Un sommet extraordinaire prévu d'ici octobre prochain pour débattre de sa réforme et la sortir de sa léthargie. Minée par les conflits entre pays membres et les rivalités internes, la structure a peu d'impact sur la géostratégie mondiale. En dépit des innombrables réunions sur le sujet, elle n'a pas réussi à faire avancer le dossier palestinien. Le Sommet de Syrte a-t-il accouché d'une souris comme cela a été si fréquemment le cas aux réunions de la Ligue arabe ? Tenu les 27 et 28 mars dans la ville natale du président libyen Mouammar Kadhafi, le 22e sommet ordinaire de la Ligue arabe ne donne pas le sentiment de faire exception à ce qui semble être une triste règle. Réunis en Libye, les représentants de la Nation arabe ont, une fois de plus, livré un spectacle affligeant, à commencer par les Palestiniens qui n'ont pas raté l'occasion d'afficher leurs divisions. Les Irakiens n'ont pas été en reste. Leur ministre des affaires étrangères Hoshyar Zebari a failli se retirer des travaux avant même le démarrage du Sommet des chefs d'Etat arabes, en réaction à la décision du numéro 1 libyen de recevoir une délégation de l'ancien parti Baas. Le Liban, qui réclame toujours au pays hôte des explications à propos de la disparition de l'imam chiite Moussa Sadr sur son territoire en 1978, a failli, tout bonnement, boycotter la rencontre. Ce n'est qu'à la suite de médiations turque, syrienne, et de la part du Secrétaire général de la Ligue Amr Moussa que le pays du Cèdre a tout au plus consenti une représentation minimale en dépêchant… son envoyé à la Ligue arabe. Enfin, Silvio Berlusconi, seul chef d'Etat européen invité à l'événement, s'est donné en spectacle à deux reprises, la première en s'endormant pendant la rencontre et la deuxième en baisant la main du guide de la Révolution libyenne (voir sur : www.liveleak.com/view?i=955_1269878105&c=1). On l'a bien compris, le Sommet de Syrte aura été décevant. Réformer la ligue ? Mirage ou réalité ? Sans surprise, les principales victimes de cette situation auront été les Palestiniens, mis en difficulté par la décision israélienne de construire 1 600 nouveaux logements à Jérusalem-est. La rencontre n'a même pas débouché sur un consensus arabe sur la question de la reprise des négociations indirectes. Pourtant, le comité des ministres des affaires étrangères, réuni peu avant le sommet, avait bien présenté aux chefs d'Etat arabes une résolution conditionnant la reprise des négociations de paix à l'arrêt des colonisations : au final, le texte n'a tout bonnement pas été adopté en séance plénière. Beaucoup de bruit pour rien donc, à l'exception d'un détail plutôt curieux. Dans le document final de la rencontre, que l'on appelle désormais «la déclaration de Syrte», les pays membres déclarent vouloir faire de cette rencontre l'opportunité d'un nouveau départ pour la Ligue arabe. Il est ainsi question de réformer la structure et de lui fournir les ressources et moyens qui lui permettront d'accomplir ses missions, prendre ses responsabilités et défendre les intérêts arabes et les initiatives, suggestions et idées allant dans ce sens sont désormais les bienvenues. Une haute commission regroupant cinq chefs d'Etat – Mouamar Khaddafi (Libye), Hosni Moubarak (Egypte), Cheikh Hamad ben Khalifa Al Tani (Qatar), Jalal Talabani (Irak) et Ali Abdallah Saleh (Yemen) – devrait ainsi être créée. Soutenue dans son travail par le Secrétaire général de la ligue, cette structure aurait pour mission de débattre avec les dirigeants arabes des modalités de réforme de la ligue et d'élaborer un projet de document qui sera remis aux ministres des affaires étrangères arabes avant la tenue d'un sommet extraordinaire sur la question, qu'il est convenu d'organiser d'ici octobre prochain. Des demandes de réforme depuis 1951 L'annonce tombe à point nommé. Cela faisait un moment que les chefs d'Etat arabes multipliaient les appels à la réforme. Dans un message lu en son nom, le Roi Mohammed VI a notamment souligné l'urgence d'une «vision stratégique, globale et intégrée» à l'échelle des pays arabes, et insisté. «Pour relever les défis de l'heure, il est nécessaire de soumettre les structures et les mécanismes de l'action arabe commune à une réforme substantielle et rationnelle. Loin de se limiter aux organes de la Ligue des Etats arabes ou de se confiner à l'action des gouvernements, cette réforme devrait élargir ses horizons, avec l'implication de nouveaux acteurs dont les parlements, les instances représentatives, les collectivités locales, la société civile, les acteurs économiques et sociaux et les élites intellectuelles, médiatiques et artistiques». Avant cela, toutefois, les pays arabes se doivent d'adopter une stratégie, fondée sur «la réconciliation inter-arabe, en vue de dépasser les différends politiques injustifiés, et de trouver une solution à la question centrale qu'est le problème palestinien». Et le Souverain d'ajouter que «la réalisation de l'intégration en matière de développement, en tant que préalable nécessaire à l'émergence d'un groupement arabe ayant son mot à dire au sein de son environnement régional et international». Un doute subsiste toutefois. Les pays arabes sont-ils vraiment disposés à mettre la main à la pâte, ou ne s'agirait-il là que d'un simple effet de manches ? Après tout, les appels à la réforme de la Ligue arabe, une thématique récurrente dans les discours et messages royaux à la ligue depuis le sommet de Beyrouth en 2002 et devenus de plus en plus pressants au fil du temps, remontent, dans le cas du Maroc, au règne de feu Mohammed V… en 1959. Un peu d'histoire. C'est à partir de 1942 que l'idée d'une Ligue arabe commence à germer, dans la région. A l'époque, l'initiative est soutenue par la Grande-Bretagne, qui essaye de rallier les pays arabes pour renforcer sa position face aux pays de l'Axe. La structure, qui fait l'objet d'un avant-projet en 1944, ne verra toutefois le jour que le 22 mars 1945, 6 mois avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette année-là, le Pacte de la Ligue arabe sera signé par sept Etats : La Transjordanie (devenue plus tard la Jordanie), la Syrie, l'Arabie Saoudite, le Liban, ainsi que l'Egypte, l'Irak, et le Yémen, tous trois gouvernés par des monarchies. Malgré ce léger retard, la ligue est considérée aujourd'hui comme la plus ancienne des structures de dimension internationale : la Communauté du charbon et de l'acier, ancêtre de l'Union Européenne, ne naîtra qu'en 1951. Les deux structures ont tout de même bon nombre de points communs. Parmi les domaines de coopération prévus par le pacte de la ligue figurent les affaires économiques et financières dont les douanes, les monnaies, l'agriculture et l'industrie, les moyens de transport et de communication, les affaires culturelles, les questions liées à la nationalité, les passeports, visas, exécutions de jugements et extraditions, etc. Somalie, Djibouti, Brésil, la nation arabe au sens large du terme Côté composition, la ligue est ouverte aux pays arabes et indépendants ayant signé son pacte. A partir de 1976, une annexe de ce document prévoit un statut spécial pour la Palestine. Son indépendance étant considérée comme une question de temps, elle est traitée comme un membre à part entière et représentée par un délégué à l'instar des autres pays. Sur un autre plan, la notion d'arabité est, elle aussi, prise au sens large : bien que l'arabe ne soit pas la langue officielle de la Somalie et Djibouti, ces deux pays intègrent la ligue du fait de leurs origines arabes. Depuis 2006, le Brésil, lui, suit les travaux de la ligue en qualité d'observateur, du fait de l'importance de sa communauté d'origine arabe. Guerres, règlements mal ficelés, … ces maux qui plombent la ligue Aujourd'hui, la ligue comprend 22 pays membres et 4 observateurs dont l'Inde et le Vénézuela. Sur le plan politique, la période la plus importante de la structure correspond à ses débuts, alors qu'une bonne partie du monde arabe lutte contre la colonisation : à cette époque, les pays jouent un rôle dans l'élaboration de la Charte de l'organisation des Nations Unies, proposant, entre autres, que figurent parmi les objectifs de l'ONU la volonté de «promouvoir le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales». La situation de la Palestine est un souci constant de la structure, en 1974, à l'occasion du Sommet de la ligue à Rabat, l'OLP est proclamée seul et unique représentant légitime du peuple palestinien. En 2002, la ligue met au point «l'initiative de paix arabe», une formule qui propose, en échange du retrait israélien de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et du plateau du Golan, une normalisation des relations entre Israël et les membres de la ligue, restée sans suite. Sur les autres plans, il faut reconnaître que la ligue est loin d'avoir développé ses relations dans l'ensemble des domaines cités dans son pacte constitutif. A sa décharge, contrairement à l'UE, la Ligue arabe n'a pas été gâtée du point de vue géopolitique. A partir de 1948, une série de conflits survient entre les pays membres de la ligue et Israël ou les pays tiers (Iran Irak, guerres du Golfe, etc.). En interne, l'appartenance à un même ensemble n'a pas empêché plusieurs pays membres de prendre les armes les uns contre les autres (Irak et Koweït, Algérie et Maroc, Libye et Egypte, etc.). Même lorsque les choses n'en venaient pas aux armes, en interne, la ligue a connu de nombreuses luttes d'influence. Dès ses premières années, elle sera confrontée à une rivalité entre les pays favorables aux projets d'indépendance, et ceux qui préfèrent garder de bonnes relations avec des Britanniques encore très présents dans la région. Plus tard, la Guerre froide apportera sa part de divisions, avec un déplacement des rivalités, entre régimes monarchiques et régimes révolutionnaires. Ces difficultés relevant, pour la plupart, du passé, la ligue souffre au niveau de son règlement intérieur. Ce dernier l'empêche en effet de s'autosaisir en cas de conflit. Par ailleurs, des processus de validation particulièrement alambiqués ou mal conçus font que beaucoup de conventions ne sont pas ratifiées par l'ensemble des pays. Parlement, Cour de justice, auto saisine…, ces propositions jamais appliquées La structure semble également souffrir d'une certaine domination égyptienne. Avec un siège permanent basé au Caire, des six secrétaires généraux qui ont dirigé la ligue depuis sa création, cinq sont des Egyptiens. La seule exception aura été enregistrée entre 1978 et 1990 lorsque, en réaction à la signature des accords de Camp David, la ligue avait sanctionné l'Egypte en déplaçant son siège à Tunis et désigné un Secrétaire général local. Face à ces différents blocages, les demandes de réforme de la Ligue arabe remontent, dans le cas des plus anciennes à 1951 (Syrie), 1954 (Irak) et 1959 (Maroc). Aujourd'hui, rares sont les dirigeants arabes à ne pas avoir appelé à la réforme, mais à part quelques modifications mineures, rien n'a été fait. Les propositions intéressantes sont pourtant légion : dès 1957, l'on évoque l'idée que le poste de Secrétaire général de la ligue ne soit pas occupé pendant plus de deux mandats par un ressortissant d'un même Etat arabe. Ailleurs, l'on souhaite voir mettre en place des dispositions d'assistance à un Etat membre au cas où il est agressé et de sanctions à appliquer à son agresseur. L'idée de créer un conseil de la représentation populaire composé des membres des Parlements ou organisations représentatives propres à chaque Etat membre, voire un Parlement arabe, fait également son chemin. D'autres évoquent l'idée d'une Cour de justice arabe à même de départager les Etats membres ou de jouer un rôle consultatif… Face à une volonté de réforme qui paraît homogène, où se situent donc les résistances ? Peuvent-elles encore être vaincues ? Si les promesses du sommet d'octobre vont indéniablement dans le sens des intérêts des pays arabes, ces derniers se donneront-ils le moyen de le réussir ?