Elles représentent plus de la moitié de la population du Maroc, elles sont cadres sup, ministres et parlementaires mais continuent à souffrir de discrimination … La décennie écoulée a été celle de la nouvelle Moudawana et de la réforme du Code de la nationalité, mais sur le terrain les changements sont trop lents. Mardi 8 mars, journée internationale de la femme. Une occasion pour faire le bilan des avancées en matière de droits pour les représentantes du sexe féminin, qui constitutent 50,63% de la population du Maroc. Un constat clair, la situation de la femme marocaine a connu ces dix dernières années un saut formidable dans tous les domaines, et les indicateurs sont là pour le confirmer. Néanmoins des attentes restent pressantes. Par exemple, si l'égalité des sexes est une réalité juridique, elle ne l'est pas encore sur le plan des mentalités. Ainsi, l'abolition de la notion de attaâ (l'obéissance) dans le nouveau code de la famille, le droit de la femme à demander le divorce, et à se marier sans l'obligation d'avoir l'accord d'un tuteur sont des avancées exceptionnelles dans le monde arabo-musulan mais le contexte social et éducatif aussi bien que l'attitude des tribunaux restent un frein à l'application de ses libertés sur le terrain. Beaucoup reste à faire. Le ministère du développement social, de la famille et de la solidarité (MDSFS) en convient dans le rapport du «budget genre» qu'il a présenté en décembre dernier lors du débat sur la Loi de finances 2011. On peut notamment y lire que «…le rôle des femmes, dans tous les espaces, est devenu plus visible et plus valorisé. Cependant, l'objectif d'égalité des sexes est encore contrarié par les difficultés reliées principalement à l'enseignement (fondamental, secondaire), surtout pour les filles rurales, et au chômage féminin qui reste structurellement plus élevé que le chômage masculin. Aussi, les femmes des milieux défavorisés sont plus exposées aux emplois précaires et mal rémunérés, surtout avec l'impact de la crise mondiale». Des attentes, il faut le dire, qui ont pris tout leur sens à la lumière des dates à forte charge symbolique qu'a connues les décennies écoulées. Elles sont au nombre de trois : février 2004, janvier 2007 et décembre 2008. Elles correspondent à des changements majeurs : l'entrée en vigueur du nouveau code de la famille, la réforme de l'article 6 du code de la nationalité et la levée par le Maroc de ses réserves sur la Convention internationale contre toute forme de discrimination à l'égard des femmes. Plus de 9 millions ont moins de 30 ans, 5,482 millions entre 30 et 60 ans C'est bien beau tout cela, et le Maroc ne peut que s'en réjouir, d'autant que ces trois chantiers précisément ont mobilisé les efforts de toutes les ONG des droits de la femme. «Il est cependant regrettable de constater que sur le premier et le troisième chantier, la bataille est encore longue et rude pour une application meilleure des dispositions qu'ils contiennent. Pour le code de la famille, mis à part les mentalités, très conservatrices, des juges dans les tribunaux, tout le système judiciaire est à refonder. Souhaitons une décision courageuse des pouvoirs publics dans ce sens», espère cette militante de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM). Côté chiffres, il faut savoir que sur les 31,177 millions que consitute la population légale du Maroc à fin 2008 (dernières estimations disponibles), les femmes représentent un total de 15,785 millions (9 millions en milieu urbain et 6,7 millions en milieu rural). Trait saillant de cette population, comme de celle de tout le Maroc d'ailleurs : son extrême jeunesse. Près de de 9 millions ont moins de 30 ans et 5,5 millions entre 30 et 60 ans. Le reste, soit près de 1,3 million, ont 60 ans et plus. Autre donnée importante, selon le dernier recensement général de la population et de l'habitat (septembre 2004), 34% de femmes adultes sont célibataires et 10% sont des veuves. En 2008, les statistiques du ministère de la justice ont enregistré 307 575 mariages dont 62 595 ont été contractés par des femmes majeures elles-mêmes sans l'entremise d'un tuteur. Mais il y avait aussi 30 685 mariages de mineures, ce qui est d'ailleurs regrettable. Et c'est là l'une des grandes défaillances unanimement stigmatisées par les militants des droits de l'homme. Arrêté par le code à 18 ans, et pour les filles et pour les garçons, le mariage des filles mineures continue de battre son plein, notamment dans le monde rural, malgré qu'il soit conditionné par l'autorisation du juge. Cette dernière s'est révélée plus une simple formalité qu'une vraie dissuasion. En 2008, par exemple, 39 296 demandes de mariage de mineurs (99% concernant des femmes) ont été présentées au niveau des tribunaux de famille. 30 685 ont été autorisées (soit 78%). Où est l'esprit de la Moudawana de 2004 ? Deux auteurs, Fouzia Rhissassi et Khalid Berjaoui (co-titulaires de la chaire UNESCO marocaine «Les femmes et leurs droits» à l'Université Mohammed V de Rabat), l'ont bien souligné dans une étude consacrée au sujet. Ils soulignent à juste titre que si la loi autorise le recours exceptionnel au mariage précoce des filles (de moins de 18 ans), et avec une décision motivée de la justice, «l'évaluation des statistiques disponibles et l'examen des procédures suivies à travers huit tribunaux marocains nous amènent à constater que l'exception est finalement devenue la règle». Autre chiffre à retenir, qui témoigne d'une pratique surannée mais encore prégnante dans la société rurale marocaine : le mariage sans acte dûment enregistré au plan administratif. 8 024 demandes de reconnaissance de mariage ont été déposées en 2004, 26 053 en 2007. Les ONG des droits de la femme n'ont pas cessé de tirer la sonnette d'alarme, aussi bien pour le mariage des filles mineures que pour celui contracté sans le moindre papier. Cela pour les mariages, qu'en est-il des divorces ? Selon les cas, les tribunaux marocains ont enregistré en 2008 un total de 27 935 divorces, et quelque 27 441 autres divorces judiciaires prononcés. Chiffre révélateur de la nouvelle donne juridique : les femmes, la même année, ont plus que les hommes recouru au divorce par discorde, soit 32 095 sur un total de 49 713 (64,56%). Des questions de discrimination dont le tout nouveau CNDH devrait se saisir Deuxième victoire pour les femmes au cours des dix dernières années : la réforme de l'article 6 du code de la nationalité. Cet article donne, et ce, depuis 2007, à l'enfant né de père étranger et de mère marocaine, le droit à la nationalité marocaine. Ce qui lui confère automatiquement tous les autres droits, une carte d'identité, un passeport, le droit de s'inscrire dans un établissement d'enseignement public ou de postuler à un poste dans l'administration publique. Une seule condition pose l'énoncé du nouvel article 6 du code : l'octroi de la nationalité devrait être conforme aux dispositions légales prévues par le code de la famille, à savoir que le mari étranger doit être aussi de confession musulmane, comme son épouse marocaine. Le Maroc pourra-t-il un jour lever cette condition et laisser l'entière liberté à la femme de se marier avec qui elle veut, même s'il n'est pas musulman ? La question était logiquement posée le jour où le Maroc a levé, le 10 décembre 2008 (et c'est là le troisième acquis des femmes au cours de cette dernière décennie), ses réserves sur la Convention internationale contre toute forme de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW). Le mouvement féministe a crié victoire, et la levée de ces réserves n'est en fait qu'une consécration des acquis qui établissent plus d'égalité entre la femme et l'homme obtenus avec le nouveau code de la famille et la réforme du code de la nationalité. Néanmoins, la question qui reste posée est de savoir jusqu'où le gouvernement marocain peut aller dans la levée de ces réserves. Les lever toutes, comme le stipule la convention des Nations Unies, c'est mettre en contradiction nombre de règles juridiques marocaines avec la convention onusienne, notamment celles concernant la discrimination entre hommes et femmes en matière successorale, dans le mariage (interdiction de la polygamie) et lors de sa dissolution (nafaqa). Il s'agit également de permettre à la femme marocaine de se marier avec un non-musulman sans que ce dernier ne soit dans l'obligation de se convertir à l'islam, d'interdire la polygamie et le mariage des filles mineures de moins de 18 ans… Le Maroc sera-t-il un jour capable de «libéraliser» tout cela ? Il revient peut-être au nouveau Conseil national des droits de l'homme (CNDH), installé en ce début mars et présidé par Driss El Yazami, de se pronocer sur ces questions. En attendant, le même CNDH pourrait hâter le processus de réforme du code pénal que revendique depuis plusieurs années le mouvement des droits de la femme. Quelques clauses de ce code sont particulièrement pointées du doigt : celles relatives au viol, à l'avortement, aux relations sexuelles hors mariage et au viol conjugal ( voir à ce sujet La Vie éco du 19/11/2010, wwww.lavieeco.com). Sur la réforme de ce genre de clauses, le «Printemps de la dignité», une coalition, forte de 22 associations, créée en mars 2010, continue de bouger (voir encadré). De manière globale, d'autres questions encore plus discriminatoires à l'égard de la femme marocaine, et qui la relèguent encore, socialement, économiquement, politiquement et professionnellement au statut de subalterne de l'homme restent sans réponse satisfaisante. Quelques exemples, étayés par des chiffres : en matière d'analphabétisme, le taux est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Le rapport national sur les objectifs millénaires pour le développement (OMD) 2009 relève un taux de 50,8% concernant la population de 10 ans et plus contre 28,1% pour les hommes de la même catégorie d'âge. Et ce taux est particulièrement élevé pour les femmes des zones rurales (+ de 70%). L'indice de parité entre les sexes a atteint, en 2008-2009, 89% au primaire, 79% au secondaire collégial, 99% au secondaire qualifiant et 98% au supérieur. En matière de santé, la situation de la femme n'est pas plus réjouissante : selon l'enquête nationale démographique du HCP 2009-2010, le taux de mortalité maternelle reste élevé : 132 pour 100 000 naissances vivantes en 2009 au niveau national. Quant à la mortalité infantile, elle est de 32,2 pour 1 000 naissances vivantes en 2009 contre 40 pour 1 000 naissances vivantes en 2004. Dans d'autres domaines, on observe la même inégalité par rapport à l'homme : les femmes sont plus pauvres, leur participation à la vie économique et politique plus réduite que les hommes. Et, plus grave, elles subissent une violence quotidienne de la part de l'homme, particulièrement celle du conjoint.