En plus des administrations, la réglementation étendue aux collectivités locales et aux entreprises publiques. Plus qu'un toilettage du texte de 2007, c'est une nouvelle réglementation qui sera mise en place. Limitation du système de «bons de commande», soumission électronique, révision des prix, recoursÂ..., ce qui change. Après celle de 2007, c'est la deuxième réforme que subit le décret de 1998 sur les marchés publics. Mais l'actuel projet de réforme, préparé par la Trésorerie générale du Royaume (TGR) en concertation avec les professionnels et tous les intervenants dans la commande publique, est plus qu'un simple toilettage du texte de 2007. C'est quasiment une nouvelle réglementation des marchés publics, plus intégrée, embrassant l'ensemble des textes régissant cette matière, qui est en effet proposée à travers un projet de décret, soumis au Secrétariat général du gouvernement (SGG), lequel, en application de la procédure de publicité des projets de textes législatifs et réglementaires, l'a inséré dans son site web en vue de recueillir les observations et les commentaires des personnes intéressées. Pourquoi s'agit-il d'une nouvelle réglementation ? Parce que, tout en conservant les acquis du décret de 2007, ce projet se présente en fait comme un corpus global qui réglemente non seulement les marchés de l'Etat, comme c'est le cas jusqu'à aujourd'hui, mais aussi ceux des collectivités locales et des établissements et entreprises publics (à l'exception de certains marchés, comme les contrats de gestion délégués, par exemple). C'est véritablement une innovation majeure qui consacre l'unicité de la réglementation des marchés publics. Et cela fait partie, il faut le rappeler, des revendications de l'ensemble des intervenants dans le domaine de la commande publique, qui ne comprenaient pas que les marchés des collectivités locales et des établissements et entreprises publics soient exclus du champ d'application de la réglementation actuelle. Bien plus que cela, ce projet, comme l'explique un responsable à la TGR, pousse encore plus loin l'unicité et la cohérence de la réglementation des marchés publics en y intégrant l'ensemble de l'arsenal juridique y afférant, comme les cahiers des clauses administratives et générales (CCAG), les contrats d'architectes et les modèles types des documents. «L'ensemble de ces textes devra en définitive constituer un package à mettre en œuvre pour la passation et l'exécution des marchés publics dans les meilleures conditions», précise le même responsable. Outre ce regroupement des textes relatifs à la commande publique, le projet de décret apporte de nombreuses autres nouveautés. Celles-ci ont trait aussi bien à la simplification et à la clarification des procédures, au renforcement de la concurrence et de l'égalité de traitement des concurrents, à la consolidation du dispositif de transparence et de moralisation de la gestion de la commande publique, qu'à l'amélioration des voies de recours, de l'introduction des technologies de l'information et même de la protection de l'environnement. Les marchés par bon de commande limités aux ordonnateurs et sous-ordonnateurs Il serait évidemment fastidieux d'entrer dans le détail de toutes ces innovations, retenons néanmoins quelques-unes. Dans le domaine du renforcement de la concurrence, deux innovations méritent d'être citées. L'une porte sur l'obligation d'un appel à manifestation d'intérêt lorsqu'il s'agit de «prestations particulières, complexes et qui nécessitent une identification préalable des concurrents potentiels». L'autre concerne la limitation aux seuls ordonnateurs et sous-ordonnateurs de la possibilité d'engager des dépenses par bon de commande et, mieux encore, la précision que ces bons de commande doivent faire l'objet d'une concurrence préalable «matérialisée par la production d'au moins trois devis contradictoires (…)». Ce faisant, les rédacteurs du projet veulent non seulement «limiter le fractionnement de la commande publique», mais également en contrôler le processus d'attribution. Inutile de rappeler ici que l'octroi d'un marché par bon de commande, en l'absence de garde-fous comme ceux-ci, peut donner lieu à des dérives préjudiciables aux deniers publics et aux éventuels prétendants au marché. L'idée de transparence et de moralisation de la gestion des marchés publics a toujours été au centre des débats et des préoccupations à la fois de ceux qui dépendent, dans leurs activités, de la commande publique, mais également de la société civile et des organisations non gouvernementales, comme Transparency. Le décret de 2007 a déjà franchi des pas dans ce sens, et l'actuel projet est venu renforcer encore plus cette dimension. A titre d'exemples, l'existence de conflits d'intérêt dans les marchés publics est désormais expressément interdite, un délai de 3 mois est institué pour la préparation des rapports d'achèvement de l'exécution des marchés, le contenu du rapport établi et signé par le maître d'ouvrage en cas de procédure négociée est mieux précisé et enrichi et le projet apporte davantage de précisions sur le contenu et les modalités de publication des programmes prévisionnels des marchés à lancer … Un délai de 30 jours pour répondre à la requête d'un soumissionnaire qui s'estime lésé Pour moderniser la gestion de la commande publique et, par là-même, en faciliter l'accès aux opérateurs, le projet de décret institue les enchères électroniques pour les marchés de fournitures courantes, qu'il définit comme «une procédure de choix des offres réalisée par voie électronique et permettant aux candidats de réviser, au fur et à mesure du déroulement de l'enchère, leurs prix à la baisse». De la même manière, il est prévu la mise en place d'une base de données des fournisseurs en vue de dématérialiser les dossiers administratifs des concurrents, ainsi que la possibilité de soumission électronique. Un responsable à la TGR confie à ce propos que les textes concernant la signature électronique sont justement en phase d'aboutissement, en prévision de l'adoption de ce projet de décret. Au chapitre des garanties offertes aux concurrents et des voies de recours qui leur sont ouvertes, cette réforme a apporté de nombreuses innovations. Ce sont, entre autres, la fixation d'un délai de 30 jours au ministre concerné et à la commission des marchés pour répondre à la réclamation d'un concurrent, la possibilité offerte à un concurrent de saisir directement la commission des marchés sans passer par un recours auprès du maître d'ouvrage et du ministre concerné et la fixation d'un délai d'attente de 15 jours entre la date de signature du PV par la commission et la date d'approbation du marché, et ce, afin de permettre au concurrent qui se sent lésé d'intenter les recours éventuels. On peut ajouter à cela la possibilité offerte pour les concurrents qui estiment ne pas pouvoir préparer leurs offres dans les délais de publicité requis de demander le report de la date d'ouverture des plis. Autre nouveauté dans le même sens: la révision des prix est désormais étendue à tous les marchés de travaux, quels que soient leurs montants ou leurs délais d'exécution. En revanche, les marchés de fournitures et de services sont exclus de la possibilité de voir leurs prix révisés. Est-ce à dire, cependant, que ce texte ne comporte aucune lacune, ne souffre aucun reproche ? Comme déjà indiqué au début, du fait même de la méthodologie de sa préparation, qui a permis d'y associer l'ensemble des parties prenantes (voir encadré), ce projet a globalement satisfait les opérateurs économiques et les acteurs de la société civile. La Fédération nationale du bâtiment et des travaux publics (FNBTP), qui a activement participé à son élaboration, se déclare très nettement satisfaite de ce projet par la voix de son président même, Bouchaid Benhamida ; même si celui-ci a émis quelques observations techniques sur le site du SGG «en vue d'enrichir le texte». Un point en particulier attire cependant l'attention de Mustapha Miftah, directeur de la FNBTP, mais aussi membre de Transparency Maroc et de la CGEM : celui des recours. Pourquoi, s'interroge en substance M. Miftah, un recours hiérarchique auprès du ministre concerné par le marché objet de la contestation, et pas un recours auprès d'une instance indépendante ? Par ailleurs, toujours selon M. Miftah, la possibilité offerte aux concurrents de s'adresser directement à la commission des marchés est certes une avancée, mais, tempère-t-il, les avis que celle-ci rend ne revêtent aucun caractère contraignant, ils ne sont donc pas toujours suivis d'effet. Face à cette observation, la TGR précise qu'un projet de décret réformant la commission des marchés est en cours d'élaboration. Il vise à «en renforcer les capacités et les moyens, lui permettant d'émettre des réponses rapides et efficaces en matière de règlement des litiges nés de la passation des marchés publics». Certes ! Mais où est le caractère contraignant? Rappelons tout de même que les concurrents aux marchés publics ont, en tout état de cause, la possibilité d'intenter des recours en annulation pour abus de pouvoir devant les tribunaux administratifs, contre les décisions des autorités administratives, en cas de litiges. Pour autant, et quelles que soient les lacunes ou les oublis de ce texte, il constitue une avancée considérable dans la gestion de la commande publique et, par conséquent, une amélioration de la gouvernance des deniers publics. Evidemment, comme tout texte juridique, il viendra un moment où la réalité le dépassera. Mais les réformes existent précisément pour ça. Comme le signale Mustapha Miftah, en France la même réglementation est révisée tous les deux ans…