Un bras cassé est en réalité un collaborateur qui se désintéresse peu à peu de son travail et finit par jeter l'éponge. La solution consiste à essayer de décortiquer avec l'intéressé les causes de la panne. Dans presque toute entreprise, il y a des personnes improductives, des bras cassés en quelque sorte. Comment les détecter, les gérer et surtout ne pas en fabriquer ? Les réponses avec Hassan Chraibi, directeur du cabinet Ingea Conseil. Comment définissez-vous un bras cassé ? Pour moi, ce terme est péjoratif parce qu'il renvoie une image dégradante de certaines personnes. Cette mauvaise image est malheureusement encore très présente dans nos entreprises. Toute personne qui n'arrive pas à effectuer son travail convenablement est vite qualifiée d'improductive ou de bras cassé, et est aussitôt exclue du circuit, voire parfois placardisée. Pour moi, on ne naît pas bras cassé, on le devient dans un contexte donné. Si l'on écarte l'erreur de recrutement dont personne n'est à l'abri, on peut presque toujours mettre la démobilisation des salariés sur le compte d'erreurs de management. Car un bras cassé est en réalité un collaborateur qui se désintéresse peu à peu de son travail et qui finit par jeter l'éponge. Y a-t-il une typologie de personnes improductives ? La typologie est liée à des situations ou des contextes. On a celui qui se retrouve dans un poste qui ne correspond pas à ses compétences ou encore celui qui ne retrouve pas la même motivation qu'auparavant. Je dirais plutôt que certains contextes, ou certaines organisations, favorisent le développement des improductifs. Je pense particulièrement à ces organisations pyramidales très lourdes qui représentent un terrain très fertile au développement des clans et des luttes d'influence. Les abus de pouvoir, les règlements de comptes et les jalousies empoisonnent l'ambiance. Je peux citer également les personnes qui n'ont pas su s'adapter à un moment donné aux changements de l'entreprise, notamment les technologies. Elles se retrouvent rapidement dépassées. Certaines personnes peuvent également être prédisposées à cet étiquetage. Un collaborateur à forte activité syndicale et revendicative peut faire l'objet d'une mise en quarantaine. Ou encore quelqu'un impliqué dans un conflit qui a mal évolué pourrait aussi être injustement perçu comme un élément perturbateur et virulent et se voir ainsi écarter de l'organisation. De nombreux salariés peuvent faire l'objet de cette pratique. Ses conséquences sur le plan humain peuvent être dramatiques. On ne sort pas indemne d'une telle épreuve parce que le sentiment d'injustice est flagrant. C'est pourquoi l'entreprise doit se poser la question de savoir quelles sont les situations ou les comportements qui fabriquent des bras cassés. Parfois, un simple décalage entre les objectifs de l'entreprise et le savoir-faire du collaborateur peut rapidement aboutir à une attitude de déconnexion de la part de ce dernier, surtout s'il n'est pas du tout informé. Cela veut dire que l'entreprise est parfaitement responsable de cette situation ? La responsabilité de l'entreprise est engagée dans tous les cas de figure puisque c'est elle qui a recruté son collaborateur. Elle a l'obligation de lui permettre d'exécuter convenablement son travail en lui fournissant un cadre approprié, des moyens et des outils, et en lui assignant des objectifs. Malheureusement, beaucoup d'entreprises ne se posent pas des questions sur les causes d'une démobilisation et se permettent de stigmatiser ceux qui sont dans cet état. Ces effets peuvent-ils réduire la compétitivité de l'entreprise ? Bien évidemment, les impacts sont directs. On peut relever par exemple un surcoût en matière de masse salariale. De plus, la personne elle-même est affectée. Sa satisfaction au travail en est réduite. Elle perd énormément de son énergie. Sans compter l'effet boule de neige. En effet, les collègues peuvent, à un moment donné, être gagnés par la démotivation. L'entreprise perd en notoriété et en image institutionnelle. Son dynamisme peut être affaibli du fait de la démotivation des salariés car ces derniers observent et font souvent un constat d'injustice à l'égard des victimes de ces pratiques. En somme, ils peuvent perdre confiance dans les relations hiérarchiques Comment agir face à ces personnes ? La solution consiste à essayer de décortiquer avec l'intéressé les causes de la panne, à faire ressortir les points positifs et les points négatifs de son activité et à établir un plan d'action. Les choses se corsent si le collaborateur s'est déjà enfermé dans un processus de mensonges, du genre : «Je n'ai pas les moyens pour y parvenir», «non, mon supérieur ne m'encadre pas assez»…. Dans ce cas, plus question de discuter, il faut être intransigeant et donner une dernière chance assortie d'un ultimatum. Je pense qu'avant tout, une meilleure gestion des ressources humaines s'impose. Parfois, ces problèmes se règlent par la formation, la reconversion et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Mais encore faut-il que la DRH fasse partie du comité stratégique de l'entreprise. Son implication est importante pour surveiller l'attitude de certains managers. Certaines entreprises ont recours à des méthodes professionnelles très responsables pour gérer un projet de départ. Le principe consiste aussi à faire le bilan des compétences du salarié, d'identifier les domaines où la personne peut s'épanouir. Faut-il y aller avec prudence ou avec fermeté ? Les deux ne sont pas contradictoires. On peut être ferme dans la mesure où il s'agit d'expliquer clairement que le rendement du salarié n'est plus satisfaisant tout en restant factuel. On peut aussi gérer avec tact pour que la personne ne perde pas confiance en elle-même. C'est lui laisser une chance de rebondir, surtout qu'elle n'est pas seule dans l'affaire, et qu'elle peut compter à tout moment sur les collègues et la hiérarchie pour progresser. Et si elle est irrécupérable ? Rien n'empêche l'entreprise de s'en séparer. Après tout, un licenciement est un acte de management tout à fait normal. Le tout est de respecter la dignité des gens.