Une rétrospective de la peinture de l'artiste à l'espace Actua d'Attijariwafa bank révèle un peintre multiple animé d'un long souffle de création. Exposition visible jusqu'au 13 décembre. Saisir l'instant, le mouvement, par des touches de pinceau qui effleurent, qui donnent une impression du réel ou qui traduisent plutôt la réalité de l'artiste. Au premier regard, les tableaux de Hassan El Glaoui exposés à l'Espace d'art Actua d'Attijariwafa bank sont surprenants. Ce grand artiste, connu de tous, a beaucoup d'œuvres qui demeurent méconnues du grand public. Les portraits, les paysages, les natures mortes, les clowns…Faire redécouvrir l'œuvre du peintre, la diversité des thématiques abordées dans sa peinture, l'évolution de son trait, ses exigences, les différentes périodes de sa vie ont été le fil conducteur pour monter l'exposition qui retrace 60 ans de sa carrière. Mais comment revenir sur toutes ces années de peinture sans être réducteur. La tâche n'a pas été facile pour Ghita Triki Chraïbi, la commissaire de l'exposition. Car parcourir les œuvres d'El Glaoui revient à parcourir l'histoire de l'art, les différentes influences et périodes qui ont marqué la peinture, depuis la moitié du siècle dernier à nos jours. L'une des premières expositions du peintre remonte à 1950 (Galerie André Weil à Paris). Le plus récent de ses tableaux est daté de 2009. Aujourd'hui, à 86 ans, Hassan El Glaoui peint toujours. «On a toujours vu mon père peindre autant de natures mortes que de chevaux. Il a peint beaucoup de chevaux et ce n'est pas pour cela qu'il a fait moins de portraits ou moins de scènes d'intérieur. Sa carrière n'a pas été marquée par des phases spécifiques. Il peint beaucoup plus sur le présent, c'est une envie du moment», témoigne sa fille Touria. Plusieurs thématiques sont abordées dans l'espace Actua où l'on reconnaît la légèreté du pinceau de l'artiste. Les périodes se chevauchent, le temps est aboli. «C'est très difficile de dater ses œuvres. Il ne l'a jamais fait. Je pense que c'est un parti pris de sa part. Nous avons essayé de dater ses toiles avec une précision de plus ou moins 10 ans. Hassan El Glaoui oublie même parfois de signer, on lui a fait signer quelques-uns de ses tableaux récemment pour protéger ses œuvres car il y a aussi des faux Glaoui qui circulent», précise Ghita Triki. Des œuvres de jeunesse à celles de la maturité, il y a dans la peinture de Hassan El Glaoui quelque chose d'insaisissable, car il épouse les mouvements de son époque aussi bien qu'il s'éloigne de l'esthétisme de ses contemporains marocains. Le jeune artiste évolue très vite vers la figuration. Il fera de toutes les choses de la vie objet d'art. Tout ce qu'il voit, côtoie, passe sous son pinceau. Il exécutera ainsi différents portraits de sa femme, de ses filles, de son petit-fils… Ce sont les œuvres les plus emblématiques de sa carrière. Agencer et mettre en espace une exposition, c'est aussi raconter une histoire. Ghita Triki semble avoir trouver les codes d'accès aux œuvres de Hassan El Glaoui et en parle avec précision et émotion. Peut-être parce qu'elle les regarde depuis des années, ces tableaux présents dans les bureaux de la banque et qui avaient fait l'objet d'une commande dans les années 80. La rétrospective de Hassan El Glaoui s'organise par thématiques et non par périodes. Les différentes phases de création de l'artiste s'imbriquent les unes dans les autres. Les autoportraits qu'il a réalisés tout au long de sa vie viennent confirmer cette impression d'intemporalité qui accompagne ses œuvres. On le voit différemment, sur différents supports, portant différents regards sur lui-même ou sur la peinture. Selon sa fille Touria, cela s'explique par la vie qu'il a menée. «Mon père a passé beaucoup de temps sans sa famille, dit-elle. Il a beaucoup voyagé. Quand il n'avait pas de modèles sous la main il se peignait souvent devant sa glace». L'effet miroir est saisissant. Ghita Triki en propose une autre lecture. «Hassan El Glaoui interroge son âme à travers l'autoportrait. Il en a réalisé plusieurs à différentes périodes, sur papier toile et parfois même feuille de cigare. Ces œuvres semblent n'être jamais achevées. Le trait est à peine esquissé, l'homme a le regard fixe, de face, la palette est presque toujours brune, sombre. L'artiste nous livre ce regard sur lui-même où il refuse de parachever sa propre image devant le miroir, car, semble-t-il, la précision, le fini, serait presque un renoncement à ses yeux». Et justement, El Glaoui ne renonce jamais ! Depuis tout petit il avait une passion pour les chevaux. A l'âge de 9 ans, le fils du Pacha de Marrakech acheta son premier cheval avec son argent de poche. Il a commencé à peindre les chevaux dans les écuries. On retrouve à l'espace Actua un de ces tableaux représentant une monture dans une posture assez statique. C'était le début d'une histoire qui n'en finit toujours pas. Quelques années plus tard et dans ce même espace d'expositions, on retrouve des chevaux auxquels il a insufflé le mouvement. Lorsque Hassan El Glaoui a libéré son trait, ses chevaux, il a aussi aboli la perspective, a brouillé le fond pour laisser la vedette à ces animaux et à leurs cavaliers. Un monde créé et fantasmé par l'artiste et qui lui colle à la peau même s'il n'a jamais cessé de clamer: «Ceux qui disent que je suis "le peintre des chevaux" ne connaissent pas ma peinture». Dans cet hommage qui lui a été rendu, on retrouve aussi du ludique, exprimé dans cette série de portraits de clowns. Les années 80 ont vu un Glaoui croquant des instants intimes. Le peintre esquisse des portraits de ces drôles de personnages à la sortie du cirque Fratellini à Rabat. Mais comme à chaque fois que l'on regarde son œuvre dans sa globalité, on retourne aux années 50 (ou peut-être 60) pour découvrir le premier clown qu'il peigna. Une huile sur toile avait déjà marqué l'attachement de l'artiste au monde du cirque. «Il a travaillé sur une palette de gris coloré, égayé par des touches vives de rouge, de bleu et de noir. Comme dans le reste de ses portraits, il a fait abstraction de tous les détails : absence de décor, regards au trait noir, mais traitées allusivement, personnages détachés sur fond plat, pour rendre l'atmosphère teintée d'une douce mélancolie», explique Ghita Triki. Hassan El Glaoui a toujours osé le figuratif, à cette époque où «il n'y avait pas de peintres qui peignaient du figuratif. Ça allait contre la vision traditionnelle de l'art, on ne représentait pas les êtres humains ou des créatures de Dieu. On voit beaucoup d'art musulman de cette époque qui représente de l'art abstrait ou souvent des écritures du Coran», éclaire Touria. Hassan El Glaoui même très jeune a su s'imposer ou plutôt s'affirmer. Mais c'est aussi grâce à d'illustres personnalités de l'époque qu'il a eu la carrière que l'on connaît. N'est-ce pas Winston Churchill qui intercéda personnellement en sa faveur pour que son père le laisse peindre? C'est aussi grâce à l'entremise du «général Goodyear en 1950, un des fondateurs et président du Musée d'art moderne de New York», qu'il poursuivit sa carrière. Il s'en est suivi un long apprentissage à Paris d'abord à côté de Jean Boubervie. Ensuite, il a subi l'influence de celle qui lui a beaucoup appris et qu'il affectionnait particulièrement, Emilie Charmy, «qui perpétuait l'héritage des impressionnistes et des expressionnistes de la première moitié du XXe siècle». A 86 ans, Hassan El Glaoui continue de peindre dans son atelier à Rabat, une vie faite de peinture et une leçon de vie.