En 20 ans, le capital investissement s'est beaucoup développé au Maroc, contribuant à l'émergence de nombreux secteurs. Mais cette industrie reste très largement financée par du capital étranger. Pour drainer davantage de capitaux marocains, il faudra convaincre les institutionnels. Après 3 années d'absence, Covid oblige, la conférence annuelle du capital-investissement a fait son grand retour, ce mercredi à Casablanca, pour sa dixième édition. L'évènement, qui a fait salle comble, a réuni l'ensemble de l'écosystème de cette industrie, dont les investisseurs institutionnels, les sociétés de gestion, les gérants de fonds, les bailleurs de fonds internationaux, mais aussi les représentants des pouvoirs publics, notamment la ministre des finances, Nadia Fettah, la présidente de l'AMMC, Nezha Hayat, et le directeur général du Fonds Mohammed VI, Mohammed Benchaâboun. L'occasion de mesurer le chemin parcouru par cette jeune industrie, âgée d'une vingtaine d'année seulement, mais aussi de s'interroger sur les moyens de lui faire passer un nouveau palier, pour en faire un véritable levier de développement des entreprises marocaines. De l'avis de l'ensemble des intervenants, le capital investissement a un tack-record «très honorable», permettant à plusieurs secteurs de se développer. Hatim Ben Ahmed, président de l'Association marocaine des investisseurs en capital (AMIC), hôte de la conférence, en a donné un aperçu : «Nous avons accompagné directement plus de 250 entreprises et touché indirectement plusieurs milliers grâce au ruissellement de notre investissement dans les différents écosystèmes. Beaucoup de success stories marocaines ont, ou ont eu, un capital-investisseur à un moment de leur histoire: Intelcia, Disty ou Akdital aujourd'hui témoigneront mais aussi Saham, CBI, Outsourcia, Marwa, TGCC, les écoles Yassamine, Laprophan, S2M, Dislog, Oncorad, HPS, T2S, BIM, Retail Holding, CFG Bank, KITEA et j'en passe». Toutefois, malgré ce dynamisme, les levées de fonds restent très «insuffisantes». En 2022, 800 milliards de dollars ont été levés par environ 1.500 fonds dans le monde, dont environ 2 milliards en Afrique, et seulement 100 millions de dollars au Maroc. Il faut dire que le capital investissement dans le Royaume pâti d'un problème structurel : le manque de capitaux nationaux. «Notre industrie est majoritairement financée par du capital étranger, et notamment du capital étranger public, par le biais des DFI (Development finance institutions)», a souligné le président de l'AMIC. Pour drainer davantage de capitaux marocains, il faudra convaincre les institutionnels, principalement les compagnies d'assurance et les caisses de retraite, dont l'investissement en capital ne représente que moins de 1% de leurs actifs, contre plus de 15% en moyenne dans le monde. Il faut dire que certaines expériences passées dans les années 2000 se sont mal déroulées, ce qui a eu pour conséquence de refroidir leurs ardeurs. «Notre enjeu collectif est d'augmenter massivement les montants alloués auprès des institutionnels. Il faut rétablir la confiance», a prôné Hatim Ben Ahmed. Cet objectif de massification des capitaux marocains dans le private equity pourrait bénéficier d'un soutien de taille : l'opérationnalisation du Fonds Mohammed VI, dont Mohammed Benchaâboun a dressé les grandes orientations devant l'assistance. «Un des principaux objectifs du Fonds est de contribuer à l'émergence d'une industrie du capital investissement plus robuste. L'impact de cette industrie doit être beaucoup plus perceptible sur l'économie», a affirmé le DG du Fonds Mohammed VI. Pour cela, a-t-il ajouté, il est important que les sociétés de gestion (SDG) évoluent significativement sur les volumes des fonds gérés, mais également en matière d'expertise et de transparence. C'est dans ce cadre que s'inscrit d'ailleurs l'appel à manifestations d'intérêt pour la sélection de sociétés de gestion qui géreront les sous-fonds sectoriels. «Le relèvement des capacités de gestion des SDG est un prérequis pour renforcer la crédibilité auprès investisseurs nationaux et internationaux. C'est le préalable à la levée de fonds conséquents», a souligné Benchaâboun. Un autre levier susceptible de faire passer un nouveau cap à l'industrie marocaine du capital investissement réside dans le cadre réglementaire favorable. Comme l'a souligné Nezha Hayat, présidente de l'AMMC, l'amendement de la loi sur les Organismes de placement collectif en capital (OPCC), actuellement au parlement, «marquera un nouveau point d'inflexion dans le développement du capital investissement régulé». «Le principal apport du nouveau cadre est l'introduction des OPCC à règles de fonctionnement allégées, dits OPCC RFA, réservés à une nouvelle catégorie d'investisseurs dits investisseurs professionnels. Cette réforme permettra la mobilisation de nouveaux fonds en faveur du financement alternatif des entreprises marocaines», a-t-elle expliqué. Au final, a résumé Nadia Fettah au micro de La Vie Eco, «l'industrie du capital investissement a surement besoin de plus d'ambition. C'est le moment de dire, au capital marocain, institutionnel ou privé, qu'il faut qu'ils se mobilisent, parce que c'est maintenant qu'il faut investir».