Lancée depuis 2008, la réforme du système bute sur d'innombrables problèmes dont celui, insurmontable, du ciblage. La panoplie des consommateurs qui profitent de la subvention est tellement large que l'application d'un système d'aide directe est compromise. Où en est le projet de réforme du système de la compensation ? Après les annonces optimistes d'il y a deux ans, c'est la prudence qui est aujourd'hui de mise. Ce dossier est un vrai casse-tête pour les pouvoirs publics qui doivent à la fois veiller aux équilibres budgétaires et préserver le pouvoir d'achat du citoyen, surtout dans une conjoncture caractérisée par la flambée des cours mondiaux des principaux produits subventionnés. En 2008, au moment où la réflexion sur la réforme démarrait, l'une des pistes retenues pour concilier ces deux impératifs résidait dans le ciblage. Ce dernier devait, en théorie, permettre de diriger les dépenses de subventions vers les populations qui en ont réellement besoin au moment où, aujourd'hui, le système des subventions profite à toutes les couches sociales, y compris les plus aisées. Une première action pilote fut lancée, dès 2008 d'ailleurs, pour la farine nationale de blé tendre (FNBT) subventionnée mais qui finalement restait introuvable sur le marché. L'administration décida alors de revoir les quotas des régions de manière à augmenter ceux des communes les plus pauvres et accompagna cette révision par l'obligation désormais pour les producteurs de la FNBT d'utiliser des sacs comportant de manière lisible le prix de vente. Plus tard, en 2009, puis en 2010, deux autres opérations pilotes furent lancées grâce à des fonds de la Caisse de compensation. Tayssir, un dispositif d'aides directes aux familles pauvres conditionnées par la scolarisation des enfants, puis par une campagne nationale de vaccination gratuite. A travers ces deux opérations, il s'agissait pour le gouvernement de démontrer qu'en réalisant des économies sur les subventions faites de manière «aveugle» on pouvait venir en aide directement à ceux qui en ont le plus besoin. Le gouvernement avait pour ambition de généraliser cette démarche à tous les produits subventionnés. Affichage des prix et interdiction de la consommation industrielle : des mesures difficiles à appliquer Le principe du ciblage est séduisant, certes, mais, deux ans plus tard, les pouvoirs publics se rendent compte de la difficulté à le mettre en application. «Après avoir établi un diagnostic très pointu, nous avons procédé à la révision du système de subvention dans le secteur de la farine nationale de blé tendre et à la réforme des structures des prix des produits pétroliers», indique-t-on auprès du ministère chargé des affaires économiques et générales (MAEG). Depuis, le projet est au point mort. Les responsables chargés de ce chantier sont pourtant unanimes quant à l'approche de l'octroi de l'aide directe aux couches sociales défavorisées à l'instar des expériences initiées dans certains pays, notamment le Brésil. Reste à savoir comment y parvenir. C'est, semble-t-il, la question à laquelle aucune réponse n'a encore été apportée. D'autres dispositions prévues dans le cadre de l'accompagnement de l'opération de ciblage n'ont pas été appliquées. Dans le meilleur des cas, un retard est concédé dans leur mise en œuvre. Il en est ainsi de l'obligation d'afficher les prix sur les emballages des produits subventionnés. Jusqu'à présent, seuls les sacs de farine sont marqués. Pour le sucre, les négociations sont toujours en cours entre les pouvoirs publics et la Cosumar qui, visiblement, rencontre des difficultés à imposer cette disposition au niveau de la distribution. En ce qui concerne le gaz butane, les responsables sont aussi confrontés à un autre problème. En réalité, le prix n'est pas fixe puisque les pouvoirs publics accordent une marge pour couvrir le surcoût éventuel de transport en fonction de l'éloignement des points de vente. De ce fait, pour les bouteilles de 12 kg, les prix varient entre 40 et 43 DH l'unité. Autre chantier à la traîne : la limitation, voire l'interdiction, de l'usage du gaz butane à des fins non domestiques. A ce jour, les bombonnes à gaz subventionnées sont utilisées par des petits agriculteurs (un moindre mal étant donné leurs conditions sociales) mais également par des industriels de céramique, des hôteliers et des restaurateurs, ce qui alourdit la facture de compensation. En 2010, l'Etat a déboursé près de 11 milliards de DH pour couvrir le différentiel entre le prix réel et le prix de vente public. Aujourd'hui, l'équation à laquelle est confronté le département de Nizar Baraka est la suivante : décompenser les produits subventionnés pour les couches aisées et riches et utiliser les fonds économisés pour aider directement les plus pauvres. Se posera une multitude de questions. Premier problème : quels sont les ménages qu'on aidera directement et ceux qui devront payer le prix réel ? Pour y répondre, on pourrait s'inspirer, proposent certains, des expériences du Ramed et de Tayssir qui reposaient, elles aussi, sur un ciblage fin des bénéficiaires. Sauf que pour ces deux opérations, le ciblage était facilité par le fait que les bénéficiaires avaient des passages obligés : les hôpitaux, pour le Ramed, et l'école, pour Tayssir. Comment fera-t-on pour des produits comme les carburants, le sucre, le blé et autres qui sont commercialisés à une grand échelle à travers le territoire national et consommés par une multitude d'acteurs, qu'ils soient consommateurs finaux ou producteurs de biens et services ? Autre question de taille : quand bien même on arriverait à recenser sur un territoire donné les populations bénéficiaires de la subvention et les autres, comment fera-t-on en pratique ? Les produits seront-ils vendus à des prix plus élevés quitte à remettre des chèques aux ménages ciblés ? Si oui, qui remettra ces chèques et sur quelle base sera calculé le montant du chèque pour chaque ménage ? Un transfert financier à 97,5% de la population ? Comment organiser tout cela ? En outre, «si on passait à la décompensation, il faudrait prévoir des mesures en faveur de la classe moyenne qui peut basculer vers la classe pauvre», prévient un cadre du ministère des affaires économiques et générales. Et ce responsable a raison de s'inquiéter pour cette catégorie sociale d'autant que si on se réfère au classement établi par le Haut commissariat au plan (HCP), une grande partie des ménages sera exclue de la liste des bénéficiaires de la subvention : ce sont tous ceux dont les revenus vont de 3 000 DH à 6 000 DH, soit 54% de la population marocaine. Au ministère des affaires économiques et générales, on est conscient de ce dilemme. C'est pour cette raison que la typologie du HCP relative aux «classes sociales» n'est pas prise en considération dans la révision du système de compensation. Dans le département de Nizar Baraka, on table sur une autre classification pour déterminer les classes sociales qui ne sont pas habilitées à bénéficier de la subvention. Dans une étude réalisée en interne, plusieurs scénarios sont retenus. Par exemple, le ministère a fait des projections sur les consommations de produits subventionnés des ménages dont le revenu mensuel est supérieur ou égal à 20 000 DH. Il en résulte que sur la base d'une consommation moyenne de carburant pour deux voitures (50 000 km par an), de trois bombonnes de butane par mois et des autres produits, le montant estimé de la subvention dont bénéficie cette classe représentant 2,5 % de la population marocaine est de près de 3 milliards de DH. A ce montant, s'ajoute la consommation subventionnée des entreprises en carburants et électricité (le fioul représente 10% dans la production de cette énergie) qui est évaluée à près de 1,5 milliard de DH. L'effort de soutien de l'Etat qui va à ces consommateurs dits aisés est estimé donc à 4,5 milliards de DH, soit 14% de l'enveloppe initialement destinée à la compensation en 2011 (32 milliards de DH). Autrement dit, les 27,5 milliards de DH qui restent vont aux ménages dont les revenus mensuels sont inférieurs à 20 000 DH. Pragmatique et réaliste, cette classification n'a rien à voir avec celle du HCP. Reste à savoir s'il s'agit là de la catégorie sociale qui sera concernée par le transfert monétaire direct ? Du côté du MAEG, rien n'est encore décidé. Mais il semble que cette idée a été écartée, étant donné que cette catégorie regroupe l'écrasante majorité des ménages marocains. En effet, il est quasiment impossible d'imaginer un transfert financier à 97,5% de la population. L'étude a aussi démontré que le système de compensation n'est pas totalement injuste puisque seulement 15% des ressources profitent à des consommateurs qui n'y ont pas droit. En principe, le ministère cherchera à sélectionner, au sein de cette catégorie dont le revenu mensuel est inférieur à 20 000 DH, les ménages aux revenus moins élevés et ce en fonction d'une enveloppe budgétaire précise. Cependant, il va falloir déterminer des critères encore plus précis. Un travail qui nécessitera certainement encore de longs mois !