Concernant les litiges entre commerçants, on s'en remet à la juridiction commerciale ; pour ce qui est des contentieux civils, on se retrouve devant le tribunal de première instance. Si le dossier oppose une partie civile à une partie commerçante, la priorité et le droit au choix du tribunal compétent reviennent à celui qui dépose sa demande. J'ai déjà eu l'occasion de traiter de la notion «d'incompétence», telle que perçue et appliquée dans les tribunaux marocains. Deux récents cas viennent illustrer le flou juridique qui accompagne cette notion. M. T. est un honnête citoyen qui n'est pas commerçant, et qui n'a jamais eu affaire à la justice. Lors d'une transaction banale consistant en l'achat d'un appartement, sa banque commet une erreur technique, lors du paiement d'un chèque, d'abord rejeté sans provision, puis payé sans problème. Mais l'incident a été enregistré et M. T. se retrouve interdit de chéquier et fiché auprès de Bank Al-Maghrib en tant que mauvais payeur. La situation durera quelques années avant que M. T., excédé, ne saisisse la justice, réclamant un dédommagement pour le préjudice subi. Les preuves sont accablantes, et l'établissement bancaire se défend timidement, arguant du fait que l'erreur a été décelée et immédiatement rectifiée puisque le chèque a finalement été payé… oubliant le fait que pendant près de six années son client a été interdit bancaire. La cause semble entendue, mais le tribunal, alors même que personne ne lui a rien demandé, vole au secours de la… pauvre banque en difficulté et de son avocat. Son arrêt est pour le moins surprenant, du moins pour ce qui est de l'application de la loi : le magistrat explique doctement que le problème provient d'un chèque, réputé support d'affaires commerciales ; que la transaction était commerciale, et que l'une des parties, la banque, a la qualité de commerçant ; de ce fait, en conclut-il (un peu hâtivement) que le tribunal de première instance est incompétent en raison de la matière, et qu'il convient de s'adresser au tribunal de commerce, comme le stipule la loi instaurant les tribunaux de commerce. On penserait plutôt que c'est lui qui est incompétent car il a tort sur toute la ligne. En effet, le chèque est un instrument de paiement, pas plus. Ensuite, l'acquisition d'un appartement par un salarié du privé n'a rien à voir avec une opération commerciale. Enfin, la loi à laquelle il est fait allusion affirme le contraire : dans le cas où l'une des parties au litige est non commerçante, il lui appartient à elle de choisir de porter l'affaire devant une juridiction civile ou commerciale. Dans le cas suivant, c'est exactement l'inverse qui s'est produit. A la suite d'un litige avec son employeur, M. R. se retrouve licencié. Le patron lui a remis en guise de solde pour tout compte un document dans lequel il reconnaît un arriéré de salaires impayés, qu'il s'engage à régler dans les plus brefs délais. Encore une fois les mois passent, et, finalement, une requête en fin de paiement est déposée devant le tribunal de commerce, en application, justement de la fameuse loi dont il est question plus haut. Mais là, le magistrat interprète la loi différemment : il considère que la reconnaissance de dettes n'a rien de commercial, que le demandeur est considéré comme une personne civile, et que de ce fait il est incompétent pour statuer et qu'il faut aller voir du côté du tribunal civil. Or, lui aussi a tout faux, car au terme de la loi, bien que l'une des parties soit considérée comme commerçante (en l'occurrence l'entreprise qui a licencié M. R.), le demandeur, un civil, a le bénéfice du choix. Dans ce dernier cas, l'avocat de M. R. a considéré qu'il serait bien plus rapide et efficace pour son client d'aller devant la juridiction commerciale, en principe prévue pour diligenter les dossiers sans retard. Mais c'était sans compter avec nos valeureux magistrats qui font parfois des lectures "approximatives" des lois qu'ils sont chargés d'appliquer. Car les deux juges qui ont statué dans ces affaires ont péché par …manque de compétence. La loi est claire et sans équivoque : concernant les litiges entre commerçants, on s'en remet à la juridiction commerciale ; pour ce qui est des contentieux civils, on se retrouve devant le tribunal de première instance. Si le dossier oppose une partie civile à une partie commerçante, la priorité et le droit au choix du tribunal compétent reviennent à celui qui dépose sa demande : c'est le cas pour nos deux héros. Si par contre le litige opposant un civil à un commerçant revêt un caractère commercial (vente, crédit, achat…), c'est le tribunal de commerce qui doit être saisi. Les deux dossiers suivent désormais leurs cours devant les juridictions ad hoc…qui peuvent aussi se déclarer incompétentes ! On n'aura pas encore tout vu !