comme de délicates œuvres d'art sont aujourd'hui consultables en ligne, gratis, sur le site de la BNRM(*). «Times of Morocco, par exemple, qui date de 1863 et dont nous possédons quatre ou cinq exemplaires. Ce journal est unique. Si nous ne l'avions pas numérisé, personne n'aurait eu vent de son existence dans une dizaine d'années», assure Driss Khrouz, soudain lyrique : «La numérisation permet de redonner une jeunesse, peut-être même une éternité aux choses». Pour que tout le monde puisse lire l'histoire Au sous-sol de la BNRM, l'éternité se confectionne depuis près de deux ans dans un laboratoire de numérisation dûment équipé. Quelque 150 000 pages ont d'ores et déjà été traitées. Une phase «pilote», affirme le bibliothécaire-en-chef, plus ambitieux pour les années à venir : deux millions de pages devraient être prêtes fin 2013. Coût de l'opération de sauvetage des manuscrits rares de la BNRM : 6 millions de dirhams. «L'OCP finance et Maroc Telecom fournit le matériel de numérisation, parmi les plus pointus au monde», explique M. Khrouz. Une technologie de veille qui permet de rafraîchir et de conserver «éternellement» les fichiers numérisés, «comme une vieille montre qu'on remonte à l'infini, qui marche depuis toujours», sourit le directeur. On n'arrête pas le progrès : il y a cinq ou six ans, la durée de vie d'un fichier numérisé ne dépassait guère un siècle… Rien ne se perd, rien ne se détériore, tout se numérise et se restaure : c'est le rêve de Driss Khrouz, gardien d'une bonne partie de notre mémoire collective. «L'objectif, c'est que tout le monde puisse lire l'histoire. Que notre patrimoine ne soit plus l'apanage d'une petite élite». Mais le public connaît-il l'existence de ces trésors numériques accessibles en quelques clics ? «Peut-être pas suffisamment, admet le directeur de la BNRM. Nous communiquons quand même, cela dit, grâce aux médias qui s'intéressent à la culture». Le problème majeur, selon M. Khrouz, est l'inculture informatique. «Nous sommes, hélas, dans un pays où des gens qui ont des ordinateurs et des iPhones n'ont pas le réflexe culturel de consulter les sites. Beaucoup confondent encore les adresses Web et les adresses mail», se désespère-t-il. Sans se décourager : la bibliothèque numérique du Maroc prend forme, lentement mais sûrement. Rien de comparable, certes, avec les millions d'ouvrages numérisés du mastodonte Google Books mais, assure M. Khrouz, «nous sommes déjà parmi ceux qui comptent dans le monde. Nous faisons partie du comité de pilotage du réseau francophone numérique, avec la Bibliothèque nationale de France, les Archives nationales du Québec ou encore la Bibliothèque d'Alexandrie».